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Désherbage en betteraves et chicorées: combiner phytos et travail mécanique? Des avancées, mais pas la panacée!

La mise en pratique de la lutte intégrée, la révision à la baisse des doses autorisées de nombreux produits, l’absence de nouvelles molécules et de nouveaux modes d’action, la résistance de certaines adventices, la pression exercée par la société et les politiques… Raisonnée, la protection phyto des cultures est encore amenée à évoluer notamment avec le soutien de moyens mécaniques, aujourd’hui testés.

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Il y avait foule, et un soleil de plomb, les 13 et 14 juin derniers à Ramillies, à proximité d’Eghezée, à l’occasion des Journées techniques betteraves sucrières et chicorées organisées par L’Institut de la betterave, et de nombreux partenaires, sur le thème de la protection des plantes raisonnée aujourd’hui et demain.

Plusieurs problématiques étaient exposées à travers des essais au champ et sous la forme de panneaux didactiques : les possibilités actuelles et futures du désherbage combinant traitements chimiques et interventions mécaniques ; les atouts, perfectionnements et limites de différents outils aujourd’hui disponibles pour le désherbage mécanique ; les buses de pulvérisation permettant de réduire la dérive de la bouillie appliquée sur les cultures, etc.

La chicorée, un désherbage difficile et en évolution

Étape clé de l’itinéraire culturale de cette plante, le désherbage a fortement évolué au cours du temps. On est ainsi passé du système KAL au mini-Kal, puis aux mini-doses et, cette année, une autorisation a été accordée en faveur de l’utilisation du Boa et de l’Asulox pendant 120 jours, ce qui fut d’un grand secours. À noter que la corne de cerf (senebière) était impossible à combattre ; en intervention précoce, le Boa s’avère très efficace.

Les herbicides constituent d’ailleurs le poste le plus important parmi les produits phytos appliqués sur la chicorée : en moyenne quelque 4,7 kg de matières actives par ha.

Les adventices difficiles à éliminer sont bien connues : la petite et la grande ciguë, la chrysanthème des moissons, l’arrochée étalée, le chénopode et d’autres espèces très difficiles à combattre comme la mercuriale.

« Le problème c’est qu’aujourd’hui, la chimie ne propose pas de nouveaux modes d’action, ni de nouveaux produits. Par ailleurs, les doses maximales autorisées de certains produits sont revues à la baisse ; c’est le cas du Bonalan, en présemis, désormais limité à 8 l/ha, d’où une perte d’efficacité », note Olivier Mostade, du Cra-w.

Et d’ajouter que si, dans l’état actuel des solutions de remplacement, le zéro phyto n’est pas réalisable à court terme pour la chicorée, il est cependant possible de réduire l’usage de la phytoprotection.  C’est en outre utile économiquement et pour l’environnement. Et cela répond à l’entrée en vigueur de la lutte intégrée (IPM) qui consiste à utiliser tous les moyens de protection des plantes existants pour agir efficacement, en commençant par la lutte préventive. Autrement dit : veiller à la bonne rotation des cultures (alternance de plantes de printemps et d’automne) pour réduire les populations d’adventices, combiner les modes d’action des phytos et les alterner dans la rotation, intégrer des méthodes de désherbage non chimiques. L’évolution va en effet dans le sens de contraintes toujours plus fortes sur l’usage des pesticides.

Le travail mécanique, en forte évolution…

L’emploi d’outils spécifiques (houe rotative, bineuse, désherbineuse, herse étrille, roto étrille et même robot) se présente comme une voie alternative au tout chimique.  Ces équipements ont considérablement évolué ces dernières années, avec parfois des développements de haute technologie. Ils se distinguent aussi par leur grande diversité qui permet à certains outils de travailler entre les rangs, dans les rangs et même d’assurer simultanément une pulvérisation localisée. On observe aussi un gain de précision avec l’autoguidage de bineuses (via caméra) et le GPS-RTK du tracteur. Parallèlement, les constructeurs revoient à la hausse la largeur de travail de ces outils, leur flexibilité et leur confort d’utilisation.

