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Sangliers pluriels

Mes voisins sangliers sont très discrets… Ils ne sortent des bois qu’à la nuit tombée et s’en vont prendre un ver tous ensemble, un ver et ses nombreux petits frères qui grouillent dans les prairies. Ils s’installent au bar-gazon, jouent du museau en grognonnant et font la fête jusqu’au matin. Les traces de leurs libations sont bien visibles, car, comme dit le proverbe : « Cochons qui retournent la terre, font d’un pâtis une jachère ! » Les gros lurons hirsutes se gorgent de vers à la santé du fermier, cet éternel cochon payeur.

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Mes sangliers à moi sont raisonnables, et se contentent de saloper des coins humides, dans lesquels ils se vautrent gaiement, une fois leur ventre bien rempli des glands qu’ils trouvent au pied des énormes chênes qui bordent nos champs. Évidemment, quand la fantaisie leur prend de saccager une parcelle de maïs ou de pommes de terre en automne, ou de céréales en été, les cultivateurs apprécient beaucoup moins leur visite… Qui va payer la tournée générale ? Un bon coup de fusil pourrait régler le problème, en prélevant un gros lardon pour son congélateur en guise de dédommagement. Apparemment, c’est interdit : il faut disposer d’une licence. On doit dès lors devenir chasseur soi-même, ou se tourner vers les gens qui détiennent le droit de chasse sur ses terrains. Et là, les discussions commencent…

Le petit peuple des sangliers connaît en ces temps de bombance une véritable explosion démographique, et les déprédations ne cessent de s’aggraver. Cultivateurs et chasseurs campent chacun sur leurs positions et s’accusent mutuellement. Les uns dénoncent le nourrissage en forêt ; les autres déplorent l’installation de cultures appétentes (maïs, colza, pommes de terre…) jusque contre la forêt, et de nouvelles plantations (miscanthus, saule énergie, cipans) qui assurent un abri très apprécié par ces très malins sangliers. Ceux-ci s’expatrient maintenant de leur Ardenne boisée et colonisent de nouveaux territoires hors de leur zone de prédilection.

Un agriculteur devenu chasseur (on n’est jamais mieux servi que par soi-même) m’a envoyé un article très édifiant de Chasse & Nature, où Benoît Petit, président du Royal Saint-Hubert Club de Belgique, dresse un tableau éclairé de ce problème de surpopulation. Mi-lard, mi-cochon, il pointe surtout du doigt les changements climatiques, et les impressionnantes fructifications de ces dernières années ! Les chênes glandeurs font du zèle et les sangliers ont à leur disposition des buffets « à volonté » durant tout l’hiver. Et si les glands viennent à manquer en hors saison, ils se tournent vers les cultures trop proches des forêts… Les laies multiplient les nichées, avec peu de mortalité juvénile, vu la douceur du climat et la nourriture à profusion. Dans le camp militaire Roi Albert, à Marche-en-Famenne, des experts ont relevé un taux de reproduction de 300 %, alors qu’aucun nourrissage n’y a eu lieu depuis sept ans ! Et selon M. Petit, l’arrêt du nourrissage au maïs en Ardenne a eu pour effet principal, justement, le déplacement des hordes « sanglières » vers le sud et le nord, vers les zones de cultures agricoles, observé depuis 2013.

Avec ou sans nourrissage, les sangliers sont de plus en plus nombreux, et pour contrer leur surpopulation, il n’existe qu’une solution : la chasse. Pitié tout de même pour les innocents marcassins! Le plus simple et le plus avisé est de devenir soi-même porte-flingue… Si ce n’est le cas, cultivateurs et chasseurs doivent se parler et adopter des stratégies convergentes. Sans quoi, les sangliers pluriels n’ont pas fini de s’inviter dans nos champs, pour faire la fête à nos cultures et à nos prairies…

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