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Par la voie de la création variétale, le Cra-w se mobilise ardemment contre le mildiou de la pomme de terre

Dans le contexte actuel, la lutte contre l’ennemi numéro 1 de la pomme de terre requiert impérativement la mise sur le marché d’un plus large éventail de variétés associant une meilleure résistance audit mildiou et une qualité technologique répondant aux besoins du marché. Le Centre wallon de recherches agronomiques (Cra-w) participe à ce travail ; l’inscription au catalogue national en 2017 de la variété Louisa en est un bel exemple.

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Chaque année, les producteurs de pommes de terre redoutent l’apparition du mildiou, Phytophthora infestans, dans leurs cultures. Cette maladie peut faire d’énormes ravages et détruire l’ensemble du feuillage si des moyens ne sont pas mis en œuvre pour la contrôler. La cause : une utilisation quasi généralisée de variétés sensibles et une météo favorable au développement épidémique de la maladie.

Le mildiou, ravageur n°1 de la pomme de terre
Le mildiou, ravageur n°1 de la pomme de terre

Pour se prémunir des premiers symptômes, les pulvérisations répétées de fongicides demeurent l’arme principale. Malgré la transition vers une agriculture raisonnée et une limitation des traitements fongicides aux seuls cas où cela est nécessaire, l’impact environnemental et sociétal reste important.

Une autre stratégie pour lutter contre le mildiou de la pomme de terre consiste en l’utilisation de variétés de pommes de terre peu sensibles, voire résistantes . La culture de ces variétés permet une réduction de l’emploi de fongicides tout en maintenant la culture dans un bon état sanitaire. Néanmoins, par le passé, la gamme de variétés résistantes disponibles restait faible et la qualité technologie des meilleurs candidats ne permettait pas de répondre aux besoins du marché.

Actuellement, une nouvelle dynamique est en route en Europe et le panel des variétés tolérantes ne cesse d’augmenter. Le Centre wallon de recherches agronomiques participe à ce travail avec des résultats bien concrets sous la forme notamment de l’inscription au catalogue en 2017 d’une nouvelle variété baptisée Louisa.

Un programme spécialement dédié

L’amélioration de la résistance au mildiou constitue l’objectif du programme de sélection variétale du Cra-w, depuis son commencement en 2005. Grâce à Gerephyti, un projet de recherche conduit de 2013 à 2017, le programme de sélection a pris de l’ampleur. En 4 ans, près de 5.000 fleurs ont été pollinisées, 45.000 graines ont été semées, et plus de 5.000 clones ont été évalués dans des essais au champ.

Une dizaine d’années d’un travail de bénédictin

Le point de départ du schéma de sélection consiste à croiser entre elles deux variétés de pommes de terre, alors appelées géniteurs ou parents, afin de rassembler dans une seule variété les qualités des deux parents. Le choix des géniteurs est une étape cruciale.

Un pool de géniteurs résistants au mildiou a été créé Dans le cadre du projet Gerephyti. Le niveau de résistance au mildiou de plus de 60 variétés a été vérifié dans les conditions pédo-climatiques et épidémiologiques locales, sur les sites d’essais du Cra-w à Gembloux et Libramont (essai Milvar, voir ci-après). Les variétés qui présentent un comportement peu sensible sont conservées, sous forme de plants et in vitro, afin d’être utilisées comme parents.

Lorsqu’un croisement fonctionne, la plante de pomme de terre produit des fruits (ou baies), qui contiennent chacune plusieurs dizaines, voire centaines de graines.

L’année qui suit les croisements, les graines sont semées et la plante produit alors la première génération de tubercules. On parle alors de clones : à partir de cette étape, les tubercules seront multipliés par voie végétative pendant tout le processus de sélection. Ensuite, les clones doivent être multipliés d’une part, et sélectionnés d’autre part.

