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Moissons retardées par les pluies abondantes: la qualité du grain en pâtit sévèrement

Les pluies systématiques et les faibles températures survenues fin juillet et début août, juste après la maturité des froments, constituent des conditions favorables, d’une part, au développement des mycotoxines comme la zéaralenone par les agents de type Fusarium et, d’autre part, au déclenchement de la pré-germination physiologique sur pied (même en condition non versée).

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Cette année, la maturité des froments était atteinte en moyenne vers le 20 juillet. Une récolte vers le 10 août signifie une sur-maturité de 21 jours. Lors d’une année habituelle, la maturité se situe plutôt autour du 1er août. La date de moisson du 10 août de cette année revient à l’équivalent d’une moisson du 21 août d’une année habituelle. C’est une situation très critique.

Battre séparément les zones versées

La qualité sanitaire et technologique entre les lots récoltés en juillet et en août sera tellement différente qu’il est vivement déconseillé de les mélanger. Il faudra également être vigilant lors des mélanges de différents lots de la récolte d’août.

Au niveau de la moisson, il faut récolter en dessous de 17,5 % d’humidité et sécher rapidement les grains à 14,5 % d’humidité. Il est préférable de battre séparément les portions de champs qui sont versées tant pour des raisons sanitaires que technologiques.

Lors de la collecte des céréales, il faut nettoyer, sécher et ventiler pour éviter des poches d’humidité propice à la production de mycotoxines de type ochratoxine A (OTA) en cours de stockage.

Au niveau sanitaire, il est recommandé de contrôler la mycotoxine ZEA (et plutôt T-2/HT-2 en céréales de printemps) surtout pour les usages en alimentation humaine.

Sur le plan technologique

Concernant l’aspect technologique, il est conseillé de procéder à une analyse de l’état de pré-germination physiologique par la mesure du temps de chute de Hagberg (exprimé en seconde), surtout pour les usages en panification. Pour celui-ci, le seuil strict pour une année normale est une valeur supérieure ou égale à 220 s et le seuil souple pour une année critique est une valeur supérieure ou égale à 180 s. Historiquement, en année très difficile, ce seuil souple a déjà été abaissé à 150 s. Il faut alors s’attendre à des difficultés croissantes de mise en œuvre.

Au-delà de 2,5 % de grains germés, les valeurs du temps de chute de Hagberg correspondent souvent à des lots qui ne pourront pas être affectés aux usages en panification. Pour l’utilisation en amidonnerie-glutenerie-éthanolerie, cette valeur est de 5,0 %. Ce dernier seuil peut également être utilisé en blé dur et orge brassicole.

Plus précisément, pour l’utilisation en amidonnerie-glutenerie-éthanolerie, les seuils stricts (année normale) et souple (année critique) recommandé pour le temps de chute de Hagberg sont respectivement de 150 s et 100 s. Ici aussi, ces derniers seuils peuvent être utilisés en blé dur et orge brassicole.

Les grains germés n’affectent pas l’utilisation en alimentation animale pour autant qu’ils aient été séchés rapidement après la récolte.

Les poids à l’hectolitre des grains récoltés en août, même non-germés, seront très bas à cause des pluies, sachant que 10 mm de pluie diminuent de 0,5 point le poids à l’hectolitre. La germination des grains diminue encore plus le poids à l’hectolitre. Toutefois, celui-ci n’affecte pas du tout la valeur alimentaire de la récolte.

Pour l’amidonnerie-glutenerie-éthanolerie et les usages en panification, les grains peuvent être utilisés tant qu’ils ne sont pas prégermés. Les seuils strict et souple (grains nettoyés) recommandés pour le poids à l’hectolitre en amidonnerie-glutenerie-éthanolerie sont respectivement de 72 kg/hl et 69 kg/hl. Les seuils strict et souple (grains nettoyés) recommandés pour le poids à l’hectolitre en panification sont respectivement de 76 kg/hl et 73 kg/hl.

Les semis et/ou variétés tardifs seront probablement moins affectés par les problématiques sanitaires (mycotoxines des Fusarium) et technologiques (pré-germination physiologique sur pied).

Afin d’anticiper les prochaines années problématiques avec une récolte en sur-maturité, comme cette année et en 2021, il est recommandé aux filières panifiables de récolter (en juillet) les grains presque matures encore humides (17 à 18 % d’humidité) pour s’assurer de leur approvisionnement et de les sécher, bien évidemment. Sans cette pratique, de telles filières risquent probablement de se retrouver avec une récolte (en août) en sur-maturité importante où bien trop de lots seront déclassés par rapport aux besoins.

Tant pour des raisons sanitaires que technologiques, il est préférable  de battre séparément les zones de champs qui sont versées.
Tant pour des raisons sanitaires que technologiques, il est préférable de battre séparément les zones de champs qui sont versées. - J.V.

Attention aux mycotoxines

En ce qui concerne le deoxynivalenol (DON) venant des Fusarium, la stratégie de pré-récolte basée sur une collaboration de plusieurs institutions a montré qu’aucun des 100 échantillons de froment d’hiver collectés en Wallonie et en Flandre ne dépasse les teneurs maximales autorisées (1.250 ppb dans les céréales brutes destinées à l’alimentation humaine et 8.000 ppb pour celles destinées à l’alimentation animale). Ce sont les pluies qui surviennent autour du moment de la floraison de la céréale (fin mai à début juin) qui sont déterminantes pour l’infection des épis.

La quantité en mycotoxine DON n’augmente pas après la date de maturité de la céréale. Il est donc peu probable que la teneur en DON soit plus élevée pour des récoltes en sur-maturité.

