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Mypension.be: tensions et contritions

Les premiers flocons ont poussé les dernières récalcitrantes dans les étables, et l’hivernage débute dans une ambiance habituelle d’entre-saison, où l’on cherche ses marques, où l’on s’organise dans une routine qui durera jusqu’en avril. Le temps s’étire davantage ; les soirées s’allongent, et c’est l’occasion de recevoir des visites, de parler de choses et d’autres, sans trop se plaindre et encore moins se vanter.

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Et cette année, le sujet de conversation numéro un n’est autre que cette possibilité de connaître le montant de sa pension de retraite, après toutes ces annonces distillées sur la radio et la télé. Mypension.be, nous voici ! Pour les gens de ma génération, natifs des années cinquante, cette retraite arrive à grands pas et risque d’en surprendre plus d’un… C’est devenu une sorte de jeu, voire un rituel ces jours-ci : j’ouvre mon PC, et je cherche pour mes amis visiteurs leur dossier de pension, à l’aide de leur carte d’identité et leur code Pin. Il n’y a pas de grand secret, puisque 99,9 % des agriculteurs retraités vont recevoir la pension minimale, soit 1100 et quelques euros bruts par mois. Ce n’est pas le scoop de l’année ! Quand les revenus rasent les marguerites pendant toute une carrière, il est normal que la pension tonde également les pâquerettes… Bien entendu, il existe également des pensions dites complémentaires : les PCLI et autres assurances-pension… quand elles ont été contractées et alimentées.

Finalement, ce montant n’est pas si bas, m’avouait encore hier un jeune retraité frais émoulu de 65 ans. Les dernières années de sa vie active, il gagnait moins que ces 1100 €/mois, en travaillant péniblement 70 heures/semaine. S’il avait pu arrêter plus tôt, il n’aurait pas hésité, mais hélas, son père n’avait pas cotisé pour lui dans sa jeunesse. Dès ses quatorze ans, il avait rejoint ses parents sur la ferme familiale, et ceux-ci avaient commencé à payer pour lui comme aidant seulement à ses 22 ans, après son service militaire ! Ça coûtait trop cher… Et aujourd’hui, après une carrière de plus de cinquante ans, il a droit à une belle et royale pension minimale, sans pour autant trop s’en plaindre.

Parmi les gens de mon âge, ce cas de figure revient plus souvent qu’à son tour. Les agriculteurs nés après 1960 devront même attendre 66 ans, 67 ans pour ceux nés après 1965. Sapristi ! Ils achèveront leur carrière en chaise roulante ! Le pire concerne les épouses : la plupart cotisent comme «aidantes maxi-statut» depuis 2004 ; les dizaines d’années à s’esquinter dans l’ombre de leur mari ne compteront pas pour leur pension, puisqu’elles n’ont pas cotisé. J’en connais qui râlent sec, et ne comprennent pas un tel traitement. Sabine Laruelle leur avait pourtant promis qu’elles auraient droit à une pension, mais sans préciser qu’il leur faudrait attendre un âge canonique pour recevoir quelques clopinettes. Si elles avaient su ! Elles auraient épousé un fonctionnaire, un salarié, un militaire, un gendarme…, mais pas un agriculteur. «C’est trop injuste !», disent-elles à l’unisson. C’est un manque flagrant de reconnaissance pour leur travail éreintant !

Parler ainsi de sa pension a quelque chose de déprimant. C’est la dernière marche de l’escalier avant d’arriver à l’ultime palier, à la fin de sa vie. Après, il nous restera dix, quinze, vingt ans d’existence, si tout va bien. Et vingt années dans le meilleur des cas, cela passe très, très, très vite. Pourtant, la plupart, sinon toutes mes connaissances ne sont pas fâchées de cesser leurs activités d’agriculteur. « On nous chasse dehors, avec toutes leurs complications, tous leurs papiers, toutes les misères que l’on nous fait, les primes et toutes leurs bêtises de conditionnalité, les plans de luttes sanitaires à répétition, sans compter les prix ridicules pour le lait et les bêtes… On se fout de nous, on nous prend pour rien ! »

Entre tensions et contritions, le site Internet des pensions ne fait pas que des heureux, et engendre d’innombrables ressentiments, de diverses natures…

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Voix de la terre Il n’aura fallu que cinq jours ! Lundi matin, l’énorme vieille ferme dressait encore ses murs orgueilleux au milieu du village, défiant le temps et les saisons depuis trois cents ans. Vendredi soir, elle n’était plus là, tout simplement ! Disparue, envolée, comme si elle n’avait jamais existé. Un bulldozer, deux pelleteuses, ainsi qu’une noria de très gros tracteurs attelés de bennes, ont tout rasé et enlevé en quelques dizaines d’heures. Sur le terre-plein ainsi dégagé, sera bientôt construit un complexe de vingt appartements. L’un après l’autre, les derniers témoins de la vie agricole d’autrefois disparaissent des paysages intérieurs de nos localités.
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