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Santé!

20 € pour une balade nocturne à l’écoute du brame, voilà qui n’est pas donné pour entendre les braillements gutturaux d’un cerf en rut, forts semblables aux mugissements rauques d’un taureau ! Le coût se justifie par la réception qui suit : produits du terroir et bières locales. Après l’effort, le réconfort ! On y à-fone, tu m’étonnes ! Pardon, on n’à-fone pas, on déguste avec sagesse un savoir-faire brassé dans la tradition. À ce qu’il paraît… Mais on boit tout de même de l’alcool, ce gai euphorisant partout présent dans les événements privés et publics. Le commerce des vins, bières et spiritueux se porte on ne peut mieux ! Des agriculteurs se diversifient en cultivant de l’orge brassicole, en plantant des vignes. Pourquoi pas ? À votre santé !

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Impossible de risquer un pas dans une manifestation populaire sans buter dès l’entrée sur un bar ou un stand de dégustation ! Les masques Covid pendus à l’oreille, les gens se pressent à l’abreuvoir comme des moutons assoiffés. Bien sûr, chacun fait son possible pour y mettre des formes et rester digne : on ne boit que des produits locaux (bien chers) aux noms évocateurs : trappistes d’abbayes, bières aux noms de rivières, de villages, de personnages de légendes. Les innombrables brasseurs wallons débordent d’imagination pour vous dégoter un patronyme affriolant et assoiffant, et ça marche ! Ou plutôt, ça coule et ça mousse, et les petits euros rentrent dans les caisses de l’Horeca et des associations. Que deviendrait notre football amateur -et même professionnel- sans ses buvettes ? Les petites ASBL ? Les maisons de village, etc ? Lors des Journées Fermes Ouvertes, j’ai pu observer ce phénomène incontournable dans les trois exploitations visitées. Le temps était au beau fixe, il est vrai, et les organisateurs n’allaient tout de même pas laisser les participants mourir de soif… Des spécialités locales étaient mises à l’honneur : miels, tisanes, confitures, charcuteries… bières et vins de fruits. Devinez autour de quels stands étaient agglutinés les gens soucieux de leur santé, assoiffés de connaissances, avides d’authentique ? Bien entendu, des Cathy Cabines contiguës assuraient le suivi, dieu merci !

Et boire des bières, cela donne faim ! Partout, lors des événements publics, les pains-saucisses et les frites font partie du « package », pour éteindre les incendies allumés au fond des estomacs et des intestins. Notre magnifique jeunesse y montre les signes insolents d’une santé éclatante : teints fleuris et bels états d’embonpoint, petits bedons dodus secoués par des rires tonitruants. C’est tellement gai de rencontrer des gens heureux ! À les voir, on comprend mieux le succès des baptêmes d’étudiants, financés par des parents qui se saignent aux quatre veines pour offrir à leurs enfants ce qu’il y a de meilleur dans ce pays : des bières et des frites. Dès leur plus jeune âge, on les éduque sentimentalement en leur montrant le bon exemple, lors des sorties en famille : au football, aux soupers-spaghettis des kermesses, aux marches du terroir, aux vernissages d’exposition, etc, etc. Dame, il y va de l’avenir de nos jeunes ! Il faut leur transmettre des valeurs sûres, sur lesquelles ils pourront s’appuyer tout au long de leur vie…

Bien entendu, point trop n’en faut. Et les esprits chagrins, les pisse-froid, les Cassandre et autres empêcheurs de s’amuser en rond, ne manqueront pas de pointer d’un doigt accusateur les dangers de l’alcool : accidents de la route, assuétudes, effets indésirables sur la santé physique et mentale, désastres familiaux. Boire et déboires… Curieusement et très facilement, tous ces « inconvénients » se dissolvent dans les bières comme des pastilles effervescentes, y ajoutent même des bulles. Que deviendrait notre civilisation sans ses légendaires libations ? Impossible d’y échapper ! On est descendant des Gaulois et des Romains, ou on ne l’est pas ! Du producteur au consommateur, toute une chaîne s’est forgée au fil des siècles, aux maillons solidement soudés. Est-elle durable ? À l’étudier, on serait tenté de répondre par l’affirmative : une certaine forme d’agriculture peut y trouver des créneaux porteurs ; la filière à boire génère des bénéfices colossaux et procure de nombreux emplois ; les accises assurent des revenus plantureux à l’État ; l’alcool lubrifie les relations sociales et fait partie intégrante de notre patrimoine, de toutes nos fêtes et nos manifestations. De la bière, des frites, et des jeux !

Notre « patrimoine » ! Les producteurs de bières et de vins locaux insistent sur cette expression galvaudée. Pourtant, – jetez-moi des cailloux (ou des capsules de chopes), mais surtout ne le dites à personne ! –, à ma grande honte, je ne goûte aucune différence entre une bière gaumaise et une ardennaise, entre une trappiste d’Orval ou de Rochefort, entre un vin blanc d’Alsace et un Rivaner, un Bourgogne et un Bordeaux. Je suis le dernier des ignares et manque furieusement de pratique, car la tête me tourne dès les premières gorgées. Petite nature, mauvais Wallon, Belge dégénéré !

À votre santé, tout de même !

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