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Interview: des aides matérielles et financières pour aider les éleveurs à protéger leur troupeau du loup

Qu’il soit grand et méchant pour les enfants, ou redouté pour les éleveurs, le loup a toujours suscité à la fois crainte et admiration. Réapparu en Wallonie en 2016 après plus de 120 ans d’absence, cet animal continue à faire couler beaucoup d’encre. Violaine Fichefet, spécialiste de ce sujet au SPW et membre du Réseau loup, a accepté de nous en dire plus sur ce prédateur.

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L e loup : qu’il s’agisse des politiciens ou des écologistes, tout le monde à un avis sur la question. Pour certains, ils sont trop nombreux, et doivent être éliminés. Pour d’autres, on doit les protéger à tout prix. À l’administration wallonne, au département de l’étude du milieu naturel et agricole, plusieurs agents sont en charge de récolter scientifiquement les données biologiques concernant cet animal.

Violaine Fichefet est membre de cette équipe et consacre son travail à l’amélioration des connaissances concernant ce prédateur.

 

Madame Fichefet, selon la Wolf fencing team, le nombre d’attaques liées au loup a diminué en Belgique. Pourtant en décembre la commission européenne a décidé d’assouplir son statut en le faisant passer de protection stricte à protection simple, afin d’éliminer plus facilement ces canidés trop nombreux sur le territoire européen. D’un point de vue scientifique, comprenez-vous cette décision ?

Par rapport à la Wallonie, ce n’est pas du tout utile pour différentes raisons. Tout d’abord, nous sommes dans une phase de colonisation, c’est trop tôt pour abattre une espèce protégée, pas encore installée. Et de toute façon, s’il y avait un souci, par exemple au niveau de la cohabitation avec les éleveurs ou un sentiment d’insécurité, nous possédons un système qui permet de déroger à cette protection dont bénéficie le loup et ainsi de pouvoir l’abattre. En effet, la loi sur la conservation de la nature protège cet animal, mais si besoin il y a, on peut prendre la décision de l’éliminer.

De plus, dans le Plan loup, on indique les cas pour lesquels il peut être abattu. Pour nous, modifier cette protection n’a donc pas de sens puisque nous avons déjà les moyens d’agir.

En France, le nouveau Plan loup 2024-2029 propose justement une facilitation d’abattage en cas d’attaques répétées du bétail. Comment nous situons-nous en Belgique par rapport à nos voisins français ?

Nous sommes loin de cette situation : il existe moins de loups dans nos régions et nous sommes confrontés à moins d’attaque. Ce n’est pas du tout le même environnement. De plus, en France, il existe un système de quotas pour abattre un certain nombre de loups. Mais cela ne règle en rien le problème principal. Par exemple, s’il y a 100 loups, on peut en abattre 10 %, mais que fait-on des 90 autres bêtes ?

Si on élimine un animal appelé « loup sage » et qu’il est remplacé par un autre loup qui tue notamment des animaux domestiques, et ce malgré les protections mises en place, tout est déréglé. Il vaut mieux abattre le prédateur avec lequel on rencontre des problèmes.

En Wallonie, quelles sont les données par rapport au nombre de meutes et d’individus sur notre territoire ?

Tout d’abord, il faut savoir qu’une meute, c’est un couple reproducteur, les louveteaux de l’année, cinq en moyenne, et éventuellement les jeunes de l’année précédente, ce qu’on appelle des subadultes prêts à partir. Cela équivaut à une dizaine d’individus par meute.

En Wallonie, il y existe 3 meutes, et grâce à notre suivi scientifique, nous pouvons savoir quelles sont les bêtes parties vers un autre endroit. Les subadultes peuvent s’installer près de leurs parents. D’ailleurs, chez nous deux meutes sont constituées en partie par un des jeunes du premier couple. D’autres, eux, vont plus loin, à 100, 200 ou même 1.000 km pour chercher un territoire et refonder une meute.

De plus, leur territoire est vaste, environ 25.000 ha en moyenne, et défendu. C’est la raison pour laquelle, les personnes qui pensent que l’on va devoir faire face à une explosion du nombre de loups dans notre région se trompent. Les meutes sont juxtaposées, et non superposées. En Wallonie, ces 3 meutes possèdent ainsi un périmètre bien défini.

