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Déjeuner en paix

L’invitation m’avait séduite, et j’ai déjeuné Oxfam dans une sympathique maison de village. Confitures fair-trade, lait et fromages d’une ferme locale, café Max Havelaar, chocolat d’une marque équitable…, les organisateurs avaient mis les petites tasses dans les grands bols pour conscientiser au mieux les convives affamés. Ô surprise, je n’ai vu ni lait Fairebel ni « La bande des FéLait » dans les produits exposés. Peut-être pas assez « fair » (juste, équitable) ?

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J’en ai parlé avec une dame d’Oxfam, laquelle a déploré un peu, dans tous ces produits, « l’ambiguïté hypocrite du concept » (sic), à savoir utiliser le « fair » comme fer de lance et argument de vente, alors qu’il devrait aller de soi. Notre société de consommation repose sur un pilier pourri à la base : la création de richesses par la transformation et le commerce. « Création » signifie partir de rien et obtenir un produit qui sera vendu le plus cher possible, et ce « rien », en ce qui concerne l’alimentation, c’est la production agricole achetée au prix le plus bas, chez nous ou n’importe où dans le monde. Un partage équitable de cette création de richesse n’entre pas du tout en ligne de compte dans l’organigramme du monde capitaliste, au contraire : l’injustice est sciemment entretenue, le « fair » doit repasser…

L’agriculture n’est pas la seule victime de ce système, loin s’en faut. Oxfam est surtout actif dans le secteur de l’habillement. Quand nous achetons une salopette ou un pantalon de travail, nous, agriculteurs qui avons si faim d’équité et le crions si haut et si fort, quand nous payons notre achat quelques euros, nous exploitons honteusement des millions de petites mains asiatiques. Ainsi, pour une salopette bon marché vendue 25 euros, la couturière indienne qui l’a confectionnée ne touchera que 0,15 euro, dans un labeur de misère qui l’aura vue penchée sur sa machine 15 heures par jour ! Le coton de son tissu aura nécessité 75 kg de pesticides par kg de matière première, 10 mètres cubes d’eau ; il aura été subventionné par des milliards de dollars aux USA et en Chine, au détriment des producteurs artisanaux africains.

Pour paraphraser Bourvil dans son sketch sur l’eau ferrugineuse : « Le dire, c’est bien, le « fair », c’est mieux ! ». L’être humain n’est pas un mammi-fair, un mammifère fair-play. Dans la vie, faut pas sans « fair », sinon c’est l’enfer assuré pour les paysans, les ouvriers du Tiers-Monde, et surtout les ouvrières ! Payer son domestique agricole polonais ou ukrainien trop bon marché, voire au noir, c’est pratiquer une injustice que nous condamnons chez les autres. Hélas, faire des affaires sans « fair » fait beaucoup trop partie de notre vie de tous les jours. L’homme est un loup pour l’homme, définitivement !

Les ouvrières du textile sont réduites en esclavage en Asie ; le « fast-fashion » est absolument destructeur pour l’environnement et génère chez nous un gaspillage hallucinant. Et nous participons sans nous en rendre compte à ce scandale ! Tout le monde trouve cela normal, et personne ne s’offusque, même pas nous… De même, personne ne s’émeut (dit la vache) de voir les agriculteurs de chez nous travailler pour des clopinettes. Les marques « fair » de produits alimentaires, au final, pallient faiblement à la faillite de tout un système ; elles donnent une fausse illusion aux acheteurs et vendent avant tout de la bonne conscience ! TOUS les produits – agricoles, textiles, alimentaires… – devraient être loyalement et sainement « fair », justes, équitables, dans un partage logique et objectif des richesses.

On peut en rêver, et déjeuner en paix…

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