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Geert Denolf, agriculteur bio: «Si le prix du lait diminue, je retourne à l’agriculture conventionnelle!»

La grogne des agriculteurs ne touche pas seulement l’agriculture conventionnelle. En bio aussi, nombre d’entre eux ont exprimé leur ras-le-bol. Rémunérations insuffisantes, lourdeurs administratives, produits non valorisés à leur juste valeur… font également partie de leurs doléances. Alors est-ce que ça vaut encore le coup de se lancer dans ce secteur ? Quels sont les espoirs et les désillusions de ceux qui ont franchi le cap de la certification ? On fait le point avec Geert Denolf qui nous a ouvert les portes de son exploitation à Bossière (Gembloux).

Temps de lecture : 6 min

À 58 ans, Geert Denolf ne compte pas ses heures. Et c’est avec son fils Jean qu’il a accepté de nous raconter l’histoire de son exploitation. « C’est bien que des jeunes soient encore motivés par ce métier », nous souffle-t-il.

Et motivé, il faut l’être pour mener à bien cette ferme familiale. Un héritage de son père, lui aussi agriculteur dans la filière laitière. Arrivé de Waregem, en Flandre, son papa s’est installé à Bossière, dans la commune de Gembloux en 1967. Quelques années plus tard, en 1989, Geert Denolf reprend le flambeau. « Le travail manuel ne m’a jamais fait peur. Et lorsque je me suis retrouvé seul, je me suis dirigé vers des techniques de non-labour pour améliorer la structure du sol et diminuer l’érosion ».

Il décide aussi d’opter pour la pulvérisation en bas volume, et ainsi d’optimiser son utilisation de produits phytosanitaires.

Bref, une approche résolument tournée vers une agriculture raisonnée, plus respectueuse de l’environnement, et ce avant même de penser à une certification biologique. Et finalement, c’est en 2012, suite à une publicité publiée dans notre journal, que cette idée germe en lui. « Le prix du lait de Pur Natur était particulièrement attractif. J’ai contacté l’entreprise pour obtenir plus de renseignements à ce sujet. Ce qui était intéressant, c’est qu’on avait un prix de base fixe pour l’année qui suit. Il y avait une véritable garantie ». S’en suit une première certification biologique pour ses vaches et ses cultures fourragères. La seconde qui concerne, quant à elle, l’entièreté de l’exploitation arrivera quelques années plus tard, en 2020.

Succès pour le croisement à trois voies et le pâturage tournant

Aujourd’hui, la ferme Denolf, qui travaille en autonomie fourragère, compte 75 vaches laitières. Par ailleurs, ces agriculteurs pratiquent le croisement à trois voies, une stratégie permettant de tirer le meilleur parti de chaque race. Ainsi, on retrouve des Holsteins, des Montbéliardes, des Jerseys – réputées pour leur fertilité mais moins performantes en termes de qualité du lait – ainsi que des Rouges scandinaves, plus rustiques et résistantes aux mammites. « Nous affichons une moyenne de 7.000 litres par lactation. De plus, nos frais vétérinaires ont chuté de plus de la moitié ».

Lorsque les conditions météorologiques le permettent, les bovins peuvent pâturer dans les prairies. Et là encore, pour optimiser ces espaces, l’éleveur a une technique qui a déjà fait ses preuves : le pâturage tournant. « Les animaux ne restent jamais plus de trois jours sur une même parcelle. L’idéal pour maximiser l’utilisation de chaque terrain est d’alterner trois ans de prairie avec trois ans de culture », explique cet agriculteur qui cultive des céréales, des pommes de terre, des chicorées et des betteraves fourragères.

