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Benoît Lutgen : «L’Europe doit être une chance pour tous»

Retrouver l’autonomie de l’UE dans les secteurs stratégiques que sont la santé, l’énergie, la défense, le numérique mais aussi et surtout l’alimentation, tel a été le sens de l’engagement européen de Benoît Lutgen qui quittera le parlement au terme de cette législature dont il a accepté de revisiter les moments clefs lors de la dernière session plénière à Strasbourg.

Temps de lecture : 5 min

L’indépendance pour préserver les valeurs démocratiques du vieux continent. Le discours reste le fil conducteur de l’élu démocrate-chrétien qui s’est toujours engagé auprès des agriculteurs.

Benoît Lutgen, comment avez-vous vécu votre passage au sein de la commission de l’Agriculture du parlement européen ?

Nous avons connu une trop longue période durant laquelle l’agriculture a semblé la grande oubliée de cette législature. Ses défenseurs, dont je fais partie, ont eu du mal à se faire entendre car beaucoup l’ont considérée comme une variable d’ajustement par rapport à d’autres objectifs, notamment climatiques et environnementaux. Dès que l’on a voulu amener des nuances et des amendements pour protéger sa fonction nourricière et la souveraineté alimentaire de l’UE, nous nous sommes fait traiter de climatosceptiques, voire de « Trumpistes ». C’était une époque où soufflait un très désagréable vent dogmatique sur le parlement.

Quand les lignes ont-elles commencé à bouger ?

Cela fait environ un an et demi, au moment où de nombreux députés ont commencé à considérer les effets pervers de toutes les obligations et autres réglementations qui étouffaient la classe agricole. À cet élan s’est greffée la colère des agriculteurs qui est venue soutenir cette dynamique.

Quel a été, pour vous, le point de bascule?

C’est incontestablement le texte sur la restauration de la nature dans lequel je me suis investi. Je me suis battu pour dire que nous avions besoin d’objectifs en faveur de la biodiversité qui ne devaient néanmoins pas nous couper de la souveraineté alimentaire de l’UE et de sa capacité de produire davantage pour nourrir également d’autres parties du monde. Or, le texte en question, « pondu » par Frans Timmermans, était d’une violence absolue envers le monde agricole et forestier. Comme si c’était à coups de sous-production et de réduction de nos productions qu’on allait améliorer la biodiversité, et ce dans un contexte géopolitique international extrêmement instable !

Avec le recul, que reprochiez-vous au document ?

D’aller trop loin car il incarnait une vision étatique faite de contraintes, de réglementations et de coups de bâton, tout l’inverse d’une démarche incitative dans laquelle on finance, on aide et on soutient le monde agricole. Dans la première mouture du texte, les moyens financiers étaient exclusivement puisés dans les budgets de la Pac. C’était par conséquent rendre les choses impossibles sur le terrain. À moyen et à plus long terme, cela signifiait des obligations d’importation d’une partie de notre alimentation au détriment de la biodiversité dans les pays tiers qui ont des normes bien moins élevées que les nôtres. Sans compter que l’on aurait poussé une partie de l’Afrique et du Moyen-Orient dans les bras de la Russie. Il fallait quand même être complètement hors-sol pour proposer ce texte dans un contexte de guerre où la Russie pourrait s’emparer du grenier à blé ukrainien !

Plus largement, quels sont les dangers qui guettent le secteur agricole ?

Le trop-plein de charges et de réglementations, ce qui correspond à la vision des écologistes et parfois de la gauche, que seules les grosses structures pourraient absorber. Ce n’est pas en chargeant la barque de réglementations que l’on protégera les plus petites exploitations, bien au contraire ! Aujourd’hui, un agriculteur doit faire face à 2.000 pages de réglementations et de procédures. Mais pour certains députés, c’est quasiment devenu une religion : plus il y a de normes et de réglementations, plus la biodiversité va mieux se porter. Cet état d’esprit est révélateur de la société actuelle, normée, voire procédurière, qui fait peu confiance au citoyen.

Que retenez-vous de votre mandat au parlement européen ?

Le parlement européen, c’est à la fois une leçon d’humilité et un sentiment de frustration car l’on n’a pas le même pouvoir qu’un parlementaire national ou régional. On ne peut pas déposer nous-mêmes des textes ou des propositions. On subit ce qui est produit par la commission – qui n’est pas toujours compris par le citoyen – et par le conseil. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance de devenir chef de la délégation belge, ce qui m’a permis d’être au cœur de toute une série de décisions. Pour moi, l’Europe est un magnifique projet qui nécessite d’écouter et d’entendre l’autre, de découvrir ses réalités pour trouver des chemins de rapprochement, faire vivre l’Institution afin d’améliorer le quotidien des Européens. Mais elle n’est considérée comme une chance que par une petite partie de la population sans doute plus mobile et plus urbaine. Ce sera sans doute moins le cas dans les territoires plus ruraux où elle constitue une forme d’énigme et suscite parfois une certaine aversion. Et c’est bien ici que réside le défi, faire que l’Europe devienne une chance pour tous.

Nourrissez-vous des regrets ou ressentez-vous de la nostalgie au moment de quitter l’hémicycle ?

Dans ma vie, je n’ai jamais eu ni regret, ni nostalgie. Je pars avec un bagage rempli d’expériences diverses et un regard sur l’Europe et le monde qui a évolué. Je suis plus que jamais convaincu qu’il faut reconnecter l’Europe à ses territoires et aux citoyens qui les font vivre.

Comment envisagez-vous votre avenir politique proche ?

Je l’envisage dans la peau d’un député fédéral, si je suis élu, bien sûr ! Mon objectif sera d’aller à la Chambre des représentants pour faire valoir l’expérience engrangée au parlement au niveau d’enjeux dont on y parle très peu, comme ceux qui sont liés à la Pac, au climat, à la biodiversité.

L’agriculture aura-t-elle toujours une place dans votre action ?

Mon engagement par rapport au monde agricole, à l’alimentation et à l’environnement, j’insiste, je le poursuivrai jusqu’à la tombe ! Il y a d’ailleurs beaucoup à faire pour l’agriculture et ses acteurs au niveau fédéral. Je pense à la politique des prix, aux traités de libre-échange, aux normes sanitaires…

Marie-France Vienne

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