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Production de blé et les flux mondiaux: les marchés belges et français, très sensibles aussi à l’effet papillon

Le marché des céréales anticipe et réagit très rapidement en fonction des récoltes (bonnes ou mauvaises), la spéculation est en effet très présente sur le marché des commodités. C’est le fameux effet papillon. Qu’en est-il actuellement ? C’est ce que propose cet article avec un éclairage aussi sur les marchés belges et français.

Temps de lecture : 8 min

Pour les cours des céréales, la référence de nos marchés est aujourd’hui le marché à terme Euronext. Il y a bien sûr les marchés locaux, mais aussi le marché européen et le marché mondial. Intervenant la semaine passée lors du lancement du projet de valorisation du son de blé ValBran (voir notre édition du 29 septembre), Olivier Henroz, responsables céréales chez WalAgri indique d’emblée que l’effet « papillon » est bien d’application pour les céréales. Autrement dit, les événements qui surviennent parfois bien loin de nos frontières ont automatiquement et très rapidement un impact sur nos marchés en termes de prix.

Une récolte « normale » en France…

La production française 2017 de céréales à paille, qui a aussi connu quelques problèmes de sécheresse, atteint un niveau proche, voire supérieur à la moyenne des 5 dernières années. Au total, nos voisins ont récolté près de 38 millions de tonnes (Mt) de blé tendre, 2,1 Mt de blé dur et 12,3 Mt d’orges. Quand tous les indicateurs étaient au vert, comme en 2015, la moisson française totalisait 42 millions de tonnes, tandis qu’elle s’effondrait l’année (calamiteuse) suivante à 27-28 MT. De tels écarts montrent à quel point la météo peut venir jouer les trouble-fête dans l’expression du potentiel des variétés semées.

Olivier Henroz: «La Belgique consomme environ 5 millions de tonnes de céréales par an, alors qu’il n’en produit que quelque 2,4 millions. Nous sommes le premier pays importateur des blés français.
Olivier Henroz: «La Belgique consomme environ 5 millions de tonnes de céréales par an, alors qu’il n’en produit que quelque 2,4 millions. Nous sommes le premier pays importateur des blés français. - M. de N.

Forte d’une moisson de 38 Mt de blé, la France doit en exporter cette année un peu plus de 18 Mt pour équilibrer, assainir son bilan, sous peine d’alourdir ses stocks en fin de campagne. En pratique, ce volume se répartit globalement entre 8 Mt en intracommunautaire et 10 millions sur les pays étrangers. Notre voisin est ainsi l’un des grands exportateurs majeurs au plan mondial, mais la Russie lui dispute ce leardership et prend même le devant depuis quelques années.

… avec des faiblesses dans l’est du pays

Retour à la production française, et plus précisément aux départements des Ardennes, de l’Aube et de la Marne, qui sont les plus proches et approvisionnent le plus régulièrement notre pays. Ensemble, ces trois départements produisent un peu moins de 3 Mt de céréales.

Olivier Henroz relève que l’est de la France, particulièrement la Moselle, connaît depuis quelques années des récoltes difficiles, mettant en relief une grande hétérogénéité entre les régions. « Toute la production de l’est de la France remonte vers les silos de chargement de ce département (région de Metz). Ce très gros marché est pénalisé depuis 2-3 ans par l’impact d’épisodes marquants de sécheresse. »

Le blé français doit s’exporter

Question de proximité, talonnée par les Pays-Bas, la Belgique est le premier pays importateur de blé français (tableau 1), avec une quantité achetée de l’ordre de 1,8 Mt, cette année comme en 2016.

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La figure 1 présente la carte du monde avec les volumes de blé exportés par la France (moyenne 2012-2015 et les prévisions 2017-2018). On observe que, sur les 18 millions de tonnes (Mt) que ce pays doit exporter, quelque 8,2 Mt le sont au sein de la communauté européenne. Vient ensuite le Maghreb (prévisions : 5,3 Mt) qui représente le plus gros acheteur de blé dans le monde ; tous les pays producteurs se disputent ce marché. L’Egypte comme l’Afrique sub-saharienne sont aussi des marchés significatifs. Pour le moment, la mer Noire exporte énormément sur ces marchés, tandis que l’Europe est désavantagée avec une parité euro/dollar 1,20 très défavorable.

