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L’air du temps, l’air de rien

L’An Nouveau est arrivé ! Il s’est ouvert à nous comme un coffret-découverte de sachets de tisanes, où diverses fleurs et épices sont proposées : cannelle, vanille, verveine, tilleul, camomille, thé, etc. À nous de picorer parmi un large éventail de fragrances, au jour le jour ! 

Temps de lecture : 5 min

Pour l’instant, je choisirais bien menthe et thym pour la respiration, tant l’air du temps est lourd et malsain, un air de rien de bon… Il est bourré de gaz à effet de serre, pollué par les fumées du capitalisme ; il pue la haine et la guerre aux portes de l’Europe ; il sent l’indifférence, le repli sur soi chez les nantis ; il exhale la misère des déshérités et des laissés-pour-compte, leur solitude morale, ici et partout dans le monde.

Pour masquer ces odeurs, nous donner un grand bol d’air frais, le coffret-cadeau 2024 met à notre disposition toute une panoplie de parfums enivrants, récréatifs, consolants. Amour et affection dans nos familles ; épanouissement au travail dans nos fermes ; joie de lire et bonheur absolu d’écrire ; enchantements des rencontres ; plaisirs au quotidien… Fort heureusement, l’air du temps ne fait pas toujours la chanson dans nos aires protégées, ne donne pas le tempo à nos existences. Quoique… Nous sommes tout de même obligés de le respirer, d’y puiser notre oxygène pour vivre, d’inhaler un amalgame improbable de ses effluves nauséabonds mélangés aux doux parfums sucrés de nos vies. Un véritable pot-pourri ! Le cocktail est parfois détonnant…

Autrefois, l’air du temps était-il plus respirable, au temps d’antan du « bon vieux temps », quand nous étions enfants ? Les festivités de fin d’année étaient très différentes d’aujourd’hui : veille de Noël à la maison, avec une Messe de Minuit… à minuit ; une Saint-Sylvestre très calme, et au dodo avant 22 heures. Le Jour de l’An était davantage « rock and roll », avec les visites en famille, chez les grands-parents du côté de Maman le matin après la grand-messe, du côté de Papa l’après-midi. Deux univers très dissemblables !

Je me rappelle particulièrement du Nouvel An 1970, comme si c’était hier. Un chiffre tout rond, bien rond comme les beaux-frères de Maman en ce matin singulier. Chaque année, le rituel était immuable. Il fallait dire joyeusement « Bonne Année » à tout le monde, et serrer la main à nos très jeunes tantes et leurs maris, à Parrain et Marraine. Voici cinquante ans, les bises et autres embrassades effrénées nous étaient inconnues ; l’air du temps respirait la retenue en toutes choses, dans l’expression des sentiments et de notre affection pour nos grands-parents. Notre grand-mère arborait son plus bel air grognon, car ses beaux-fils parlaient trop fort et fumaient comme des dragons. Mon grand-père lampait des petits verres de cognac Martell comme du petit-lait, sous l’œil courroucé de Maman. Ces jeunes oncles et tantes se chamaillaient gentiment, parlaient de voitures, de télévision, de vacances, de leurs jobs de bureau dans les administrations : « C’est tout de même autre chose que de traîner au cul des vaches ! ». In vino veritas, quand tu nous tiens…

L’air du temps du Jour de l’An sentait la fumée de l’herbe à Nicot, de cigares et cigarettes. Il nous piquait aux yeux, nous faisait tousser car chez nous Papa ne fumait pas. L’air du temps 1970 blessait mon cœur « d’une langueur monotone », d’entendre dénigrer et tourner en ridicule le métier d’agriculteur. Nous ne nous attardions pas trop « en bas », car il fallait nous rendre ensuite « en haut », dans la famille de papa. Là aussi, les oncles fumaient sans retenue dans la petite cuisine de quatre mètres sur quatre ; notre autre grand-mère ouvrait toute grande la fenêtre pour bien faire comprendre à ses fils leur manque de respect, puis les chassait manu militari dans le salon. Chez mes grands-parents paternels non plus, point de bisous en veux-tu en voilà, ni d’effusions extravagantes ! On se serrait la main brièvement, point final, même entre cousins-cousines. Coutume ardennaise, ou familiale ?

Dans la famille de Papa, nos oncles et tantes étaient plus âgés. Ils étaient tous agriculteurs, et les sujets de conversation tournaient autour du temps qu’il fait, du prix des bêtes et du lait, des mérites de telle ou telle marque de machine agricole, des maladies du bétail, de la guerre au Vietnam, des souvenirs de la Bataille des Ardennes… Ils buvaient des petites gouttes du Grand-Duché, mais modérément, surveillés – « comme des gosses »(sic)- par notre grand-mère. Celle-ci cuisait en direct des grosses gaufres à pâte levée, avec un très vieux et massif fer à galettes, mis à chauffer sur la cuisinière à bois. Les tantes papotaient, critiquaient toutes ces jeunes femmes qui « vont travailler et mettent leurs gosses à garder, prennent la pilule pour ne pas en avoir, ou alors seulement un ou deux ! Juge un peu ! Où est-ce qu’on va ! ». Elles ne portaient pas dans leur cœur ces salariés, ces « grattes-papier qui n’ont même pas un hectare de terrain, rien que la chemise sur leur dos, qui nous regardent comme de la bouse à leurs souliers et veulent p(…) plus haut que leur c(.). » (resic)

Voici cinquante ans, l’air du temps 1970 était lourd de fumée de tabac, de bonne odeur de galettes du Nouvel An… et de commérages ! Il n’était pas plus pur qu’en 2024. À l’époque déjà, les membres de nos familles s’étourdissaient d’alcool et se donnaient de grands airs, persuadés de détenir les vraies vérités, qu’ils bétonnaient dans leurs certitudes, tout comme les gens d’aujourd’hui. Rien de nouveau sous le soleil ! Chacun campe sur ses positions et regarde les autres en chien de faïence. Airs de famille, airs de rien, air du temps…

Je vous souhaite de tout cœur le meilleur pour 2024 ! Que votre chemin évite les bombes, les méchants virus et les excès de toutes sortes ! Que son coffret-découverte déploie pour vous ses trésors, ses doux parfums bienveillants et ses mille petits bonheurs au quotidien !

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