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Le mystère des prix

Arrivés à l’âge tendre des « pourquoi ? » et des « comment ? », les enfants nous posent parfois des questions très simples auxquelles il est compliqué de répondre. Ils mettent en lumière des interrogations tellement évidentes ! Des questionnements qui dépassent notre entendement et que nous éludons par confort ou aveuglement. Par exemple, que répondre à son petit-fils de six ans quand il vous demande, son billet bleu en guise d’étrenne à la main : « Qui est-ce qui invente les prix ? ».

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Depuis qu’il a appris à lire et comprendre les chiffres, ce petit bout d’homme a déjà une calculette dans la tête et s’évertue à convertir les euros en choses bien réelles : jeu de playstation, pain au lait, cochon d’Inde… Ceci dit, sa question a le mérite de nous renvoyer à des énigmes dignes des Mystères Glorieux du Rosaire, auxquels il convient de croire sans trop comprendre. Qui fixe les prix des biens de consommation et des services, et comment ? Tours de passe-passe du commerce… Pourquoi fluctuent-ils d’un lieu à l’autre, d’une semaine ou d’un mois à l’autre ? Diableries des spéculations… Comment calcule-t-on la valeur d’une matière, son « juste » prix ? Magie noire, et pierre philosophale qui change le plomb en or… Pourquoi certains gagnent-ils des mille et des cents, d’autres des clopinettes ? Injustices et frustrations…

Le gamin n’a pas fini de s’emmêler les pieds dans la grande valse des prix, et nous itou… Il existe des cursus scolaires et des formations très pointues sur ce sujet immensément vaste : marketing, comptabilité, merchandising, etc. Saltimbanques du cirque des finances, marchands et banquiers jonglent avec les prix, les escamotent ou les sortent de leurs chapeaux comme des lapins blancs bondissants ou des colombes froufroutantes. Les pigeons que nous sommes n’y voient que du feu, évidemment. C’est pourquoi nous acceptons bon gré mal gré les prix qui nous sont imposés, même s’ils nous étonnent, voire nous révoltent !

Par exemple, j’ai dernièrement fait appel à un technicien pour l’entretien d’un appareil de chauffage, entretien obligatoire si l’on veut bénéficier de la garantie. Vingt minutes de travail avec des outils tous simples, et une facture de cent euros hors TVA. Mon vétérinaire est venu effectuer une césarienne ce jour-là, trente minutes pour l’opération, plus dix minutes pour des soins donnés à un veau malade, avec un coût global de cent euros hors TVA, également. J’ai demandé au chauffagiste comment il avait calculé son prix ; troublé par cette question, il m’a répondu que c’était le « tarif habituel » dans sa profession. Un mystère ! Une énigme ! Le lendemain, j’ai voulu savoir comment mon entrepreneur agricole, venu épandre le purin, calculait son tarif horaire. Là aussi, il m’a dit que c’était « le prix », qu’il se renseignait auprès de ses collègues et faisait comme tout le monde…

Je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne, j’ai la désagréable impression que la plupart des prix sortent un peu de nulle part. On tape « à pouf ». Il ne reste plus au cochon payeur qu’à passer à la caisse. Question rentrées d’argent, lorsque nous vendons une bête à un mercanti, le prix proposé semble souvent octroyé à la tête du client, selon l’humeur du jour ou de la semaine. Untel vous offrira 1.500 €, Chose donnera 1.400, Machin 1.600… Et la semaine suivante, patatras, ce sera 100 ou 200 de moins. Il faut avoir l’estomac bien accroché pour ne pas vomir d’indignation ! D’un côté, nous sommes obligés de nous satisfaire des prix toujours plus bas, imposés pour nos produits ; de l’autre, nous devons payer des prix toujours plus hauts pour nos achats, biens et services !

Pour le lait, le prix payé à la ferme suit également des courbes étonnantes, en fonction des marchés mondiaux. La référence n’est autre que le lait Néo-Zélandais, produit dans des conditions dix fois plus favorables qu’en Belgique, avec une gestion désastreuse des effluents d’élevage. C’est réellement n’importe quoi !! En céréales, même chanson ! Les cours financiers des matières premières agricoles sont établis de manière à ménager des bénéfices plantureux aux industries agro-alimentaires, aux autres maillons de la chaîne alimentaire, sans le moins du monde tenir compte du prix de revient à la production ! Les agriculteurs sont victimes, pieds et poings liés, des pratiques abusives du commerce, local ou mondial !

« Qui est-ce qui invente les prix ? ». Sacré bonhomme, va ! Comment répondre à sa question, sans le plonger dans les réalités de la vie ? Il saisira bien assez tôt combien le mystère des prix est profond… et désespérant pour les exploités !

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