Figure 1: exportations de blé français - prévisions 2017/2018.
Figure 1: exportations de blé français - prévisions 2017/2018.

« Si la parité euro/dollar revenait vers 1,10-1,15, la France sera immédiatement mieux armée pour exporter immédiatement vers l’Afrique du Nord, ce qui n’est pas le cas pour le moment. Dans ce métier, où il reste une part d’aléatoire. Tous les marchés peuvent évoluer en une semaine si la valeur de l’euro perd 5 points face au dollar. »

Production, consommation, stocks : la campagne du changement ?

Depuis quelques dernières années, la production mondiale de céréales est très élevée et supérieure à la consommation, d’où de mauvais prix et de gros problèmes de rentabilité pour les producteurs. Les perspectives semblent toutefois montrer qu’enfin la consommation serait très légèrement supérieure à la production, ce qui permettrait d’entamer un peu les stocks, actuellement à un niveau extrêmement élevé. Soit, une situation très différente de celle que l’on a connue en 2011-2012 ou 2006-2007 où les stocks étaient beaucoup moindres (les blés sont passés de 160 euros à 250 euros/t) avec une demande forte et une production faible.

Figure 2: la campagne du changement?
Figure 2: la campagne du changement?

Assisterait-on, cette année, à la campagne du changement (figure 2), par rapport à la situation qui prévaut depuis quelques années ?

Bilan mondial à la mi-septembre

Le tableau 2 témoigne de l’importance du stock de blé au plan mondial. Il est énorme et en progression constante depuis quelques années. Olivier Henroz note que la moitié de ce stock se situe en Chine. Or, le géant asiatique consomme tout ce qu’il produit, il n’exporte rien. En contrepartie, le stock en Europe est très faible, parce que l’UE a exporté énormément en 2015 (excellente moisson, plus de 31 Mt exportées) et a connu de surcroît de très mauvaises récoltes l’an dernier. Dans ce contexte, en cas d’aléas climatiques l’an prochain, le stock mondial serait sous pression et les prix du blé remonteraient.

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Rétrospectives d’une chute des cours sur Euronext

Le marché céréalier est très volatil, avec des prix très fluctuants au gré des événements – climatiques ou autres – à travers le monde.

Figure 3: rétrospective de la chute des cours du blé sur Euronext.
Figure 3: rétrospective de la chute des cours du blé sur Euronext.

La figure 3 illustre bien cette évolution sur la période allant de février à septembre 2017. On voit par exemple qu’au mois d’avril, des craintes sur la production liées à la sécheresse persistante en Europe entraînent une hausse des cours. Mais ces craintes disparaissent peu à peu, les cultures se comportent bien, il n’y a pas de souci à l’est et le marché redescend un petit peu. À la mi-juin, la chaleur et la sécheresse frappent les États-Unis et le Canada. Certes les États-Unis ne produisent que 60 Mt (contre 140-150 Mt pour l’UE), mais il s’agit de blés de qualité. Pour le Canada, les craintes portaient alors sur 5 Mt (sur les 750 Mt au plan mondial, cela paraît négligeable), mais il s’agit de blés de printemps de force qui sont exportés à travers le monde entier, dans le secteur de la meunerie-boulangerie (notamment en Belgique, en France…) car ils améliorent la qualité. Et l’on observe que les marchés commencent à s’envoler fortement car tous les acheteurs et spéculateurs se mettent en action (+ 20 euros)… jusqu’à la sortie du rapport mondial mensuel, mi-juillet, du département américain de l’Agriculture (Usda). Celui-ci se révèle rassurant quant à la sécurité d’approvisionnement (les stocks sont élevés, les récoltes à venir en Russie, en Ukraine, dans l’est, sont prometteuses). Les prix repartent aussi tôt à la baisse. Celle-ci se poursuit d’autant plus que le rapport de l’Usda de la mi-août renseigne sur les perspectives de récoltes record dans les pays de la mer Noire (Russie, Ukraine, Kazakhstan). La montée de la parité euro/dollar au-dessus de 1,20 ne fait qu’accentuer cette chute des cours sur Euronext. « Tous ces faits ont impacté de la même manière le niveau de prix de nos blés belges. Le phénomène est mondial. »

