Agroenvironnement en 2022: retour sur la dernière année du régime actuel
Le programme de mesures agroenvironnementales (MAEC) est bien connu de la plupart des agriculteurs après plus de 25 ans d’existence. Il leur permet de rendre des services environnementaux en contrepartie d’une rémunération qui en couvre les coûts et le manque à gagner. L’engagement est volontaire par période de cinq ans.



Un peu moins d’un agriculteur sur deux sont engagés dans les MAEC. C’est une proportion relativement stable ces dernières années. C’est un point positif parce que la participation se maintient bien que des mesures parmi les plus faciles d’accès ont été supprimées en 2015. Celles-là ont été jugées d’un faible rapport coût/bénéfice environnemental. C’est le cas de la variante de la couverture du sol en interculture payée jadis par l’agroenvironnement si elle se prolongeait jusqu’à la fin décembre mais n’apportant guère de plus-value sur la protection des eaux et du sol par rapport à la couverture obligatoire dans le cadre du PGDA à l’époque obligatoire jusqu’au 15 décembre. La couverture agroenvironnementale concernait 3000 agriculteurs qui pour une bonne part sont sortis totalement des MAEC à ce moment.
On doit tenir compte du fait que la consolidation de la participation au programme se produit alors que les paiements n’ont pas été indexés voire pour certaines mesures faciles d’accès ont été fortement réduits (haies, arbres, buissons). Donc, et c’est réjouissant, d’une manière générale la proportion d’agriculteurs engagés est restée stable depuis 7 ans alors que les mesures proposées devenaient en moyenne plus exigeantes. On peut donc confirmer un engagement environnemental global de plus en plus important des agriculteurs wallons.
Toutefois, on ne peut se satisfaire d’un programme qui stagne globalement sur une période qui se prolonge. Les données mesure par mesure du tableau 1 confirment que les objectifs repris au Plan Wallon de Développement Rural (PWDR) n’ont été atteints ou quasi que pour 4 mesures sur 11. Et cela avec deux ans de retard sur ce qui était prévu, l’échéance normale du programme wallon de développement rural était 2020.
Les autres mesures pour lesquelles les objectifs du Gouvernement wallon ont finalement été atteints ou quasiment sont celles qui concernent les cultures (tournières enherbées, bandes et parcelles aménagées, cultures favorables à l’environnement). Les objectifs fixés par les autorités sont atteints pour ces mesures mais les objectifs ou valeurs cibles étaient peu ambitieux car on pensait alors que beaucoup de tournières allaient être comptabilisées comme surfaces d’intérêt écologique dans le cadre du verdissement plutôt qu’en MAEC, ce qui n’a pas été le cas.
Les objectifs fixés étaient donc très éloignés des besoins pour améliorer la biodiversité. Une action déterminante réclamerait une superficie au moins cinq fois plus élevée du groupe formé par les tournières, les bandes et parcelles aménagées ainsi que les céréales laissées sur pied.
Niveau des paiements et succès des mesures
Le niveau des paiements est un facteur majeur expliquant un succès fortement variable des mesures. Le Tableau 2 compare les paiements aux estimations du manque à gagner moyen. Ces chiffres ont été établis par les spécialistes de la direction de l’analyse économique agricole du Service public de Wallonie. Ils proviennent soit du projet de Plan Stratégique pour la Pac à partir de 2023, soit du Programme wallon de développement rural (PAC 2013-2020).
La conservation et l’entretien des haies, arbres et autres petits éléments ainsi que l’exploitation peu intensive des prairies dans les prairies naturelles sont les mesures où le niveau de paiement est le plus clairement non motivant. Dans les champs, dans le cas des tournières, ainsi que des bandes et parcelles aménagées, les montants sont trop faibles pour être attractifs sur les meilleures terres où elles sont le plus nécessaires.
Dans le cas des « cultures favorables à l’environnement, on distingue d’abord la variante concernant les céréales à graines non récoltées destinées aux oiseaux des terres agricoles en hiver qui est bien indemnisée. Elle a connu un succès encourageant après seulement cinq années dans le programme (plus de 200 hectares). Les autres cultures concernées (les céréales à paille de printemps, le sarrasin, le sorgho, le quinoa, le chanvre) bénéficient en général d’un montant assez peu incitatif à en faire davantage que ce qui est déjà pratiqué. Il en est de même pour les cultures de légumineuses fourragères et de mélanges de céréales et de légumineuses.
Pour ce qui concerne l’autonomie fourragère qui encourage l’élevage avec des charges faibles à modérées, les montants proposés soutiennent à la marge aussi ceux sont déjà dans ces conditions. Les montants sont trop faibles pour inciter à changer son système d’élevage en réduisant la charge de bétail avec de gros avantages environnementaux et surtout climatiques.
Quelques autres éléments limitants très probablement le succès du programme ont été mis en évidence et sont repris au point suivant.