Si l’objectif du programme réside dans l’amélioration de la résistance au mildiou, une série d’autres critères de sélection sont appliqués : aspect des tubercules (forme, couleur, profondeur des yeux), répartition du calibre, rendement, qualité culinaire et technologique, sensibilité au virus Y. Ces données sont collectées progressivement, année après année, sur base des résultats de différents essais agronomiques.

Il s’agit d’un travail de longue haleine, et on estime généralement qu’il faut semer 100.000 graines pour obtenir une nouvelle variété. En termes de durée, on compte en général 10 à 12 ans entre les croisements et l’inscription au Catalogue national des variétés.

Alice Soete (Cra-w): «L’amélioration variétale contre le mildiou commence à porter ses fruits. Elle est aujourd’hui indispensable dans les stratégies de lutte.»
Alice Soete (Cra-w): «L’amélioration variétale contre le mildiou commence à porter ses fruits. Elle est aujourd’hui indispensable dans les stratégies de lutte.» - M. de N.

Caractérisation des variétés et des clones

Chaque année, le Centre évalue les clones provenant du programme d’amélioration et les nouvelles variétés de pomme de terre issues d’obtenteurs étrangers.

Un premier essai agronomique dit VCU (Valeur Culturale et d’Utilisation) permet de caractériser les clones et, depuis 2017 les variétés, en termes de rendement, de valeur culinaire et d’utilisation. Les clones et variétés sont comparés à des variétés de référence (chairs fermes, chairs tendres, chips, frites) et installés suivant 3 répétitions en blocs aléatoires complets, au sein de micro-parcelles de 2 lignes de 9 plantes. La parcelle est conduite à la manière d’une parcelle de production de pommes de terre de consommation.

Différents paramètres sont évalués : rendement, répartition du calibre, poids sous eau (PSE). Des tests de cuisson et des tests culinaires (jury de dégustation) sont réalisés à partir de la récolte afin de déterminer le type culinaire  :

– type A  : pomme de terre à chair fine, ferme, peu ou pas farineuse, aqueuse à modérément aqueuse et ne présentant pas de délitement lors de la cuisson. Ce type de pommes de terre convient parfaitement pour les salades, les pommes vapeur ou la cuisson en robe des champs ;

– type B  : pomme de terre à chair assez fine, assez ferme, un peu farineuse et se délitant peu à la cuisson. C’est une pomme de terre à toutes fins, convenant pour la confection de la plupart des plats ;

– type C  : pomme de terre à chair farineuse, sèche, plus tendre et grossière, présentant un délitement assez prononcé lors de la cuisson. Ce type de pommes de terre convient essentiellement à la confection de purée, pour la cuisson au four, et à la friture ;

– type D  : pomme de terre à chair très farineuse, sèche, se désagrégeant presque entièrement à la cuisson. Il s’agit d’une pomme de terre féculière ou destinée à l’alimentation animale.

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En 2017, 42 clones et 17 variétés peu sensibles ont été caractérisés. Le type culinaire de certaines variétés testées est présenté dans le tableau 1.

Un second essai agronomique dénommé Milvar (tableau 2) consiste à comparer les clones et variétés à des variétés de référence afin d’évaluer la résistance au mildiou du feuillage. Les variétés sont installées dans des micro-parcelles de 25 plantes ; 4 variétés de référence complètent l’essai : Bintje, Agria, Gasoré et Sarpo Mira. Chaque parcelle est entourée de 2 lignes de plantes de la variété Bintje (très sensible au mildiou) afin de disposer d’un inoculum homogène au sein de la parcelle d’essai. Aucune protection fongicide n’est appliquée et le suivi de la dynamique de destruction du feuillage est réalisé par la cotation du pourcentage de destruction du feuillage, à raison de deux observations par semaine.

Vue de l’essai au champ (Milvar) destiné à évaluer la résistance au mildiou du feuillage d’une large série de clones et variétés. Les différences  variétales sont particulièrement significatives.
Vue de l’essai au champ (Milvar) destiné à évaluer la résistance au mildiou du feuillage d’une large série de clones et variétés. Les différences variétales sont particulièrement significatives.

