«Il faudra s’habituer à vivre avec une énergie chère durant les 10 à 20 prochaines années»
Si la transition énergétique a été amorcée voici plusieurs années, l’économie mondiale demeure fortement dépendante du pétrole, dont les prix ne diminueront pas dans les années à venir et ce, d’autant que les stocks s’amenuisent petit à petit. Dans ce contexte, le recours à l’éolien et au solaire va croissant. Au risque de créer une nouvelle dépendance, non pas aux énergies fossiles mais aux métaux critiques… Cette transition est néanmoins nécessaire et peut être une opportunité pour les agriculteurs.

Tous les deux ans, Horsch organise ses journées de la Lucine, deux jours de réflexion et de rencontres autour de diverses problématiques qui touchent le monde agricole. Cette année, les orateurs invités sur le site de la filiale française, en Haute-Marne, se sont notamment intéressés à l’énergie, sous toutes ses formes. L’occasion pour Benjamin Louvet, gérant d’actifs au sein de la société française d’investissement Ofi Invest AM et spécialiste des matières premières, d’aborder la question du pétrole, de sa disponibilité à la fixation de son prix.
Équilibrer l’offre et la demande
Inutile de le rappeler, le pétrole est une énergie fossile non-renouvelable. Ses stocks ne sont donc pas infinis. Il en va de même des autres énergies fossiles que sont le charbon et le gaz que l’on tente, petit à petit, de remplacer par l’énergie éolienne, solaire photovoltaïque, hydroélectrique… Malgré cette amorce de transition, les énergies fossiles représentent toujours, à l’heure actuelle, 83 % des énergies primaires utilisées sur terre, soit à peine moins que dans les années 70 (86 %). « Le marché du pétrole ne fait que croître », confirme d’ailleurs M. Louvet.
La consommation de pétrole dépasse actuellement 100 millions de barils par jour, dans un marché structuré par trois acteurs majeurs que sont les États-Unis, la Russie et l’Arabie saoudite. Tous trois produisent ensemble 35 millions de barils par jour, soit un tiers de la demande mondiale.
« Si la consommation est en hausse, il ne faut pas oublier que la production de pétrole conventionnel (lire encadré) recule de 4 % chaque année. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le pic de production du pétrole conventionnel a été atteint en 2008. Les pertes ont été comblées grâce à l’extraction de pétrole de schiste qui fait des États-Unis le premier producteur mondial de pétrole. » Cependant, selon certaines études universitaires, le pic de production de cet hydrocarbure non conventionnel pourrait être atteint prochainement et ce, dès 2027 ou 2028.
Dans ce contexte, une seule solution s’impose : équilibrer l’offre et la demande. « Pour cela il faut augmenter les prix, ce qui entraînera mécaniquement une baisse de la demande, ou s’atteler à accroître l’offre, alors que l’on demande aux industries pétrolières de moins investir afin de préserver notre planète. »
Trois acteurs aux comportements différents
Face à cette situation, les trois poids lourds susmentionnés n’adoptent pas le même comportement.