Selon la superficie de notre région, l’urbanisation, le réseau routier, les forets, et d’autres éléments, nous considérons que l’on peut y accueillir 15 à 20 meutes. Mais cela reste, bien sûr, théorique.

3 meutes en Wallonie, 1 en Flandre, pourquoi cette différence ?

En Flandre, l’environnement est moins optimal, moins sauvage. Les loups viennent de l’est, par l’Allemagne. Ils descendent et arrivent du côté des Hautes Fagnes. La seule meute flamande est située dans le Limbourg. Une seconde est en cours d’installation.

Toujours selon la Wolf fencing team, la diminution du nombre d’attaques liées au loup a diminué grâce aux mesures préventives. Êtes-vous du même avis ?

En partie, oui. Au niveau des zones de présence permanente (une ZPP définie pour chaque loup dont la présence formelle est établie depuis au moins 6 mois au moyen des indices de présence disponibles sur un territoire), le risque d’attaque est plus important. C’est pourquoi Natagriwal, avec qui nous travaillons, y a réalisé une grosse campagne de sensibilisation.

Par ailleurs, en ZZP, il existe des aides destinées à financer et installer du matériel de protection, comme des clôtures électriques. Dans le Plan loup, les professionnels et les particuliers peuvent obtenir des subsides à hauteur de 80 % pour ce faire. Une augmentation est prévue pour passer à 100 % pour les professionnels. Pour les particuliers, ce sera également 100 % s’ils passent par l’aide de la Wolf fencing team. Ces bénévoles vont venir installer les clôtures, planter les piquets, mettre le bon voltage, etc. Des moyens très concrets sont donc développés pour se protéger de ce prédateur.

Vous mentionnez des clôtures élec triques, mais on entend aussi parler des chiens pour protéger le troupeau… Dès lors, quelles sont les dispositions les plus efficaces ?

On dit souvent que pour le loup, comme il est très intelligent et qu’il s’adapte rapidement à son environnement, il ne faut pas se contenter d’une mesure de protection, mais de deux complémentaires. Mais la meilleure reste une clôture électrifiée en haut et en bas, comme le loup pourrait passer en dessous. On peut joindre cela à d’autres dispositions, comme des spots lumineux. Concernant, les chiens, même s’ils ont le vent en poupe, c’est très compliqué à mettre en place. Ces derniers doivent, en effet, être élevés d’une manière spécifique, avec un attachement à 100 % au troupeau car il doit penser que sa famille, ce sont les moutons. Ainsi, il sera capable de la défendre bec et ongles. Le souci est que même si cette éducation a été correctement réalisée, on doit lui apprendre à attaquer que loup, pas un chien, ni un promeneur, ou d’autres individus potentiels. De plus, il s’agit d’une énorme charge pour les éleveurs puisque ce sont des races de chiens très grandes et imposantes. On dit aussi que pour bien faire, il en faut plusieurs. Ce n’est donc pas si facile…

Le Plan loup prévoit également des indemnisations pour les animaux attaqués. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce levier ?

S’il y a une attaque, il peut y avoir une indemnisation si on peut certifier que celle-ci est liée au loup. Ce n’est pas toujours évident de faire la différence avec une maladie, ou l’œuvre d’un autre animal. C’est pourquoi, nous avons élargi cette mesure aux attaques certifiées ou possiblement réalisées par un loup. Cela signifie que si un doute subsiste, mais que plusieurs éléments prouvent qu’il s’agit du loup, alors une indemnisation peut être octroyée. Cette procédure fonctionne très bien. Au total, cela représente 68.000 € depuis 2020.

Et lorsqu’une attaque survient, comment peut-on être certain que celle-ci est liée au loup ?

Nous savons prélever l’ADN, et il agit d’une manière bien spécifique. Il s’en prend directement à la gorge. La différence avec le chien est qu’il a besoin de cette attaque pour vivre, pour manger. Le chien va peut-être jouer, il va être moins efficace dans ses morsures. Celles du loup sont plus profondes, larges, et parfois il sectionne la trachée. Quand c’est un mouton, nous enlevons la peau du cou, pour bien voir les traces de morsures et prélever la salive du prédateur.