… mais sous contraintes

Les possibilités d’intervention avec cet équipement mécanique souffrent encore de sérieux handicaps et ce, à quatre niveaux :

– le stade de la culture : il n’est pas possible d’utiliser les outils travaillant en plein (rangs et interrangs) avant le stade (2)-4 vraies feuilles ;

– l’outil disponible, son mode d’action et les possibilités de régler son « agressivité » sur les mauvaises herbes : une herse étrille sera efficace sur des adventices jusqu’au stade 2 feuilles, tandis qu’une bineuse pourra travailler jusqu’au stade 6 feuilles ;

– le type d’espèces à détruire et leur nombre : les graminées sont plus difficiles à éliminer que les dicotylées. Par ailleurs, plus la densité de mauvaises herbes est élevée, plus l’efficacité du passage mécanique sera limitée ;

– les conditions de sol et la météo : sur un sol ressuyé, nivelé, il conviendra de faire attention aux débris et cailloux lorsque l’on travaille avec des outils à dents, tandis que pour une bonne mortalité des adventices arrachées, chaque passage devra idéalement être suivi de quelques jours de conditions séchantes ! Or, à l’exception de cette année, les relevés météo comptabilisés au cours de ces 10 dernières années pour les mois de mars, avril, mai montrent que ces conditions idéales pour une intervention de désherbage mécanique ne surviennent que 2 à 3 fois par an au cours de ces 3 mois, ce qui limite le nombre de ces passages. Autrement dit, les modalités de cette combinaison d’interventions chimiques et mécaniques devront être adaptées chaque année en fonction des circonstances. Ce constat est à prendre en compte dans le calcul de rentabilité et d’amortissement de cet outillage de désherbage mécanique.

Combinaison chimique et mécanique sur chicorées

L’essai mis en place le 4 avril sur la plateforme à Ramilies vise à évaluer l’intérêt d’une intégration plus ou moins poussée du désherbage mécanique par rapport au désherbage chimique classique. Autre objectif : comparer l’efficacité de différents outils : désherbineuse (avec pulvérisation localisée sur les lignes), bineuse classique ou dotée de moulinets, herse étrille, roto-étrille.

«Avec la modalité «tout mécanique», les interlignes sont bien nettoyés, mais sur la ligne, il reste çà et là  de gros soucis», commente Olivier Mostade devant l’essai dédié  au désherbage combinant  interventions chimiques et  mécaniques en culture de chicorée.
«Avec la modalité «tout mécanique», les interlignes sont bien nettoyés, mais sur la ligne, il reste çà et là de gros soucis», commente Olivier Mostade devant l’essai dédié au désherbage combinant interventions chimiques et mécaniques en culture de chicorée.

La flore adventice principalement observée était composée de sené, laiteron, chénopode et morelle noire. Le climat du mois d’avril (sec et froid) a freiné la levée de la chicorée et des adventices, d’où une pression de salissement plutôt faible et des différences entre les modalités de désherbage peu significatives visuellement, lors de la visite.

Le prix indicatif des produits (itinéraire classique, tout chimique, 7 passages, 5 modes d’action) a été estimé à 359 euros/ha (254 euros sans Bonalan).

Le coût par ha et par passage des différentes machines testées (intégrant les coûts de la machine, de la traction, de la main-d’œuvre et éventuellement des phytos) a été évalué comme suit au moyen du logiciel Mecacost ( www.mecacost.cra.wallonie.be ) :

– herse étrille de 6 m (prix : 5.500 euros) : 17 euros ;

– roto étrille 6 m (14.000 euros) : 22 euros ;

– bineuse 12 rangs (19.000 euros) : 39 euros ;

– bineuse 12 rangs + caméra (33.000 euros) : 51 euros ;

– pulvérisateur traîné de 24-28 m et 3.000 l (45.000 euros) : 53 euros ;

– bineuse 12 rangs + caméra + moulinets (43.000 euros) : 56 euros ;

– désherbineuse 12 rangs (29.000 euros) : 66 euros ;

– désherbineuse 12 rangs + caméra (43.000 euros) : 73 euros.

Le coût/ha des différents itinéraires de désherbage testés (Bonalan non compris) a également fait l’objet d’une estimation :

– 3 binages avec moulinets de doigts flexibles en caoutchouc pour arracher les toutes petites adventices sur la ligne (zéro phyto) : 169 euros ;

– 3 binages et 3 passages de roto étrille (zéro phyto) : 218 euros ;

– 1 traitement en pré + 5 traitements en postémergence (100 % phytos) : 322 euros ;

– 1 pré, 2 post et 2 binages avec moulinets : 356 euros ;

– 1 pré, 2 post, 2 binages et 2 herse étrille : 379 euros ;

– 1 pré, 1 post et 4 désherbinages : 392 euros.

