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Produire un superaliment avec du jus d’herbe et du CO2

5.000 m de tubes en verre transparents dans lesquelles circulent 20.000 l d’eau, voilà le milieu de culture qu’utilise Kris Heirbaut pour faire croître la chlorella, une microalgue verte d’eau douce réputée pour ses nombreux bienfaits sur la santé. Tous les deux jours, il récolte près de 200 l de produits qui sont ensuite séchés et réduits en poudre. L’éleveur laitier est un pionnier en la matière en Flandre. L’installation est au point et les consommateurs sont prêts à franchir le pas mais, il reste encore à convaincre les transformateurs et la grande distribution du potentiel des microalgues produites localement.

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Éleveur laitier, Kris cultive aussi de la chlorella dans des tubes. Cette algue verte d’eau douce a un goût prononcé de légumes, qui n’est pas sans rappeler celui du cresson ou de l’épinard. Elle est considérée comme un superaliment. À l’instar des produits d’origine animale, ces microalgues contiennent tous les aminoacides (protéines) essentiels à l’être humain, ainsi que des acides gras oméga-3, des vitamines, des minéraux et des antioxydants. Les bodybuilders raffolent de la poudre d’algues car elle contient presque autant d’aminoacides qu’un œuf mais, dans une proportion plus intéressante pour l’augmentation de la masse musculaire.

De la lumière, de la chaleur et de l’eau

Après avoir essuyé quelques plâtres, Kris a aujourd’hui atteint sa vitesse de croisière dans la production de chlorella. Les algues s’automultiplient tous les jours, à condition qu’il y ait suffisamment de lumière et de chaleur. Ce sont les ingrédients principaux nécessaires à leur croissance, ce qui explique pourquoi l’installation se trouve sous une serre. La production s’arrête uniquement en décembre et janvier car il fait trop froid et trop sombre. Durant les mois d’été, en revanche, les microalgues présentes dans les tubes doivent être protégées du soleil.

Seule une partie des algues est récoltée chaque jour de manière automatisée. L’eau est quant à elle recyclée : « Elle est purifiée et filtrée à plusieurs reprises avant de retourner dans les tubes. Sans cela, une autre microalgue présente dans les eaux de surface pourrait s’introduire dans l’installation. Cet organisme unicellulaire a presque les mêmes propriétés et la même taille que la chlorella, mais n’est pas reconnu comme un aliment et ne peut donc pas être utilisé. En fait, j’aimerais vraiment pouvoir produire et commercialiser une microalgue qui prolifère dans le ruisseau entre mes champs et mes prés. Je pourrais alors réellement parler d’un produit local. Toutefois, pour l’instant, je m’en tiens à la chlorella », explique Kris. Une fois récoltées, les microalgues se conservent jusqu’à huit jours.

L’eau utilisée ne provient pas des eaux souterraines étant donné la présence de la microalgue locale, mais aussi de la teneur en fer, souvent trop élevée. L’eau du robinet est, quant à elle, trop calcaire. C’est pourquoi, l’agriculteur emploie de l’eau pluviale désinfectée.

Du CO2 et des minéraux en provenance de l’exploitation

Il ne faut que peu d’eau pour faire pousser des microalgues. Elles ont surtout besoin de minéraux et de CO2. Ce dernier est extrait des gaz de combustion purifiés du digesteur, produits à partir de fumier.

Les minéraux proviennent de jus d’herbe biologique. « Je pourrais en acheter cependant, après des essais concluants, j’ai décidé de le produire moi-même. Je n’utilise pas l’herbe destinée à mes vaches, mais les déchets de fauche des bords de champs. Le jus d’herbage et de luzerne contient trop d’azote, ce qui stimule trop la croissance des microalgues et épuise les autres éléments. Les déchets de fauche des accotements le long des routes contiennent souvent des détritus et ne conviennent donc pas non plus »

L’herbe est coupée et pressée très rapidement. « J’ai fait des tests avec des petits pressoirs. Néanmoins, en tenant compte du temps, du rendement et de l’investissement, il serait préférable d’utiliser un grand format. Sauf que ces modèles coûtent 100.000 € au bas mot. »

Assumer toutes les étapes de production

Cet investissement, Kris est prêt à le faire dès qu’il aura trouvé un preneur pour l’herbe pressée. « Je me rends bien compte que l’herbe, une fois pressée, a perdu ses ingrédients intéressants, mais cette biomasse peut encore être utile. Mes propres vaches laitières se nourrissent déjà presque exclusivement d’herbe, l’herbe pressée ne leur apporterait donc rien de plus. Pour l’un ou l’autre collègue qui nourrit peut-être ses vaches principalement au maïs, l’herbe pressée pourrait représenter une valeur ajoutée. Le foin, qui est toujours très bon marché, est mon concurrent principal. »

