Concilier durabilité et juste rémunération des producteurs
Une alimentation durable ne doit pas uniquement être locale et équilibrée. Il faut qu’elle soit aussi rémunératrice pour les producteurs et accessible à tous. Concilier ces différentes dimensions, voilà la tâche et le défi posés par la cellule « Manger Demain » qui a récemment mis autour de la table différents acteurs de terrain, lesquels ont mis en lumière plusieurs projets inspirants pour y parvenir.

Mise en place il y a cinq ans en région wallonne, la cellule « Manger Demain » a pour mission la mise en œuvre des projets qui contribuent à la transition vers une alimentation plus durable. Elle accompagne et crée du lien entre les acteurs de terrain.
Entre « malbouffe » et coût de la qualité
Les membres de la cellule qui ont examiné la déclaration de politique régionale (DPR) ont noté une volonté d’établir des liens forts entre alimentation et agriculture, la mention de termes très encourageants tels que débouché rémunérateur, agriculture familiale, circuit court, filières locales, agriculture bio et la distribution de ce type de produits au sein de collectivités.
Le nerf de la guerre reste de pouvoir concilier une rémunération juste pour les acteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire avec une alimentation durable de qualité mais potentiellement plus chère. Une équation d’autant plus ardue à résoudre que nous évoluons dans une société qui fait malheureusement la part belle à la « malbouffe » bon marché tout en proposant une offre d’alimentation de qualité beaucoup plus chère…
« Du local dans mon point de vente », projet vertueux
La cellule « Manger Demain » prône une intervention des pouvoirs publics afin de pouvoir équilibrer la balance. Concrètement, elle met elle-même en œuvre différentes initiatives.
C’est le cas du projet « Du local dans mon point de vente » qui s’attelle à trouver de nouveaux débouchés pour les producteurs locaux tout en attirant et en fidélisant une nouvelle clientèle fréquentant des points de vente de produits en circuit court mais aussi un public plus précarisé.
Pour encourager la démarche, la cellule s’appuie sur divers mécanismes, que ce soient des bons d’achat, des carnets des « fidéli-bons » ou encore des caisses de solidarité, dont les montants sont doublés par la région wallonne, au sein des points de vente.
Le « Green Deal Cantines Durables », un important levier de transition
Le « Green Deal Cantines durables » est un autre projet qui touche, quant à lui, la restauration collective, important levier de transition s’il en est puisqu’il représente 200.000 repas chauds servis chaque jour en Wallonie et touche toutes les strates de la population, parmi lesquelles des publics a priori moins convaincus par la dimension durable de l’alimentation.
Concrètement, il s’agit d’un processus d’accompagnement de 18 mois qui propose des aides sous forme de formations et coups de pouce financiers. L’objectif de l’opération est double : d’une part l’obtention du label « cantine durable » créé par la région wallonne pour valoriser les efforts fournis par la collectivité, d’autre part un engagement de la relocalisation de l’approvisionnement.
« Du local dans l’assiette », un coup de pouce salutaire
Pour remplir ces objectifs, c’est tout un écosystème qui doit être sollicité autour des cantines (sociétés de catering, autorités publiques ayant pour mission de fédérer les acteurs de leurs communes…).
La Wallonie compte actuellement 349 cantines signataires et 68 labellisées. 186 sont soutenues via le coup de pouce « Du local dans l’assiette » qui permet aux cantines des collectivités signataires du « Green Deal Cantines durables » d’augmenter la part de produits locaux dans les repas sans pour autant en augmenter le coût pour les bénéficiaires.
Avec ce dispositif mis en place en 2022 et assuré de courir jusqu’à la fin de cette année, 50 % des factures de produits locaux issus de circuits courts sont alors prises en charge et 70 % s’il s’agit de produits bio locaux, avec un plafonnement de 0,50 € par repas.
Ce sont les fruits et légumes, les pommes de terre, les produits laitiers, le pain, les produits secs (pâtes) et viandeux qui font partie des filières ayant le plus largement bénéficié du coup de pouce.
Libin, une commune pleinement engagée
Mais comment et pourquoi de plus en plus de collectivités sont séduites à l’idée de s’engager dans cette une démarche vertueuse de durabilité et du manger mieux ? Celles qui ont sauté le pas n’hésitent pas à détailler leur cheminement.
C’est celui de Michèle Marichal, présidente du Cpas de Libin. Elle est, à ce titre, responsable de la cuisine de collectivité labellisée qui fournit en repas les cinq écoles de la commune et les bénéficiaires des aides sociales.
