Observatoire de la CBC : des agriculteurs fiers de leur métier mais inquiets quant à leur avenir
Rentabilité de l’exploitation, empilement des contraintes administratives et environnementales sont les deux gros points noirs qui ressortent d’une enquête indépendante menée au mois de juin auprès de 300 agriculteurs wallons. Les résultats complets et leur analyse ont été divulgués le 16 juillet dernier par Fabian Wathelet, responsable du segment Agri-Business chez CBC Banque dans le cadre de son Observatoire du monde agricole.

C’est à Corroy-le-Château, au cœur de la Ferme de la Brouhinète qu’ont été dévoilés les chiffres qui reflètent les attentes, les craintes et, surtout, les défis majeurs auxquels sont confrontés les agriculteurs, à commencer par Antoine Vandenberghe qui a repris l’exploitation familiale en janvier 2023.
La rentabilité de l’exploitation comme nerf de la guerre
Au-delà de toute considération financière, vivre leur passion et perpétuer leur outil au fil des générations constituent les deux principales motivations qui font se lever chaque matin les agriculteurs.
Et pourtant, 50 % d’entre eux considèrent que leur exploitation n’est pas (encore) rentable. Plusieurs raisons sont à prendre en compte pour expliquer ce chiffre jugé « interpellant » par l’institution bancaire. Les agriculteurs citent le prix de vente de leurs productions (principalement dans le secteur de l’élevage), suivis d’une charge administrative trop élevée et des normes sociales, fiscales et environnementales comme principaux obstacles à la rentabilité qui leur fait défaut.
Une tendance qui reflète le quotidien d’Antoine Vandenberghe qui continue de se diversifier comme un tiers de ses collègues wallons. « Les agriculteurs doivent sans cesse se remettre en question et développer de nouvelles activités (transformation d’une partie de leur production, création d’un magasin à la ferme, développement de nouveaux services…) et spéculations pour tendre vers la rentabilité de leur exploitation » a posé Fabian Wathelet.
Quant aux deux tiers des répondants qui n’ont pas adapté leur structure, ils ne prévoient aucun changement dans un avenir proche. C’est notamment le cas pour de nombreux éleveurs.
Les consommateurs et la grande distribution ont un rôle à jouer
Sans surprise, c’est, pour 37 % des sondés, la lutte en faveur d’une simplification administrative suivie, pour 36 %, de l’obtention d’un meilleur salaire, de la volatilité des prix de vente, des luttes contre le réchauffement climatique et une plus grande régulation des importations ne répondant pas aux mêmes normes que les produits européens, qui constituent les principaux défis listés par les agriculteurs.
Pour 6 sur 10 d’entre eux, les consommateurs peuvent les soutenir en consommant plus local et moins de produits importés. Mais aussi d’accepter de payer un prix un peu plus élevé pour des produits de saison et de qualité.
Ils sont 82 % (un chiffre qui grimpe à 94 % parmi les 35 à 44 ans) à considérer que la grande distribution pourrait les aider en leur offrant une meilleure rémunération. 64 % des sondés attendent que les distributeurs mettent en avant les produits locaux et plus particulièrement ceux qui sont issus de l’agriculture wallonne pour 58 % d’entre eux.
Des trains de mesures européens et wallons jugés trop frileux
Si la commission a proposé un projet d’allègement des contraintes administratives et environnementales pour répondre à la colère des agriculteurs, 65 % d’entre eux jugent que le paquet de mesures qui a été adopté fin avril par le parlement européen est insuffisant même si certains considèrent qu’il s’agit d’un bon début.
Le jugement est beaucoup plus sévère à l’encontre des propositions de la région wallonne en termes de simplification puisqu’ils sont carrément… 70 % des sondés (90 % des 35-44 ans) à considérer que la Wallonie ne va pas assez loin en la matière.
Deux freins importants mais des leviers dans la reprise d’une exploitation…
Les agriculteurs wallons restent néanmoins 53 % à penser que se lancer dans la reprise d’une exploitation est un beau projet à condition qu’il soit réfléchi et bien encadré (au niveau fiscal, administratif, juridique, comptable) et d’avoir une certaine expérience dans le milieu.