Lorsque la victime est morte, bien souvent, il commence à attaquer au niveau du sternum, ouvrir la cage thoracique pour aller chercher le cœur, les poumons, soit les organes les plus intéressants d’un point de vue énergétique. Il va également prendre la bonne viande, comme les gigots. Il est très pro.

Évidemment, il s’agit de la théorie, certains loups peuvent être brouillons. Par ailleurs, mieux vaut être appelé très vite s’il y a une suspicion d’attaque par le loup afin d’éviter que la scène soit polluée par d’autres animaux, comme des renards.

Les troupeaux ovins sont particulièrement visés par les loups. Pourtant, Billy avait attaqué des bovins en étable, un autre loup avait tué le poney de la présidente de la commission européenne. Dès lors, faut-il être attentif pour toutes les espèces animales ?

Nous savons que les proies domestiques les plus visées sont les chèvres et les moutons. Est-ce qu’il faut prendre des mesures sur tous les animaux, comme les bovins ? Cela paraît être des dispositions énormes pour des probabilités d’attaque très faibles. Par contre, dans les ZZP, on peut faire appel à Natagriwal pour réaliser une analyse de risque. Par exemple, si une parcelle est à la lisière d’une forêt hébergeant une meute et vous y laissez vos vaches vêler, mieux vaut rassembler les veaux dans une zone sous contrôle. Dans les endroits à risques, cela vaut la peine de protéger les plus faibles.

Beaucoup de croyances, fondées ou non, sont associées au loup. Quelles sont les rumeurs qui persistent et sont totalement fausses ?

Il y en a une qui revient souvent et qui n’est pas complètement infondée… Elle concerne la dangerosité du loup pour l’homme. Il a, en effet, été exterminé parce qu’il attaquait les troupeaux et la rage le rendait dangereux pour les humains. Mais cette période est révolue ! Maintenant, le loup a peur de l’homme. On le constate dans les Hautes Fagnes. Lorsqu’on le suit, il nous regarde, reste à distance, est parfois curieux, mais n’est absolument pas menaçant. Un collègue a d’ailleurs failli marcher sur des louveteaux par mégarde. Les parents étaient là. Ils ont juste surveillé, regardé, sans signe d’agressivité. L’autre croyance est la réintroduction du loup par l’homme. Nous martelons qu’il est revenu tout seul. Cela serait une perte de temps et d’argent terrible de le réintroduire. Et nous ne souhaitons pas qu’un animal revienne de façon non naturelle.

Enfin, certains ont tendance à croire que les scientifiques ont toujours réponse à tout, mais nous devons rester très humbles par rapport à cette espèce qui avait disparu. Au jour le jour, nous en apprenons toujours plus sur lui !

Enfin, pensez-vous que la cohabitation avec le loup est possible dans notre région ?

Je l’espère de tout cœur, mais ce ne sera pas sans effort. Je me rends compte qu’il faut qu’il soit accepté au niveau de la population. Beaucoup de personnes y sont favorables, mais il s’agit souvent d’un public non impacté, comme les citadins, ceux loin du monde agricole.

Si j’étais éleveuse de moutons dans les Hautes Fagnes, j’aurais peur qu’il attaque mon troupeau. Donc, il faut absolument que le loup reste dans sa zone, la forêt, les milieux naturels, sans s’approcher de l’homme. Et si c’est le cas, son expérience doit être négative, grâce aux mesures comme les clôtures électriques. Cela doit être une cohabitation au sein de laquelle chacun doit rester à sa place pour être certain que tout se déroule pour le mieux. Le loup est opportuniste, c’est pour cela qu’il s’attaque à certaines bêtes comme les moutons. C’est aussi la raison pour laquelle, grâce aux dispositions mises en place, il sera plus sûr pour lui d’aller courir après un animal sauvage que s’en prendre aux animaux domestiques !

Violaine Fichefet s’est spécialisée dans l’étude de ce prédateur.
Violaine Fichefet s’est spécialisée dans l’étude de ce prédateur.
 

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