Outre cet investissement, d’autres maillons dans la chaîne de production des algues doivent encore être ajustés. « Initialement, je comptais récolter les microalgues et les vendre à une entreprise. Cette dernière aurait pris en charge les étapes suivantes, c’est-à-dire le séchage, le broyage, le traitement, l’emballage, la logistique, le marketing et la vente au consommateur final. C’est le parcours classique pour un agriculteur : une fois la récolte terminée, on ne s’en soucie plus. Sauf que, pour les microalgues, ce n’est pas pareil. Il n’existe pas encore de véritable marché en Flandre pour des produits en contenant et il faut partir de zéro pour le traitement. Je fais appel à une société externe pour le séchage. Toutes les autres étapes sont à ma charge. Je visais le circuit long, mais l’essentiel de la production est jusqu’à présent en circuit court. »

5.000 m de tubes en verre transparents dans lesquels circulent 20.000 l d’eau  constituent le milieu de culture des microalgues.
5.000 m de tubes en verre transparents dans lesquels circulent 20.000 l d’eau constituent le milieu de culture des microalgues. - FVDL

Des utilisations multiples et un potentiel commercial

Néanmoins, le succès en circuit court prouve qu’il y a un potentiel commercial. « Nous produisons nous-mêmes de la glace aux microalgues. Dans notre boutique à la ferme, c’est la saveur la plus vendue après la vanille ! Nous vendons également un fromage à pâte dure aux microalgues, qui est produit spécialement pour nous à l’extérieur. Bagynhof, une ferme porcine de la région, fabrique un salami contenant nos microalgues. Nous proposons aussi des milk-shakes, de la bière, du chocolat et du spéculoos aux microalgues. Nous en vendons également en poudre. Les ventes se portent bien, ce qui prouve qu’il existe de nombreuses possibilités, cependant il ne s’agit pas de gros volumes. C’est pourquoi nous avons fait appel à quelqu’un qui s’y connaît en retail.

La glace à la chlorella est le second choix derrière  la vanille dans le magasin à la ferme de Kris.
La glace à la chlorella est le second choix derrière la vanille dans le magasin à la ferme de Kris. - FVDL

Nous avons notamment rencontré un producteur de boulettes apéritives pour l’Airfyer ou la friteuse. On trouvera bientôt des boulettes apéritives végétariennes aux microalgues flamandes dans le rayon des surgelés de nombreux supermarchés belges et français ! Notre recherche a été fastidieuse, avec son lot de déceptions et d’obstacles, mais je suis convaincu que ce produit va changer la donne », explique Kris.

La commercialisation de poudre d’algues à grande échelle s’avère compliquée. « Elle peut adoucir ou au contraire relever le goût d’un plat. Chaque bouchée est une surprise lorsqu’on expérimente son utilisation. De plus, la couleur verte est très dominante, même si on n’ajoute que d’infimes quantités. Un adulte ne doit en consommer que 10 g par jour pour en ressentir les bienfaits bien qu’un apport supérieur n’a pas d’impact sur la santé », explique-t-il.

De la poudre d’algues ou du spéculoos, de la saucisse,  de la bière et du fromage à base de chlorella.
De la poudre d’algues ou du spéculoos, de la saucisse, de la bière et du fromage à base de chlorella. - FVDL

Le circuit court et la durabilité comme atout

Les faibles quantités à inclure dans les produits de consommation sont un désavantage pour Kris car il ne peut pas arrêter ou augmenter sa production au gré des fluctuations de la demande. « Il y a un potentiel commercial. Les consommateurs sont prêts. Il ne me reste plus qu’à trouver quelques précurseurs dans l’industrie alimentaire belge qui voient les avantages des microalgues produites localement. »

Kris cite la durabilité et le circuit court comme les principaux atouts de son produit. « En Chine, ils produisent aussi de la chlorella, mais ils ajoutent diverses substances à la poudre. Ce que je produis ici, à Temse, est beaucoup plus pur que ce que vous trouvez généralement sur le marché international à un prix peut-être moins élevé. »

Fier d’être pionnier

Les obstacles auxquels Kris se heurte sont source de frustration. Il n’en est pas moins fier d’être un pionnier en la matière, même s’il n’en est encore qu’à ses débuts. « Les algues et l’aquaculture peuvent être une partie de la solution à de nombreuses problématiques en termes de durabilité. On peut amener un agriculteur à l’abreuvoir, mais on ne peut pas le forcer à boire. Il n’existe qu’une seule autre installation à cette échelle dans notre pays. Les autres sont plus petites. Tous ces acteurs sont déjà venus jeter un coup d’œil chez moi. Je ne les considère pas comme des concurrents, plutôt comme d’autres pionniers, prêts à ouvrir la voie de la chlorella », estime-t-il.

Le gouvernement et des instituts de recherche ont soutenu le producteur. En revanche, le soutien des banques laisse à désirer. « Elles parlent toutes de la durabilité et de la transformation de l’agriculture dans leurs campagnes marketing. Mais quand je leur présente mes projets, tous ces beaux discours et objectifs ne comptent plus, et il n’est soudainement question que d’argent et de risque. J’ai vite déchanté », conclut Kris Heirbaut.

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