37 % des 300 agriculteurs sondés sont dans une réflexion de remise d’exploitation, 10 % dans celle d’une reprise tandis que 53 % d’entre eux (principalement dans la tranche d’âge des 35-44 ans) ne se sentent concernés pas aucune des deux options.
Pour 47 % des répondants, c’est la question de la rentabilité – encore elle – qui constitue le principal frein à la reprise d’une exploitation, suivie du manque de moyens financiers (concernant, notamment, le fonds de roulement) pour 40 % des sondés. Le manque de sécurité lié aux terres agricoles arrive en troisième place.
« Cette problématique d’accès au foncier et de sécurisation des terrains d’une exploitation prend de plus en plus d’ampleur » a développé M. Wathelet en évoquant « l’explosion du prix de vente des terrains ou le refus de certains propriétaires de renouveler des baux ».
Pour desserrer ces freins à la reprise d’une exploitation agricole, 39 % les agriculteurs interrogés dans le cadre de l’enquête ont évoqué la mise en place d’un organisme public visant à prioriser l’accès au foncier pour les jeunes repreneurs.
36 % préconisent un accompagnement administratif et juridique dans les cinq ans suivant la reprise tandis que 33 % avancent l’idée d’un soutien financier complémentaire des pouvoirs publics.
À qui et comment remettre son exploitation ?
Si les obstacles sont nombreux dans le cadre d’une reprise d’exploitation, ils le sont tout autant quand il s’agit d’une cession. Et c’est encore et toujours le manque de rentabilité qui constitue le nœud gordien du problème.
Pour remédier à ces difficultés, 68 % des répondants ont mis en avant la nécessité d’avantages fiscaux en cas de remise d’une exploitation à un jeune, 41 % souhaiteraient bénéficier d’une cellule d’experts pour les épauler.
Des chiffres et tendances qui constitueront rapidement un défi majeur pour le secteur quand on apprend que 60 % des agriculteurs tentés par la cession de leur exploitation le feraient dans les cinq années à venir. 64 % de ces derniers souhaitent la remettre dans un cadre familial.
Pour 86 % des sondés, il est préférable de s’installer dans une structure existante ou avec un agriculteur déjà en place plutôt que de créer la sienne.
Des craintes quant à l’avenir de l’agriculture wallonne
Si 94 % des agriculteurs considèrent que leur métier est devenu multifonctionnel et requiert une foultitude de compétences, que ce soit en gestion financière, administrative, en matière de nouvelles technologies, de digitalisation, de marketing et d’innovation, ils sont 77 % à nourrir des craintes quant à l’avenir de l’agriculture en Wallonie.
Et il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que la notion de rentabilité est au cœur de leurs inquiétudes. Les contraintes administratives et environnementales s’invitent, elles aussi, une nouvelle fois dans la danse.
28 % des agriculteurs citent également le manque de visibilité à long terme, que ce soit en termes de prix des matières agricoles, ou encore de législation, de subsides, de disponibilité des terres.
Autant d’éléments qui parlent à Antoine Vandenberghe qui a fait part de ses inquiétudes au niveau des aléas climatiques. Et d’évoquer les inondations et coulées de boue suivies de périodes de sécheresse qui ont, par exemple, lourdement affecté les rendements en pommes de terre.
L’Europe « plus verte que verte » ?
Le jeune agriculteur a dénoncé « une Europe qui veut faire plus vert que vert en ne se souciant pas du revenu de ses agriculteurs confrontés à la concurrence déloyale des produits qui arrivent d’autres continents sans avoir été soumis aux mêmes normes que chez nous ».
Il a évoqué l’opacité de la formation des prix. « On connaît le prix final que le client paie en grande surface, mais pas ce qui se passe entre le moment où le produit quitte notre exploitation et celui où il arrive dans l’assiette du consommateur ».
« Beaucoup de personnes se font du sucre entre le produit cultivé et celui qui se retrouve dans l’assiette » a encore soufflé M. Vandenberghe.