D’autres facteurs freinant le succès du programme MAEC
Au cours des dernières années on a mis en évidence quelques représentations et idées reçues exprimées dans une partie non négligeable du monde agricole et qui sont des freins au développement de l’agroenvironnnement. On évoque particulièrement :
– une perception insuffisante et généralisée du caractère très préoccupant de l’état de l’environnement agricole et de la part de responsabilité de l’activité du secteur ;
– une perception des « aides » agroenvironnementales comme des compensations en contrepartie de contraintes déjà subies et d’efforts déjà réalisés (« bonnes pratiques » en faveur de l’environnement et non « effort volontaire supplémentaire »). Ces paiements seraient donc à répartir à ce titre le plus largement possible entre les agriculteurs avec un minimum de contraintes supplémentaires ;
– une perception négative de « l’agriculteur profiteur » se spécialisant partiellement ou même totalement dans la « chasse aux primes » agroenvironnementales peut parfois persister. En outre, la production de réels services environnementaux payés par la Société et qui dépassent le respect des obligations légales n’est que rarement perçue comme une activité agricole légitime ;
– l’idée, qui existe encore chez beaucoup, que l’amélioration de l’environnement devrait être assurée par une politique et donc des moyens financiers spécifiquement « environnementaux » et pas par de « l’argent de la PAC ». Celui-ci serait à dédier au soutien de l’activité traditionnelle de production. Cette vision des choses concerne par exemple l’exploitation des prairies marginales Natura 2000 (landes, coteaux calcaires, prairies humides, prés maigres de fauche…). Elle est aujourd’hui totalement dépassée. En effet, il a bien été établi dans la politique commune que nous partageons dans l’Union Européenne que la réalisation des objectifs d’environnement est à assumer par chaque secteur d’activité (le transport, l’aménagement du territoire, l’agriculture etc.). Le traité européen d’Amsterdam a près de 20 ans et nous engage à intégrer la protection de l’environnement dans toutes les politiques sectorielles de l’Union en vue de promouvoir le développement durable et donc l’environnement. La ligne conductrice de la politique agricole commune européenne initiée en 1992 et aboutie depuis 2003 est bien un découplage total entre aide et production, à l’exception notable d’une petite part de soutien couplé qui reste autorisé. Cette approche doit encore être davantage intégrée notamment par le secteur agricole en Wallonie ;
– le contrôle rigoureux du respect des cahiers des charges en contrepartie des paiements publics est un mal nécessaire. Comme dans tous les domaines, sans cela, l’imagination, le manque de perception de l’intérêt général et le manque de rigueur de certains conduisent à des abus. Un des cas bien connus ces dernières années a été le creusement par quelques-uns de dizaines de mares de taille minimale dans des prairies ou des tournières. Cela permettait de bénéficier du paiement porté peu avant à 100 euros par mare pour des aménagements de faible intérêt pour la biodiversité. Cet abus manifeste a conduit l’Administration à « resserrer les boulons » du contrôle administratif et de terrain, donnant un coup d’arrêt à la mesure.
Les interlocuteurs de terrain confirment que certaines modalités de contrôle peuvent bien être déterminantes pour limiter l’attractivité de certaines mesures. En plus du cas des mares, les normes de contrôle relatives aux haies, aux tournières et à certaines variantes des bandes aménagées se stabilisent très lentement. Des interprétations discutées ou différentes entre contrôleurs pour des situations analogues sont rapportées par des agriculteurs et les techniciens de terrain. Dans ce domaine, on reproche aussi que la contestation des constats de contrôle de terrain soit tranchée par les contrôleurs eux-mêmes et ne puisse systématiquement faire l’objet de constatations contradictoires. C’est d’autant plus vrai que les procédures de contestation et de recours sont décourageantes, peu connues, réputées lentes et avec des effets possibles de retardement conséquents des paiements. Chez certains, les contrôles se répétant année après année donnent un sentiment d’acharnement. En effet, pour les agriculteurs fortement engagés dans lesdites mesures, même les « bons élèves » auxquels on n’a rien trouvé d’important à reprocher lors d’un contrôle se retrouvent l’année suivante ou deux ans plus tard repris dans le groupe des agriculteurs « à risque » qui ont le plus de « chance » d’être contrôlés. Le fait qu’ils bénéficient de paiements plus élevés leur donne cette « chance ». Cela conduirait certains à supprimer ou limiter leurs contrats MAEC aux cahiers des charges plus complexes et les mieux rémunérés pour réduire cette pression ;
Pour finir il faut reconnaître que la mise en œuvre de l’agroenvironnement peut conduire à des procédures complexes qui n’enthousiasment pas les responsables de leur mise en œuvre dans l’Administration. Des questions légitimes relatives au rapport entre le coût administratif et le bénéfice environnemental de certaines mesures expliquent aussi parfois des réticences à un soutien franc et massif à l’idée du développement de certaines mesures comme surtout celle relative aux haies, arbres, buissons, arbustes et bosquets.
Et demain ?
UCL/ELIA
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