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Prost!

Même les distraits l’auront remarqué, chaque jour que Dieu fait est consacré à un thème bien précis, parfois farfelu, souvent très sérieux : journée du tabac, de l’alimentation, du voisin, des secrétaires, etc. Ce 22 mars, dans les médias belges, la Journée de l’Eau a été éclipsée par les commémorations des attentats de 2016 à Bruxelles. Pourtant, sans eau, pas de vie, tout simplement ! Préserver l’or bleu est devenu un enjeu majeur pour l’humanité, et l’agriculture est en première ligne du combat qui s’annonce…

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Même les distraits l’auront remarqué, chaque jour que Dieu fait est consacré à un thème bien précis, parfois farfelu, souvent très sérieux : journée du tabac, de l’alimentation, du voisin, des secrétaires, etc. Ce 22 mars, dans les médias belges, la Journée de l’Eau a été éclipsée par les commémorations des attentats de 2016 à Bruxelles. Pourtant, sans eau, pas de vie, tout simplement ! Préserver l’or bleu est devenu un enjeu majeur pour l’humanité, et l’agriculture est en première ligne du combat qui s’annonce…

Notre civilisation occidentale en consomme des quantités affolantes, pour son bien-être, pour son confort ou ses loisirs. Mais elle est bien ingrate envers l’eau : une fois souillée, une fois « usée », pas toujours épurée, elle est rejetée dans les rivières et part vers la mer, et vogue la galère, emportant avec elle nos poisons chimiques, pharmaceutiques et bien entendu… organique ! Cette pollution-là, ce gaspillage-là, ne sont pas suffisamment pointés du doigt. Par contre, -haro sur le baudet, ce coupable idéal ! –, l’agriculture est systématiquement clouée au pilori et doit respecter des obligations contraignantes pour gérer la phyto-protection et la fertilisation de ses cultures, ainsi que le stockage et l’épandage de ses effluents d’élevage.

Un cahier de charges fort complexe a dès lors été établi par les administrations nationales et par la PAC, assorti d’un système d’encadrement, de conseils, de contrôles, avec avertissements et sanctions à la clef pour non-respect. Des officines ont été mises en place en Wallonie, comme Nitrawal, Natagriwal ou encore Aquawal. Nos dirigeants sont très inventifs pour créer ce genre d’avatars, avec filiales en cascades où même une chatte, pour y retrouver ses jeunes, a parfois besoin d’une commission d’enquête… Nous sommes donc inscrits dans un cadre orthonormé, directif et « répressif », avec conseils appuyés, comme c’est systématiquement le cas pour notre profession. Ben voyons ! Nous sommes considérés comme des enfants irresponsables, qu’il faut sans cesse gourmander et rappeler à l’ordre, voire punir !

Ce type d’encadrement rigide et peu attractif, du genre « bâton sans carotte », se rencontre-t-il partout en Europe ? C’est le cas en effet, dans la plupart des régions. Ainsi, nos voisins néerlandais éprouvent de grandes difficultés pour se soumettre aux normes « nitrates » et « phosphates » européennes, et se voient obliger de trancher dans le vif, -abattre un grand nombre de vaches –, pour éviter les sanctions. Ils font plonger les cours de la viande ce faisant, merci les gars ! Par contre, chez nos voisins germains d’Allemagne, certaines initiatives locales abordent la gestion de l’eau d’une manière plus constructive, plus douce, du genre carotte (sans bâton) à grignoter ensemble, avec un véritable partenariat gagnant-gagnant qui respecte la spécificité agricole, dans un climat de respect mutuel. Ainsi, la ville de Munich a mis sur pied et développé avec ses agriculteurs, un programme très efficace et tout à fait attrayant. Un exemple à suivre !

« Die große Stadt » bavaroise compte environ un million cinq cent mille habitants, auxquels s’ajoutent un autre million de banlieusards. Une ville de cette importance consomme des centaines de millions de mètres cubes chaque année ! Les zones de captage d’eau couvrent environ 6.000 ha : 3.750 ha de forêts et 2.250 ha de terres agricoles. Depuis les années 1980, la teneur en nitrates et en pesticides agricoles augmentait régulièrement de manière alarmante. Comment résoudre ce problème ? Traiter les eaux captées, ou acheter ailleurs ? Trop cher ! Une solution radicale aurait pu s’imposer : exproprier la centaine d’agriculteurs et reboiser leurs 2.250 ha. Cette dernière éventualité sonnait comme la pire des hérésies, car les citadins allemands ont eu faim durant le XXe siècle, de 1914 à 1955, on se doute bien pourquoi… Les Munichois tiennent à leur agriculture locale comme à la prunelle de leurs yeux. Elle fait partie de leur culture identitaire, comme la bière de l’Oktoberfest, le Fußball-Club Bayern München ou la Marienplatz. C’est pourquoi ils ont imaginé et mis sur pied, dès les années ’90, un programme d’entraide mutuelle avec la centaine d’exploitations agricoles situées en zone de captage.

La municipalité a mis la main au portefeuille et proposé une aide de 281 €/ha pendant 6 ans aux fermiers qui se convertiraient à l’agriculture biologique, puis 230 €/ha les 12 années suivantes, une fois la conversion terminée. À ces indemnités substantielles s’ajoutent bien entendu les aides de la PAC, DPB, verdissement, MAEC… Mais encore et surtout, la municipalité de Munich s’est engagée dans le soutien et la promotion de la filière bio locale, de la fourche à la fourchette ! Les Munichois ont installé une vraie machine de guerre (les Allemands sont très forts pour ça) commerciale, afin de mettre en avant les produits bios de « leurs » agriculteurs.

Pour les autorités locales, le coût du programme de soutien à l’agriculture biologique – 0,83 million d’euros par an, 0,01 euro par mètre cube d’eau du robinet consommé – n’était pas excessif, dans la mesure où la ville évitait un traitement chimique coûteux de l’eau. À titre de comparaison, le coût de la dénitrification seule en France est calculé à 0,3 euros. Le cas de Munich est un bel exemple de stratégie de gouvernance basée sur un « cercle vertueux », où les parties prenantes sont en situation gagnant-gagnant, basée sur la bonne gestion des relations entre les villes et les campagnes.

Pourrait-on imaginer semblable partenariat, économique et agro-écologique, en Belgique (ça rime trois fois !) ? Brasser notre bière « d’homme », ou nos gueuzes lambics avec une eau captée en zone agricole, soutenue par un vrai projet constructif et respectueux, comme à Munich ? Nos dirigeants pourraient y réfléchir, « ein Prosit mit einem guten Bier », en bavardant devant un bon verre de bière ! Prost (à votre santé) !

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