À suivre jusqu’à la récolte finale

S’il était déjà possible de tirer, lors de cette visite, quelques enseignements des différentes combinaisons chimique + mécanique appliquées, des observations devaient toutefois encore être réalisées et les rendements finaux mesurés avant de pouvoir évaluer concrètement leur efficacité, leur impact sur le rendement et leur rentabilité… dans le contexte bien particulier de cette saison 2017 !

Sous la conduite de Bruno Huyghebaert, du Cra-w, l’efficacité de différentes buses anti-dérive de 50 
% faisait également partie des thèmes mis en avant lors de ces deux journées.
Sous la conduite de Bruno Huyghebaert, du Cra-w, l’efficacité de différentes buses anti-dérive de 50 % faisait également partie des thèmes mis en avant lors de ces deux journées. - M. de N.

Et pour la betterave ?

En culture betteravière également, les herbicides prennent une part majoritaire (85 %) de la phytoprotection sur le plan quantitatif/ha. La généralisation des mélanges à doses réduites (Far) répétées sur des adventices à des stades très précoces a permis de réduire considérablement les quantités des substances actives appliquées dans la culture.

« La mise en œuvre de la lutte intégrée, la résistance de certaines adventices (arroche étalée, chénopode avec mutation), l’absence de nouveaux produits et de nouveaux modes d’action, les réductions de doses autorisées de certains produits (Goltix 5 l/ha au lieu de 7 l/ha)… et la pression sociétale imposent la mise en œuvre d’itinéraires herbicides innovants. Et ici, également, une piste alternative est à trouver dans les outils de travail mécanique, avec les atouts et les contraintes déjà soulignés ci-avant », intervient Fabienne Rabier, du Cra-w.

D ésherbage combiné chimique et mécanique

Semé le 27 mars après froment, un essai porte sur la combinaison d’interventions chimiques et mécaniques. « Après le semis, la météo a été correcte pendant une dizaine de jours, avril a ensuite été froid et sec. Résultat : après la levée, les plantules sont restées longtemps aux stades cotylédons – 2 feuilles tandis que des adventices levées juste après le semis se sont endurcies et avérées difficiles à éliminer », poursuit Fabienne Rabier.

Cinq modalités de destruction des adventices ont été éprouvées (le coût total est exprimé en euros/ha) :

– itinéraire 1 : 6 traitements Far (321) ;

– itinéraire 2 : 1 Far + 5 désherbinages (384) ;

– itinéraire 3 : 4 Far + 1 binage (289) ;

– itinéraire 4 : 3 Far + 2 binages (290) ;

– itinéraire 5 : tout mécanique (180).

La flore adventice était essentiellement composée de sené, laiteron, chénopode, morelle noire, renouée persicaire et renouée des oiseaux.

Le prix indicatif des produits (itinéraire classique, tout chimique, sans pré, 4 modes d’action) est estimé à 252 euros/ha. Le coût/ha des différentes interventions a déjà mentionné ci-avant dans le volet consacré aux chicorées.

Les observations au 6 juin

En termes d’efficacité, exprimée en % d’adventices détruites, dans les conditions météo bien particulières de ce début de saison, les itinéraires 3 (98) et 4 (97) combinant le chimique (moins de phyto) et le mécanique devancent le tout chimique (91) et l’itinéraire 2 (81) et le tout mécanique (70) ; les itinéraires 2 et 5 montrant particulièrement leurs carences !

Vue d’une parcelle témoin en culture betteravière. Très explicite pour qui doute de l’impérative nécessité de lutter contre le salissement des terres.  A ce jour, se passer d’herbicides est simplement impossible!
Vue d’une parcelle témoin en culture betteravière. Très explicite pour qui doute de l’impérative nécessité de lutter contre le salissement des terres. A ce jour, se passer d’herbicides est simplement impossible! - M. de N.

Concernant le « tout mécanique », le désherbage dans les rangs des betteraves demeure extrêmement problématique et sans solution actuellement ! Par ailleurs, en comparaison avec le binage classique, l’action des moulinets et de la roto étrille est très limitée lorsque les adventices ont déjà une certaine taille.

À noter aussi que le travail du sol réalisé par les outils de désherbage mécanique permet aussi un écroûtage, bien utile dans certaines conditions, et une activité de la capillarité.

On retiendra aussi que les conditions propres à l’année ont un gros impact sur la possibilité d’engager le désherbage mécanique (rentabilité ?) et sur les résultats.

Il faudra donc répéter cette expérimentation sur plusieurs années pour analyser l’impact de ces itiné raires combinant désherbage chimique et mécanique sur le rendement et sur le salissement des parcelles au cours du temps.

Propos recueillis par

M. de N.

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