La Russie, nouveau poids lourd

Depuis 4-5 ans, la France perd du poids sur le marché par rapport aux pays de la mer Noire que sont la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan. « La Russie connaît cette année une production record, avec plus de 80 Mt de blé, en hausse de 65 % par rapport à la moyenne de sa production des années 2001-2005 ! On trouve dans ce pays aujourd’hui des agro-holdings gigantesques de plusieurs dizaines de milliers d’ha et très bien équipées en matériels. En outre, depuis trois ans, la chance sourit à ces pays, les conditions climatiques n’y posant guère de souci. « Ce n’est pas toujours le cas : si la sécheresse devait sévir l’an prochain en mai-juin avec des chaleurs caniculaires, la production s’écroulerait et les prix s’envoleraient jusque sur nos marchés. C’est le fameux effet « papillon »», poursuit Olivier Henroz.

La Chine a engrangé cette année 130 millions de tonnes de blé et en consommera la totalité. Ce géant représente à lui seul près de 50 % des stocks mondiaux.
La Chine a engrangé cette année 130 millions de tonnes de blé et en consommera la totalité. Ce géant représente à lui seul près de 50 % des stocks mondiaux. - M. de N.

Les marchés céréaliers dans le monde

La planisphère représentée par la figure 4 illustre la répartition des grandes zones de production de blé dans le monde. En vert, figurent les régions qui ont connu un bon niveau de production (+) pour cette campagne 2017/2018 et donc qui seront moins acheteurs. C’est le cas de l’Europe, de l’Afrique du nord, la Russie, l’Ukraine, le Kazakhstan. Vu la cherté de l’euro, ce sont les pays de la mer Noire qui ont un avantage pour exporter vers l’Afrique du nord.

Figure 4: production de blé dans le monde en 2017/2018 (en Mt).
Figure 4: production de blé dans le monde en 2017/2018 (en Mt).

En rouge, des pays comme les Etats-Unis (- 13 Mt) et le Canada (- 7 Mt) enregistrent des baisses de production par rapport à la campagne précédente, mais dans le concert planétaire, ces déficits ne sont guère impactants, puis qu’à l’échelle mondiale, le marché pour cette campagne 2017/2018 (745 Mt) affiche à peine 1 % de recul par rapport à la campagne précédente. La Chine a assuré une récolte de 130 Mt.

Exportations et importations

La figure 5 apporte un éclairage sur les grands mouvements d’exportation et d’importation de blé dans le monde pour cette campagne 2017/2018. Les pays du Maghreb sont de très gros acheteurs (28 millions de tonnes). Les plus gros exportateurs mondiaux sont la Russie (32,5 Mt) et l’Union européenne (28,5 Mt).

Figure 5: exportations et importations de blé dans le monde en 2017/2018 (en Mt).
Figure 5: exportations et importations de blé dans le monde en 2017/2018 (en Mt).

Stocks mondiaux

Enfin, la figure 6 présente la répartition des stocks de blé dans le monde. Près de la moitié de ceux-ci se trouve en Chine (47 %), c’est une donnée stable, qui n’évolue pas. C’est pour cela qu’un léger recul du faible stock au sein de l’UE (exportateur), ou en Australie (exportateur) ou en Russie (exportateur), demain, peut immédiatement influencer le cours du blé.

Figure 6: répartition des stocks de blé mondiaux à la fin de la campagne 2017/2017.
Figure 6: répartition des stocks de blé mondiaux à la fin de la campagne 2017/2017.

De même, il se pourrait que la Chine engrange une très mauvaise récolte, une année, et décide d’acheter 5 ou 6 Mt. Au moment même où les marchés et les spéculateurs s’en apercevraient, on assisterait à une hausse des prix du blé, jusque dans notre pays.

Propos recueillis par M. de N.

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