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Les sabots de bois en Flandre: entre tradition et déclin

Les chaussures de sécurité et les bottes en caoutchouc ont relégué au second plan les sabots de bois. Nous avons rencontré deux des derniers sabotiers flamands pour en savoir plus sur leur métier. « Si je ne fais pas d’efforts maintenant, la fabrication de sabots en Flandre sera terminée », affirme l’un d’eux.

Temps de lecture : 8 min

En Flandre, les sabots de bois étaient omniprésents jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les agriculteurs les portaient pour travailler dans les champs par tous les temps. En été, la chaussure en bois permettait aux pieds du fermier de rester au frais et de respirer. Du côté des ouvriers d’usine, ils offraient une protection contre les blessures causées par les machines.

« Autrefois, tout le monde avait l’habitude de porter des sabots, mais aujourd’hui, ça devient rare », explique Ronny Mondelaers, un des rares à maîtriser encore cet artisanat. Avec Tim Van Goethem, autrefois son élève et aujourd’hui sabotier, ils se sont rencontrés au Klompenmuseum Den Eik, à Laakdal.

Une histoire de famille

Ronny et Tim ont tous les deux la fabrication de sabots dans le sang. « Mon père, Sam Mondelaers, a été sabotier pendant plus de 75 ans », explique Ronny. Son grand-père, son arrière-grand-père et son arrière-arrière-grand-père faisaient également ce métier. « J’ai littéralement grandi là-dedans. Enfant, je dormais sur un établi pour fabriquer des sabots. Il n’est donc pas étonnant que je m’y sois mis aussi. »

À partir des années 70, Ronny, son père et ses frères ont commencé à organiser des démonstrations de fabrication traditionnelle de sabots dans les salons. « Nous sommes allés aux Pays-Bas, en Allemagne, et même à Casablanca. »

À 40 ans, Tim est probablement le plus jeune sabotier de Flandre. Il a appris le métier auprès de Ronny après avoir été lui-même fasciné par les chaussures en bois suite à une découverte dans son arbre généalogique.

« En l’examinant, il s’est avéré que 5 ou 6 générations de mes ancêtres étaient sabotiers », raconte Tim. « J’ai alors commencé à collectionner des matériaux d’occasion pour fabriquer des sabots et j’ai cherché des personnes qui en savaient plus à ce sujet. C’est ainsi que j’ai fini par entrer en contact avec Ronny et son père ». Entre-temps, il a aménagé son propre atelier dans son jardin.

Patrimoine immatériel

À la fin des années 50 et au début des années 60, la demande de sabots a diminué avec l’apparition des bottes en caoutchouc. Les agriculteurs disposaient désormais d’un moyen plus efficace pour garder leurs pieds au sec. Cela a progressivement marqué la mort de la saboterie en tant qu’industrie. « À une époque, l’entreprise de mon grand-père produisait 500 paires par jour et employait 36 personnes », se souvient Ronny. Mais en 2008, son père a finalement dû abandonner l’entreprise familiale après des années de déclin.

« Il y a quelques années, Verreydt-Verboven à Grobbendonk a également cessé de fabriquer ses propres sabots », indique Ronny. Verreydt-Verboven était le dernier sabotier commercial actif en Flandre, fournissant notamment les sabots des Gilles de Binche en Wallonie. Ils en vendent toujours, mais fabriqués aux Pays-Bas, selon leurs propres modèles.

Ronny et Tim craignent tous deux que ce savoir-faire de leur région ne disparaisse. Ils ont déjà pris part à plusieurs initiatives visant à le perpétuer. Ils font, par exemple, partie du Klompenforum Vlaanderen, une association qui rassemble la plupart des acteurs restants dans le monde de la saboterie flamande.

En 2017, la culture du sabot flamand a également été inscrite sur la liste du patrimoine immatériel. Cette liste comprend d’autres métiers artisanaux tels que le tissage à la main et le meunier, ainsi que les fêtes de Gand, la culture des Géants et les baraques à frites.

« Cette inscription a donné un petit coup de pouce à l’intérêt pour les chaussures en bois, mais nous n’avons pas réussi à maintenir cet engouement », regrette Ronny. « Puis, on n’apprend pas à fabriquer des sabots du jour au lendemain. Cela demande du temps et un suffisamment d’intérêt pour développer le savoir-faire nécessaire. C’est pourquoi les gens ont plus de mal à s’investir dans l’artisanat ».

Des tentatives ont également été effectuées pour inscrire la fabrication de sabots sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, mais en vain jusqu’à présent. « Je crains que ce ne soit un peu trop ambitieux. Seule, la Flandre n’y parviendra pas, même si nous nous regroupons avec tous les sabotiers restants du nord de la France et des Pays-Bas, cela restera difficile », poursuit Ronny.

Une paire de patines, les prédécesseurs des sabots, sur le « Portrait de Giovanni Arnolfini et de sa femme » de Jan van Eyck (1434).
Une paire de patines, les prédécesseurs des sabots, sur le « Portrait de Giovanni Arnolfini et de sa femme » de Jan van Eyck (1434).

Fabrication de souvenirs

« Aux Pays-Bas, ils sont actuellement un peu plus actifs, tandis que la fabrication de sabots en Flandre est en déclin », ajoute-t-il. « Les Néerlandais viennent ici lors de salons et d’événements pour montrer comment les confectionner, avec les connaissances que moi et ma famille leur ont transmises quand nous sommes allés donner des démonstrations dans leur pays ».