La stratégie de pré-récolte ne fonctionne que pour le deoxynivalénol (DON). Les Fusarium peuvent également produire d’autres mycotoxines comme la zéaralenone (ZEA). Il n’est pas possible de mettre en place une stratégie anticipative pour la ZEA car elle est produite sur des grains en sur-maturité (comme cette année). Seules des analyses au moment de la récolte permettront de déterminer les teneurs en ZEA pour lesquelles les normes sont plus basses (maximum 100 ppb dans les céréales brutes destinées à l’alimentation humaine et 2.000 ppb pour celles destinées à l’alimentation animale).

Sur les céréales de printemps en sur-maturité, les Fusarium peuvent produire plutôt les mycotoxines T-2/HT-2 (niveaux maximums recommandés de 100 ppb dans les céréales brutes destinées à l’alimentation humaine et 500 ppb pour celles destinées à l’alimentation animale) au lieu de la ZEA.

Les agents pathogènes peuvent également produire des hydrophobines qui sont une des sources possibles du gushing (surmoussage) des bières. Elles peuvent également être produites lors du maltage.

Au niveau de la réception des céréales, la ventilation et le séchage sont essentiels pour la conservation des grains mais aussi pour éviter des poches d’humidité qui peuvent conduire au développement de moisissures et à la production en cours de stockage d’ochratoxine A (OTA ; maximum 5 ppb dans les céréales brutes destinées à l’alimentation humaine et 250 ppb pour celles destinées à l’alimentation animale).

Les mycotoxines ZEA et/ou mycotoxines T-2/HT-2 peuvent également être produites sur le grain lorsqu’il est stocké en conditions trop humides ou lors de son maltage.

 Et au niveau des variétés ?

Le degré de sensibilité à la fusariose des épis des variétés de froment est le suivant (Livre Blanc, septembre 2022) :

– faible : Cubitus, Hymalaya, Kws Keitum, Kws Smart, Kws Sverre, Lg Apollo, Porthus, Rgt Perkussio et Su Ecusson ;

– intermédiaire : Bergamo, Campesino, Chevignon, Crossway, Graham Irun, Johnson, Kws Dag, Kws Dorset, Kws Extase, Kws Talent, Lg Keramik, Lg Mondial, Lg Spotlight, Sy Insitor, Sy Revolution et Winner ;

– élevée : Bennington, Gleam, Hyking, Informer, Lg Skyscraper, Mentor, Positiv, Ragnar, Rgt Gravity, Safari, Socade Cs, Solange Cs, Wpb Calgary et Wpb Monfort.

Un précédent céréale (particulièrement le maïs) et/ou le non-labour (pas d’enfouissement des pailles de céréale) constituent des conditions favorables au développement des Fusarium.

En cas de pré-germination physiologique sur pied

La combinaison de pluies systématiques et de faibles températures survenant après la maturité du grain induit le démarrage de sa germination. Elle peut avoir lieu même sur des épis non versés. Ce phénomène débute avec la pré-germination physiologique du grain qui est mesuré par le temps de chute de Hagberg (lire ci-avant). Quelques pourcents de grains germés suffisent pour affecter fortement la valeur du temps de chute d’un lot et d’engendrer son déclassement.

Comme chaque année, le temps de chute de Hagberg fait l’objet d’un suivi. Avec la maturité, la valeur de ce temps de chute augmente pour atteindre un plateau qui, en fonction de la variété, du pédoclimat et de la date de semis, reste stable pendant un certain temps. Il faut guetter l’amorce de la diminution de ce paramètre traduisant l’enclenchement des mécanismes de germination. Une fois la descente amorcée, celle-ci peut, selon les années et variétés, être très rapide. Quand les germes sont visibles, c’est trop tard !

Il est impossible d’augmenter ce temps de chute avec des additifs. Si la pré-germination n’a pas encore migré vers l’amande du grain, il est supérieur de l’ordre de 30 secondes sur une farine blanche T55 par rapport à sa mouture intégrale correspondante. Dans les mêmes conditions, la valeur du temps de chute de Hagberg peut monter un peu quelques mois après le stockage des grains.

Les espèces susceptibles d’être affectées par la pré-germination physiologique sur pied sont, des moins sensibles au plus sensibles : l’épeautre, le froment, l’orge, le blé dur, triticale et le seigle.

 Et au niveau des variétés ?

Le degré de sensibilité à la pré-germination physiologique sur pied des variétés de froment est le suivant (résultats de la récolte 2021 en Wallonie) :

– faible : Campesino, Crossway, Graham, Hyacinth, Hyvega, Kws Dag, Kws Donovan, Kws Dorset, Kws Talent, Lg Apollo, Lg Farrier, Lg Spotlight, Lid Maclote, Porthus, Positiv, Su Shamal, Wpb Calgary, Wpb Editor et Wpb Monfort ;

– intermédiaire : Bergamo, Broadway, Chevignon, Cubitus, Geluck, Hymalaya, Informer, Irun, Kiplay, Kws Extase, Lg Insight Lg Mondial, Lg Skyscraper, Mentor, Rgt Gravity, Rgt Perkusssio, Rgt Volteo, Safari, Solange Cs, Su Ecusson et Winner ;

– élevée : Artesien, Bennington, Gleam, Johnson, Kws Keitum, Kws Smart, Lg Keramik, Kws Sverre, Mindful, Ragnar, Socade Cs et Sy Insitor.

Une année n’étant pas l’autre et les situations pouvant être différentes localement, il n’est pas acquis que ce classement se vérifiera en 2023.

La verse favorise et accentue encore la pré-germination physiologique de sorte qu’il est, pour rappel, conseillé de récolter séparément les parties de champs versées.

D’après le Cepicop

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