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«Il faut empêcher la privatisation du vivant»

Après de longs mois de débats, les États membres ont finalement convenu, mi-mars, d’un mandat de négociation concernant les nouvelles techniques de sélection génomiques ouvrant la voie aux discussions avec le parlement. Un calendrier qui nous a offert l’occasion de questionner Christophe Clergeau, rapporteur de ce dossier pour le groupe socialiste, sur quelques sujets qui fâchent, parmi lesquels la brevetabilité, la dépendance accrue des agriculteurs envers les grandes entreprises semencières, l’étiquetage et la protection des consommateurs européens.

Temps de lecture : 6 min

Le sujet est sensible, parfois épidermique et certaines questions constituent des lignes rouges très fortes pour chacune des institutions au sein desquelles les majorités sont fragiles. La commission de l’Environnement du parlement a largement validé son mandat de négociation sur le projet de règlement. Les pourparlers en trilogue avec la présidence polonaise débuteront donc le 6 mai prochain.

Christophe Clergeau, le texte présenté par la présidence polonaise prévoit d’octroyer des brevets aux plantes obtenues par les nouvelles techniques génomiques. Quelle a été votre réaction à cette annonce ?

J’ai été déçu par la décision du conseil parce qu’il y avait de nombreux États membres qui refusaient initialement la brevetabilité de ces semences pour les mêmes raisons que celles qui avaient été avancées par le parlement. C’est-à-dire un risque de mainmise sur le vivant et de sa privatisation par quelques grands groupes agrochimiques, le danger d’une perte d’autonomie pour les agriculteurs qui pourraient se voir imposer l’achat de semences à un coût plus élevé et la menace de ne plus pouvoir innover sur les semences à partir du matériel génétique sur lequel il y aurait des brevets. Pour moi, il s’agit d’un retour en arrière considérable par rapport à toute l’histoire de l’amélioration des plantes qui a été basée sur la possibilité d’utiliser celles qui existent pour inventer celles de demain. Je souhaite également souligner un autre enjeu important, celui de la préservation le tissu des PME semencières européennes, qui sont des acteurs clefs de l’innovation et de la biodiversité des semences. Proches du monde agricole et partenaires historiques des agriculteurs, ces entreprises risquent de disparaître sous la pression des grands groupes qui détiendront les brevets sur les nouveaux OGM. Je défends ces acteurs, dont les intérêts sont déjà protégés par le système des obtentions végétales, qui permet de rémunérer l’innovation dans le domaine des semences agricoles. Pourquoi ne pas demander à la commission et au conseil de proposer une stratégie visant à renforcer ce système et à se débarrasser des brevets ?

Quelles sont les relations avec votre collègue Jessica Polfjärd, issue du PPE, rapporteure pour le parlement mais qui soutient que les NGT sont essentiels, notamment pour renforcer la sécurité alimentaire en Europe ?

J’attends très tranquillement de sa part qu’elle porte les positions du parlement. Je rappelle qu’il s’est prononcé en faveur de l’interdiction des brevets sur les plantes NGT et de leur traçabilité qui permet de protéger les agriculteurs souhaitant produire sans OGM mais aussi d’informer et de garantir le libre choix des consommateurs quant à leur alimentation.

Je précise aussi que le refus des brevets sur ces plantes a été voté à la quasi-unanimité des groupes en commission de l’Agriculture et de l’Environnement avec le soutien du monde agricole. C’est aussi la position défendue par le Copa-Cogeca.

L’hémicycle est-il à nouveau divisé sur le sujet ?

Je dirais qu’un faux clivage a été artificiellement imposé par la droite, opposant d’un côté les partisans de l’innovation technologique et de l’autre, ceux qui y seraient hostiles. Ce n’est pas là que se situe le véritable débat.

Pour ma part, je ne suis pas opposé par principe à ces nouveaux OGM, mais je considère qu’aucune technologie ne devrait être mise sur le marché – et a fortiori dans les champs – sans un minimum de précaution, au premier rang desquelles figure la traçabilité.

La droite soutient l’autorisation des NGT de catégorie 1 en agriculture biologique. Pour vous, c’est incompatible ?

L’agriculture biologique, c’est une vision éthique et environnementale de la production agricole qui repose sur l’exclusion d’un certain nombre de pratiques éloignées de la nature. Il était cohérent que les OGM aient été exclus de ce secteur dans le passé, et cela l’est tout autant pour les nouveaux OGM que sont les NGT. Il va nous falloir maintenant protéger l’agriculture biologique des risques de pollution via les champs qui seraient cultivés en NGT.

Comment sera-t-il concrètement possible de s’en prémunir ?

Par le biais de la traçabilité, que j’ai réussi à intégrer dans la position du parlement. Mais aussi par la définition de mesures de coexistence au niveau des États, telles que la mise en place de distances minimales entre les parcelles cultivées avec des NGT et les autres cultures ou encore le principe du pollueur-payeur ; ce qui signifie qu’en cas de perte de certification ou de dommage économique, le producteur utilisant les NGT serait tenu de compenser.

Vous êtes aussi un homme de terrain, avez-vous des retours du secteur agricole sur le sujet ?

Je ne suis pas opposé à l’innovation ni aux progrès technologiques. Cependant, même les scientifiques que je rencontre s’accordent à dire qu’il est essentiel de prendre en compte l’ensemble des enjeux écologiques et socio-économiques associés à ces technologies NGT. En outre, dans ma région des Pays de la Loire, aucun agriculteur ne m’a fait part de la nécessité de disposer de variétés NGT pour développer et améliorer son exploitation. Il y a une certaine contradiction à affirmer qu’il est urgent d’adopter ce texte au nom des besoins du monde agricole, tout en étant incapable de nous présenter des variétés qui amélioreraient à la fois les conditions de travail des agriculteurs et la protection de l’environnement. Pourtant, un consensus existe au sein du parlement pour encourager les innovations qui contribuent réellement à la durabilité et à la résilience de notre système agroalimentaire.

Un accord pourra-t-il se dégager à l’issue des trilogues ?

Si le parlement maintient sa position, un accord sera difficile à atteindre. En cas de blocage, il résultera du fait que la commission n’a pas intégré la question des brevets dans l’élaboration de cette législation. Aujourd’hui, la commission hésite à ouvrir le débat sur cette question, car elle touche à d’autres législations européennes, telles que la directive sur la protection juridique des inventions biotechnologiques et le droit des brevets au niveau européen. Il revient donc à la commission, qui porte la responsabilité de cette impasse, de proposer des solutions si elle souhaite que ce texte aboutisse. Il faudra que le conseil et la commission m’expliquent pourquoi ils écoutent le monde agricole lorsqu’il s’agit de simplifier ou de remettre en cause des normes environnementales, mais restent sourds lorsque les agriculteurs demandent l’interdiction des brevets sur les NGT afin de ne pas être soumis à la domination de l’industrie agrochimique. Pour moi, cela reste un mystère, à moins de supposer que les lobbys agrochimiques exercent une influence considérable. En tout état de cause, je suis ici pour défendre à la fois les agriculteurs et les citoyens-consommateurs.

Marie-France Vienne

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