Aux Pays-Bas, il existe encore des régions où les gens portent des sabots. Le plus grand sabotier, Nijhuis à Beltrum, produisait encore un million de ces chaussures en bois il y a cinq ans. « Mais depuis, la production de Nijhuis a diminué de 10 % chaque année », indique Ronny. Ce savoir-faire est donc également en déclin chez nos voisins néerlandais.

Outre Nijhuis, il existe encore 13 entreprises actives dans ce domaine, selon Ronny. Cependant, leur production est si faible qu’elles doivent se limiter aux tailles les plus courantes. Ils achètent le reste à Nijhuis. Par ailleurs, les sabotiers traditionnels doivent fabriquer des souvenirs en forme de sabot, comme des porte-clés, pour joindre les deux bouts. « Ils tentent ainsi de maintenir leur activité, car la situation des sabots aux Pays-Bas suit la même tendance qu’en Belgique », prévient Ronny.

De plus, Tim a remarqué que les gens étaient davantage intéressés par les gadgets que par l’artisanat lui-même lors d’une démonstration de fabrication de sabots à la Journée de l’agriculture à Westmalle. « Beaucoup de gens appréciaient les porte-sabots, alors que mon objectif était de montrer notre métier. Ces personnes sont malheureusement coincées dans une logique commerciale d’achat et ne se préoccupent plus de la manière dont les produits sont fabriqués. »

Le pays des sabots ?

Si les Pays-Bas sont internationalement connus comme le pays des sabots, ce sont en réalité les Belges qui leur ont transmis ce savoir-faire. « Le sabot moderne est né dans le nord de la France et est arrivé aux Pays-Bas en passant par la Belgique », souligne Ronny.

Des chaussures en bois avec une longue histoire. « Les Romains marchaient déjà sur des petites planches de bois pour ne pas se salir dans la boue des rues ». Ces patines étaient également portées par la bourgeoisie au Moyen Âge : on peut en voir une paire sur le « Portrait de Giovanni Arnolfini et de sa femme » de Jan van Eyck, datant de 1434.

Les patines sont les précurseurs des sabots. Le petit âge glaciaire ne faisait qu’accentuer le froid en Europe à la fin du Moyen Âge. Dans les paysages humides des polders en Flandre, des chaussures chaudes et sèches comme le sabot étaient donc les bienvenues. Le plus moderne est venu du nord de la France en Belgique, où chaque village avait son propre sabotier à cette période.

De la fin du XIXe siècle jusqu’à la première moitié du XXe siècle, la saboterie était une véritable industrie au nord de notre pays, et plus particulièrement dans les régions du Waasland, du Meetjesland et de la Campine anversoise. À cette époque, la production de sabots était davantage enracinée en Flandre qu’aux Pays-Bas. En effet, jusqu’en 1936, plus de sabots étaient importés de Belgique par les Néerlandais que ceux exportés par ces derniers. Par conséquent, la Belgique produisait une quantité excédentaire de sabots qu’elle exportait vers les Pays-Bas, la France et l’Allemagne.

La mécanisation de l’industrie du sabot a, elle, commencé dans les années 1930. « Mon grand-père a acheté sa première machine en 1928 ». Mais ces progrès n’ont hélas pas pu empêcher la fin de la fabrication de sabots.

Un savoir-faire en déclin

« Si les agriculteurs recommençaient à porter des sabots, cela serait bénéfique pour nous », dit Ronny. « Mais avec les machines agricoles modernes, c’est compliqué… ». Il est d’ailleurs évident que les sabots ont perdu leur fonction première de chaussures de travail et il est peu probable qu’ils la récupèrent un jour.

De plus, la perte de tout intérêt commercial entraîne, selon Ronny, un changement de perception de la saboterie. « Autrefois, les sabotiers étaient des professionnels. Ils ont développé toutes les techniques. Depuis que l’activité économique a disparu, c’est devenu un métier d’artisan ».

Tim ajoute : « Nous pouvons être fiers d’avoir conservé ce savoir-faire et de pouvoir le montrer ». Si Ronny a récemment arrêté de donner des démonstrations, Tim les poursuit courageusement dans l’espoir de susciter chez d’autres la même fascination que lui. « Mais ce n’est pas facile pour lui de tenter seul de sauver l’artisanat », explique Ronny. Il est notamment compliqué pour Tim de trouver le bon bois pour une démonstration. Il a même fait des randonnées de 50 km en sabots pour attirer l’attention sur le produit. « Si je ne fais pas d’efforts maintenant, c’en sera fini de cette fabrication en Flandre », souligne Tim.

Quelques formations enseignent les rudiments de la fabrication de sabots aux apprentis. Aux Pays-Bas, il en existe avec une dizaine d’élèves chacune. Dans le village de Klinge, à la frontière néerlandaise, il est également possible de suivre un cours de courte durée. « Mais ces formations de base ne sont pas encore idéales. Pour conserver le savoir-faire à un niveau suffisamment élevé, il faut un expert capable de le transmettre de manière magistrale », note Ronny. Pour l’instant, il faut toucher du bois pour l’avenir du sabot.

D’après Thor Deyaert

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