L’Arabie saoudite, troisième producteur mondial, se caractérise par une production pétrolière gérée par une compagnie nationale d’état et des coûts de production très bas. Elle fait également partie de la puissante Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). « Les pays de l’Opep tiennent le marché du pétrole entre leurs mains. Ils sont en mesure de faire évoluer la production selon les conditions économiques rencontrées, que ce soit à la hausse ou à la baisse, ce qui leur permet de jouer sur les prix. »
Durant la pandémie de Covid-19, par exemple, ils ont réduit leur production en vue de maintenir les prix et leurs investissements. « Cela montre que l’Opep procède à des ajustements afin de conserver un certain équilibre dans les prix et, ainsi, leurs intérêts à moyen terme. »

Aux États-Unis par contre, ce sont des entreprises privées qui exploitent les gisements. Avec un objectif : maximiser leurs profits, ce qui les conduit à produire au maximum de leurs capacités. « Les USA s’approchent d’un moment de vérité, qui découlera sur la prise de conscience que le pétrole est une ressource limitée », estime Benjamin Louvet. Avec un inconvénient majeur : les prix vont irrémédiablement augmenter. « Mais avec l’avantage que cela va accélérer la transition énergétique. »
Et la Russie alors ? Selon l’expert, on ne peut se passer de 10 % de pétrole mondial, bien qu’elle soit infréquentable… Suite à l’invasion de l’Ukraine, l’Union européenne a pris un train de sanctions et n’achète plus de pétrole russe. Ce qui a entraîné un jeu de chaises musicales. « La Chine s’est davantage tournée vers la Russie et a délaissé l’Arabie saoudite qui, a contrario, vend plus que précédemment à l’Europe. Cet ajustement a permis d’éviter une hausse fulgurante des prix. »
Dans les 12 à 18 prochains mois, le prix du pétrole devrait rester stable. Il faut cependant s’habituer au fait qu’il demeure élevé et augmentera dans les années à venir avant, probablement, de baisser très fort à un moment où on l’utilisera beaucoup moins pour les usages qui sont les nôtres actuellement.
D’une dépendance à l’autre ?
En parallèle, on ne peut nier que les changements climatiques sont une réalité, sont liés aux activités humaines et découlent du recours aux énergies fossiles. Face à cette situation, quelles sont les solutions en matière énergétique ?
Les centrales hydroélectriques (barrages) constituent une première piste. « Cependant, tout le potentiel disponible est déjà exploité. Si ce mode de production progresse, ce ne sera que de quelques pourcents », nuance Benjamin Louvet. Quant au nucléaire, il ne peut se développer partout et ne représentera probablement pas plus de 15 % du mix énergétique.
Restent le solaire photovoltaïque et l’éolien. « L’essentiel de la transition énergétique repose sur ces deux modes de production qui font, en outre, appel à deux sources d’énergie gratuites que sont le soleil et le vent. Cependant, nous avons besoin de « transformateurs » assurant la production d’électricité. Ce sont les panneaux photovoltaïques et les éoliennes. » Ce qui soulève un problème : tous deux nécessitent, entre autres, des métaux critiques pour lesquels il n’y a pas de substitution possible à court terme et dont l’offre est limitée.
Passerait-on de ce fait d’une dépendance à une autre ? L’expert se veut rassurant : « Les stocks sur Terre semblent suffisants. Le problème ne se situe donc pas à ce niveau, mais réside dans notre capacité à extraire et à rendre disponibles ces métaux ». Et c’est là que le bât blesse. Par conséquent, leur prix devrait augmenter. « La transition énergétique s’annonce longue et coûteuse. Il faudra s’habituer à vivre avec une énergie chère durant les 10 à 20 prochaines années. »
Le futur devrait, lui, être plus soutenable. Ces métaux, contrairement au pétrole, sont en effet recyclables et peuvent être récupérés lors du démantèlement d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques. Ce qui réduira notre dépendance à l’extraction minière.
Des opportunités pour les agriculteurs ?
Selon Benjamin Louvet, les agriculteurs peuvent tirer parti d’une situation dans laquelle le prix de l’énergie demeure élevé durant 15 à 20 ans. Comment ? En s’intéressant davantage à l’autoproduction d’électricité. L’éolien ou le photovoltaïsme sont des éléments auxquels les agriculteurs doivent penser et ce, d’autant que le prix des panneaux diminue tant la Chine en surproduit. « Ce n’est pas faire preuve d’égoïsme que de produire son électricité. Au contraire, cela permet de réduire la pression exercée sur le réseau et soulage l’ensemble des citoyens », ajoute-t-il.
Et de conclure : « On ne peut passer d’une énergie fossile à une énergie renouvelable sans que cela ait un coût. Il faut s’y habituer, avant que les prix ne redescendent peut-être, mais aussi apprendre à économiser l’énergie ».