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Une note de sensibilité (de 1 à 9) est calculée en comparaison aux variétés de référence. Au total, depuis 2010, 300 clones et 75 variétés ont été évalués à Libramont. Le nombre de clones et de variétés résistantes ou peu sensibles est en nette augmentation.

Tester la sensibilité au labo

Dans le cadre du projet Gerephyti, une seconde méthode a été développée pour tester la sensibilité au mildiou des clones et des variétés en laboratoire : le test sur feuilles détachées. Cette méthode présente plusieurs avantages: les essais peuvent être réalisés tout au long de l’année et de manière standardisée ; un grand nombre de clones ou variétés peut être évalué en même temps ; et enfin, les tests peuvent être réalisés à partir de différentes souches de mildiou de génotypes déterminés et présentant des profils de virulence connus.

Plus agressives

Depuis une vingtaine d’années, le Cra-w caractérise les souches de mildiou collectées dans l’environnement. Cette caractérisation est importante car elle permet de suivre l’évolution des populations en termes de résistance aux fongicides et d’agressivité ; elle permet également le cas échéant d’adapter les modèles de prévisions du risque de développement de la maladie (avertissements mildiou). Depuis 2013, un projet de monitoring des souches de Phytophthora infestans a été entamé au niveau européen (projet Euroblight).

Carthographie de la diversité des populations de mildiou en Europe  en 2016.
Carthographie de la diversité des populations de mildiou en Europe en 2016. - www.euroblight.net

En Belgique, 3 génotypes ont dominé durant cette période ; il s’agit de 13_A2, 6_A1 et 1_A1. Les premiers résultats des échantillonnages réalisés en 2017 montrent l’occurrence de deux nouveaux génotypes : 36_A2 et 37_A2.

Le changement brutal des populations et l’apparition de nouveaux génotypes plus agressifs ou montrant une moindre sensibilité à certains fongicides conduisent à la nécessité de poursuivre ce travail tant pour l’adaptation des modèles épidémiologiques et des recommandations de traitement que pour orienter les sélectionneurs dans leur travail de création variétale.

Louisa, la nouvelle variété du Cra-w…

Depuis 2017, le Catalogue National compte une nouvelle variété de pommes de terre sélectionnée au Cra-w : la variété Louisa, issue d’un croisement entre les variétés Gasoré et Victoria. Celle-ci possède une bonne résistance au mildiou – sans être totalement résistante – et est destinée à la production industrielle de chips. La forme de ses tubercules est bien adaptée à ce genre d’utilisation, la production est très régulière et d’un rendement comparable à celui des variétés usuelles dans cette catégorie (Lady Claire, VR808, Lady Rosetta et Saturna, toutes variétés par ailleurs très sensibles au mildiou), la coloration à la friture est bonne et stable dans le temps.

Notons que Louisa est en phase de développement chez un agriculteur, qui organise la mise en place d’essais à plus grande échelle, en production conventionnelle et biologique.

… et un deuxième clone proposé

Une seconde demande d’inscription au Catalogue national a été introduite fin 2017, pour un clone issu d’un croisement entre les variétés Sarpo Mira et Apolline, très peu sensible au mildiou et destiné au marché du frais, type chair tendre. Ce clone est également testé par un agriculteur partenaire du programme de sélection.

Le changement est en marche!

L’amélioration de la résistance au mildiou devient, lentement mais sûrement, une priorité chez les obtenteurs de variétés de pommes de terre. Le nombre croissant de variétés peu sensibles montre le dynamisme actuel dans le secteur. La résistance variétale doit à présent trouver sa place dans les schémas de lutte contre le mildiou, au même titre que la protection fongicide et les mesures prophylactiques.

Alice Soete et Vincent César

, Cra-w

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