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Le carnaval des cents papiers

La saison des carnavals bat son plein un peu partout en Wallonie ! Cortèges colorés et musiques endiablées déversent leur entrain contagieux et déguisent la grisaille hivernale en ciel de fête. Chez les agriculteurs, la saison des (carna)veaux est bien lancée dans les élevages bovins ; elle coïncide avec la « saison des cent papiers » : listing TVA, eaux usées…, et bien entendu l’importantissime déclaration PAC de superficie. Et pour celle-ci, cette année, finis les papiers, justement ! Tout doit être réalisé par voie informatique : nous sommes devenus des « sans papiers » !

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Être sans papier, c’est très gênant pour tout le monde, dans certaines circonstances… Lorsqu’on est Soudanais et demandeur d’asile, c’est carrément dramatique : l’agence Franken-Airtour a tôt fait de vous renvoyer chez vous, manu militari. Des papiers, il en faut pour tout : nous vivons au pays des cent papiers ! Chaque jour, la boîte aux lettres déborde de publicité, factures, de formalités administratives à remplir. Pas question non plus de sortir sans ses papiers : sa carte d’identité, permis de conduire, carte verte, cartes de banque, etc., etc. Sans papiers, nous ne sommes rien : des parias, des hors-la-loi, des non-personnes. Alors, quand pour une fois on refuse votre déclaration sous format papier, on est décontenancé, et vaguement inquiet d’utiliser ce moyen informatique.

Cette déclaration PAC est tellement importante ! La plupart des agriculteurs n’osent pas remplir eux-mêmes les formulaires : depuis la nuit des temps, les curés, les nobles, les notables, les instituteurs leur ont répété à longueur de vie qu’ils étaient stupides et incultes. À force, cela laisse des traces… Atavisme, quand tu nous tiens ! Alors, on confie cette tâche à des « spécialistes » agricoles, pas toujours aussi spécialistes qu’ils osent le prétendre… On laisse sa vie et son exploitation dans les mains d’un étranger, plus ou moins bien inspiré, plus ou moins bien formé. Ce service n’est pas gratuit : 100 € pour remplir une déclaration PAC toute simple, parfois le double quand cela se complique. Le mieux est d’aller directement à la Direction des Services Extérieurs de sa région : les employés connaissent à fond leurs gammes, et jouent gratuitement pour vous… Mon voisin affirme laisser chaque année plus de 700 € pour l’aide au remplissage de tous ses papiers. Dans le temps, je lui faisais tout gratuitement, mais on m’a fait comprendre que je mangeais le pain des autres et gâchais le métier. Car bien remplir ses papiers, voyez-vous, c’est devenu une question de vie ou de mort pour nous, agriculteurs. Alors, on préfère payer et « être sûrs » que tout est en ordre, histoire de dormir sur ses deux oreilles.

À propos d’insomnie, un jeune négociant en fournitures agricoles m’affirmait hier faire des cauchemars de papiers, tant la charge administrative le torture. L’Afsca lui mène la vie dure, se plaignait-il, mais son souci majeur vient des factures impayées, car il débute dans le métier et ne dispose pas d’un fonds de roulement illimité. Il se demande pourquoi les gens ne payent pas, – les fermiers n’ont plus de sous, lui ai-je répondu – ; est-ce de l’impécuniosité, de la mauvaise volonté, ou de la nonchalance ? Ce dernier cas de figure se rencontre très souvent, dit-il : les agriculteurs reçoivent des monceaux de papiers et ne les rangent pas correctement. Ils oublient des factures dans des tiroirs, sans même ouvrir les enveloppes, – on croyait que c’était de la publicité, prétendent-ils –, ou les laissent traîner sans fin sur le bureau parce « qu’ils n’ont pas le temps d’y regarder ». « On n’a pas que ça à faire. »

Si les papiers pouvaient parler ! À l’occasion, papiers chiffon, un peu d’amour, papiers velours, et d’esthétique, papiers musique, c’est du chagrin, papiers dessin, avant longtemps ! Laissez glisser, papiers glacés, les sentiments, papier collant. Ça impressionne papier carbone, mais c’est du vent. Faut pas s’leurrer, papiers dorés : celui qui touche, papier tue-mouche, est moitié fou… Chez nous, agriculteurs, c’est le carnaval des cent papiers, tout au long de l’année !

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