Et les vaches ne sont pas les seuls animaux de la ferme à pouvoir profiter des espaces extérieurs. En effet, 192 poules pondeuses ont été installées dans un poulailler mobile. Pour déguster leurs œufs frais, rendez-vous un tout petit peu plus loin, dans un chalet. Ce distributeur automatique, installé à 300 mètres de la ferme, propose aux clients ces œufs, mais également des pommes de terre ainsi que du lait frais. « Mais ce sont réellement les œufs qui rencontrent le plus de succès », note Jean.

En effet, si ce mode de distribution en circuit court leur permet d’écouler une petite partie de leur production, la famille Denolf ne le cache pas, ce qui fait tourner la ferme, c’est définitivement la vente de lait !

Un marché saturé

En effet, Geert Denolf, ne prend pas de gant pour expliquer la réalité qui est la sienne : « Le prix du lait est encore acceptable. Mais s’il diminue, je retourne immédiatement au conventionnel ! ». Jean, à ses côtés acquiesce : « Oui, c’est ça. S’il reste stable, nous maintenons notre production. Vous savez, j’ai assisté à une réunion sur les débouchés en agriculture biologique. On nous a informés que tous les secteurs du bio, à l’exception du lait, sont saturés. À moins de se spécialiser dans un marché de niche, comme les fruits rouges, il reste peu d’options viables… ».

Des plants plus chers détruits par les prédateurs

Ce père de famille ne cache pas les difficultés du secteur biologique auxquelles il doit faire face. Pour illustrer sa situation, il ne manque d’ailleurs pas d’anecdotes dont il se serait volontiers passé. Par exemple? « Nous avons semé 6 hectares de chicorées. Mais à cause des mauvaises herbes, on a dû éliminer la moitié. Ensuite, sur ces 3 hectares restants, nous avons planté du maïs. Malheureusement, les corneilles ont attaqué toutes nos semences ! Pourtant, j’ai tout essayé : épouvantails, effaroucheurs, sans succès… Par la suite, j’ai investi dans de l’avoine brésilienne, accompagnée de colza fourrager et de trèfle. Mais les corvidés ont presque tout dévoré, et on ne peut pas mettre de répulsif efficace ! Vous imaginez, j’ai dû dépenser beaucoup d’argent pour acheter tous ces plants, plus chers qu’en agriculture conventionnelle. Et au final, j’ai encore été obligé d’acheter du maïs chez un revendeur bio pour nourrir mes poules ! ».

Un travail manuel plus que conséquent

Pour être un expert en agriculteur biologique, il faut aussi être un pro dans la traque aux adventices, tel que rumex. « C’est un travail manuel qui peut rendre fou. Et on ne trouve pas de main-d’œuvre ! Il n’y a personne pour détruire les mauvaises herbes. Il faudrait un robot qui coupe les feuilles des rumex pour pouvoir les épuiser », souligne l’agriculteur avant de poursuivre, avec honnêteté : « Je pense que certains politiciens devraient venir travailler à mes côtés pour réellement comprendre ce que l’on vit ».

Illusoire de se lancer dans le bio pour les primes

Autre difficulté ? À tous ceux qui pensent que les aides financières pour soutenir le secteur sont super avantageuses, Geert Denolf ne manquera pas de montrer ses machines. Il a dû en remplacer les 3 quarts pour travailler de façon biologique. Un investissement plus que considérable. « Les subventions ne suffisent pas. Si vous voulez vous lancer dans le bio pour bénéficier des aides, vous risquez la faillite ! ».

Bref, en agriculture biologique, comme dans tous les autres secteurs agricoles, il ne faut pas rechigner à la tâche. Des tâches lourdes, parfois pénibles, dont beaucoup n’ont pas conscience. Et si aujourd’hui, Geert et Jean Denolf peuvent être fiers du travail qu’ils accomplissent au quotidien, ils sont conscients des réalités que traverse le secteur biologique.

« Après tout ça, la Région wallonne vise à atteindre 30 % de la surface agricole en agriculture biologique d’ici 2030. Mais sans marché ni demande solides, tout cela semble dénué de sens », conclut d’ailleurs son fils.

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