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Collisions frontales

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Les manifestants sont repartis. Les visages mâchés par le manque de sommeil. Le souffle rauque des tracteurs. La vie écrite sur les mains. Revenir presque au silence où tout résonne trop fort. Les clameurs de la colère balafrent encore la ville. L’ire est violente et justifiée. Elle a secoué les consciences. Mais sera-ce suffisant pour faire bouger le mammouth administratif qu’est la commission ?

À défaut de grandes manœuvres, quelques frémissements. Sur la BCAE 8, d’abord, sur les importations ukrainiennes dont les volumes provoquent depuis de longs mois l’alarme des agriculteurs européens, ensuite. Il faut dire que lorsque la commission annonce au printemps 2022 la levée des droits de douane sur les produits ukrainiens entrant dans l’UE, en ce compris les produits agricoles, tout le monde ou presque applaudit. La voix de ceux qui mettent toutefois en garde les voisins de l’Ukraine sur les risques auxquels ils exposent leurs agriculteurs, est inaudible. Ne leur a-t-on pas reproché de vouloir poignarder les héros ukrainiens ? Tout à son élan d’aider financièrement Kiev tout en affaiblissant (ou croyant affaiblir) Moscou par un empilement de sanctions, la commission semblait bien loin d’imaginer les problèmes en chaîne qui allaient se poser. Non seulement aux pays voisins de l’Ukraine qui se sont retrouvés avec d’énormes stocks, mais aussi à nombre d’autres États membres. Lesdits problèmes passent d’autant plus mal que les agriculteurs ont le sentiment d’aider non pas de petits agriculteurs ukrainiens, mais au contraire des holdings agricoles détenus par des oligarques. C’est le cas de MHP, enregistrée à Chypre et cotée à Londres. L’an passé, le groupe a exporté près de 368.000 tonnes de volailles à travers le monde. La compagnie tire avantage de ses gigantesques poulaillers, à l’instar de l’une de ses fermes, capable de produire, à elle seule, 440 tonnes de poulets par an.

Aiguillonnée par la grogne des agriculteurs, la commission a finalement proposé un système de « frein d’urgence » automatique pour ces deux produits et aussi le sucre (mais pas les céréales ni les oléagineux) pour stabiliser les marchés. Celui-ci serait basé sur les niveaux moyens d’importation des années 2022 et 2023. Au-delà de ces seuils, des droits de douane seront réinstaurés. L’idée de l’Exécutif est de stabiliser et plafonner les niveaux des importations pour ces produits, qui ont explosé ces derniers mois et menacent le marché de l’UE. Le choix de ces deux années spécifiques devrait permettre de concilier l’objectif initial des mesures commerciales autonomes, à savoir soutenir l’Ukraine, tout en garantissant la protection des producteurs de l’UE. Dans la foulée, l’UE a annoncé avoir trouvé un accord sur le versement d’une nouvelle aide financière à l’Ukraine de 50 milliards € jusqu’en 2027. Une décision dont la rapidité tranche avec la lenteur avec laquelle la commission se penche sur le sort des agriculteurs européens. Eux qui attendent toujours le train. Ceux qui les aiment le prendront-ils ?

Marie-France Vienne

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