Le « Green Deal Cantines Durables » est un projet humain qui a séduit les autorités communales depuis plusieurs années. Un engagement qui puise sa source dans l’initiative d’une institutrice qui a proposé de distribuer du potage aux plus jeunes enfants à 10h00.
Pour la présidente du Cpas, « bien manger à l’école constitue une action en faveur de la santé ». Suivie au niveau du collège et du conseil de l’action sociale, elle dialogue avec tous les partenaires, que soient les agents de l’administration communale, les cuisiniers, la directrice générale du Cpas, mais aussi les parents d’élèves.
Lutte contre le gaspillage alimentaire
Totalement convaincue, l’échevine de l’Enseignement l’est. Wendy Dero travaille main dans la main avec Michèle Marichal et la cellule « Manger Demain » afin d’amener de nouveaux projets au bénéfice des enfants des écoles de la commune qui servent désormais 500 repas labellisés par semaine. Sans compter les bénéficiaires du Cpas, notamment des personnes âgées, auxquels sont fournis environ 800 repas par semaine.
Le prix du repas s’élève à 3€ pour les enfants de l’école maternelle tandis qu’il sera de 3,50€ pour ceux de l’école primaire. Un montant rendu possible grâce au coup de pouce « Du local dans l’assiette » (0,50€) conjugué à l’intervention de la commune qui prend le montant équivalent, voire un peu plus, à sa charge.
Mais qui sont les producteurs qui fournissent tous les produits de qualité ? À la ferme « Les Pételles » (Libin), Benoît Keller possède un élevage de 20.000 poules pondeuses. Il produit entre 15.000 et 16.000 œufs par jour, soit environ 120.000 œufs par semaine dont 60 % sont distribués localement, principalement dans le secteur HoReCa.
La commune de Libin est par ailleurs très impliquée dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Les autorités communales ont mis en place, avec la complicité des accueillantes, une distribution de badges à l’entrée de la cantine qui précisent si les enfants ont une « faim de loup » ou un « appétit de moineau ». Une façon ludique de remplir les assiettes en fonction de leur appétit.
Enfin, la commune s’inscrit dans une démarche d’insertion sociale qui fait aussi partie intégrante du « Green Deal ». La cuisine accueille des stagiaires ou encore des personnes en insertion socioprofessionnelle.
Les maisons de repos passent au vert
Diététicienne, Martine Cuignet est responsable de la cuisine de la maison de repos Saint-Nicolas qui dépend du Cpas d’Enghien. On y produit 140 repas chauds sur place ainsi que 80 repas qui sont livrés à domicile.
En cours de labellisation « Green Deal Cantines Durables », l’entité est actuellement signataire de la charte.
Pour y arriver, elle s’est adressée avec son équipe à quatre producteurs situés autour de la commune pour bénéficier de légumes locaux et de saison, dont Catherine Claeys, l’une des maraîchères qui fournit, notamment en salades, la maison de repos.
L’équipe du home a remporté l’adhésion des cuisiniers à cette nouvelle orientation. Pour compléter l’offre, les responsables ont même planté un petit potager pour y cultiver des plantes aromatiques.
Une centrale locale d’achat pour le maraîchage
À Meix-devant-Virton, Pascal Van Bever travaille au sein de l’Asbl « Solidairement », à l’origine du Réseau paysan, qui a, quant à elle, signé le « Green Deal Cantines Durables » en 2019.
Essentiellement terre d’élevage, la province de Luxembourg compte peu de maraîchers sur son territoire. Les producteurs s’y diversifient sur de petites surfaces, commercialisent leurs productions soit à la ferme soit sur les marchés et très peu à destination des professionnels.
C’est de cette spécificité liée à son territoire qu’est né le projet de centrale locale d’achats « car d’un côté nous connaissions la demande des épiceries, de l’HoReCa et des cuisines de collectivité, de l’autre les producteurs de notre région étaient disposés à mettre en culture des productions tout en ayant la garantie de pouvoir les écouler.
C’est ainsi que nous avons mutualisé les plans de cultures pour pouvoir développer une offre diversifiée et en quantité suffisante que pour répondre à la demande de cuisines de collectivité » explique M. Van Bever.
« On ne tient pas compte des coûts externes en soins de santé de la malbouffe qui sont pris en charge par la sécurité sociale. On trouve normal que tout le monde y ait accès alors qu’il serait tout à fait normal que tout un chacun puisse bénéficier d’une alimentation locale de qualité » déplore-t-il. Une réflexion qui met en lumière tout le paradoxe de notre société et l’ampleur de la tâche de la cellule « Manger Demain »…