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La Pisciculture d’Annevoie et son Atelier le Chêneau: une qualité d’eau exceptionnelle pour une truite haut de gamme!

Florent Coninck l’explique d’emblée : il n’est pas bioingénieur, encore moins fils de pisciculteur ou même d’agriculteur… La pisciculture fait partie de sa vie depuis à peine 2 ans. Pourtant, il met tellement d’ardeur et d’enthousiasme à nous expliquer les ficelles du métier qu’il nous convaincrait presque qu’il est tombé dedans étant petit. La base d’un bon poisson, c’est l’eau : sa source, son débit, sa température… Et puis, il y a aussi la passion du travail, la gestion et la transformation.

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Parfois, une idée ou une phrase glissée dans une conversation peuvent redéfinir un plan de route. C’est à peu près ce qui est arrivé à Florent. Ingénieur de gestion de formation, il a travaillé pendant près de 5 ans dans le développement de logiciel de gestion de chantier de construction avec plusieurs associés: «Je commençais à me lasser de passer ma vie derrière un écran et mes proches en avaient conscience. J’envisageais depuis un moment de changer de voie, avec une préférence pour tout ce qui touchait à la nature et au dehors. Au cours d’une soirée, une amie m’a suggéré de rencontrer son papa qui cherchait un repreneur pour son activité piscicole. J’y suis allé… ».

Reconversion et passage de flambeau

En 1985, François Dejardin eu l’occasion de développer une pisciculture dans les Jardins d’Annevoie, à l’endroit même d’une ancienne sapinière. Pour la transformation de son produit, il créa également un atelier «Le Chêneau», établi à Godinne. «L’activité de François alliant nature, entrepreneuriat et transformation m’a séduite. Il m’a aussi expliqué l’importance de la gestion pour pouvoir perdurer dans ce domaine. Ça tombait bien, ce point-là, au moins, je le maîtrisais. Par contre, pour le reste, il fallait m’expliquer», rit-il. En effet, il n’existe pas encore de réelle formation piscicole en Wallonie. «François m’a proposé de tester l’activité dans les conditions les plus challengeantes possibles, c’est-à-dire en fin d’année, quand les conditions sont moins idylliques. C’est ainsi que j’ai commencé à m’initier à la pisciculture en octobre et novembre 2022. Dès janvier 2023, je reprenais l’ensemble des activités avec l’assurance que François m’accompagne durant deux ans d’apprentissage et de transition. Il a été très présent les 8 premiers mois et il reste encore extrêmement disponible lorsque j’ai des questions spécifiques. On échange régulièrement ». Aujourd’hui, Florent Coninck est fier d’exercer le métier, bien trop rare, de pisciculteur. En effet, la Wallonie n’en compte plus qu’une quarantaine, dont seulement deux âgés de moins de quarante ans et cinq qui vendent le poisson pour l’alimentation.

Florent Coninck a repris avec succès les rennes de la Pisciculture d’Annevoie et de l’Atelier Le Chêneau alors que rien de l’y prédestinait.
Florent Coninck a repris avec succès les rennes de la Pisciculture d’Annevoie et de l’Atelier Le Chêneau alors que rien de l’y prédestinait. - D.J.

Une situation exceptionnelle, gage de réussite

La pisciculture d’Annevoie est installée sur un terrain appartenant à la Région wallonne, adjacent aux jardins du même nom. Le site se révèle parfait pour cette activité car il est alimenté par non moins de quatre sources. «Il y a 800m de distance et 7m de dénivelé entre la sortie de l’eau de terre et la pisciculture, ce qui permet de cocher les cases essentielles à la réussite de l’élevage de truites arc-en-ciel: le débit et l’oxygénation de l’eau ainsi que la température».

Le nombre et la proximité des sources assurent un débit constant de 5.200 litres par minute. La prise d’eau se fait dans les jardins d’Annevoie: «Après son passage dans les différentes cascades des jardins, l’eau aboutit dans un bassin géré par nos soins. Il alimente directement la pisciculture. Grâce à ce parcours, l’eau est oxygénée de manière naturelle. Ce n’est pas le cas de toutes les piscicultures. Certaines doivent parfois s’aider d’oxygénateurs».

Avant de se déverser dans la pisciculture, l’eau provenant de quatre sources, traverse les Jardins d’Annevoie.
Avant de se déverser dans la pisciculture, l’eau provenant de quatre sources, traverse les Jardins d’Annevoie. - D.J.

L’autre point indispensable au bon développement du poisson, c’est la température: «La truite arc-en-ciel s’élève en eau douce et froide, à une température optimale de 14°C, en dessous de 4 degrés et au-dessus de 20 degrés, la truite ne mange plus. En Belgique, l’eau sort de terre à 10 degrés. Si son parcours est trop long, elle se refroidit en hiver et se réchauffe en été. Ceci est néfaste au développement du poisson. Chez nous, ce parcours est tellement court et avec un tel débit, que le problème ne se pose pas. Il y a peu de variations de températures et on est à une moyenne de 8 à 12 degrés toute l’année. Grâce à cette qualité d’eau, on peut élever et proposer de la truite toute l’année, ce qui n’est pas anodin. D’ailleurs pour contourner ce problème, certains pisciculteurs se réorientent vers des poissons d’eau chaude».

La truite arc-en-ciel est un poisson à croissance continue, peu soumis au stress et qui prend bien l’aliment.
La truite arc-en-ciel est un poisson à croissance continue, peu soumis au stress et qui prend bien l’aliment.

La truite arc-en-ciel, une espèce adaptée aux paramètres de la pisciculture

La truite arc-en-ciel est parfaitement adaptée à la pisciculture en place. «Elle est originaire d’Amérique du nord et a été importée en Europe vers 1880. Elle prend bien l’aliment et est beaucoup moins soumise au stress que la truite indigène d’Europe Fario qui mettra de ce fait deux fois plus de temps à atteindre le même poids et qui est davantage utilisée pour le rempoissonnement en rivière».

La truite est un poisson à croissance continue dont l’espérance de vie peut aller jusqu’à 11 ans: «Dans la nature, elle mange en fonction de ce qu’elle trouve mais, en élevage, il est possible de la pousser jusqu’à 15 kg si on l’alimente tout au long de sa vie». Ce n’est pas le cas des truites élevées par Florent: «La quasi-totalité des poissons qui sortent des bassins font entre 400 et 450g. A ce poids, l’animal présente 50% de chair, une quantité raisonnable pour satisfaire une personne. Après, il m’arrive quand même de proposer des truites d’1kg voire plus pour des restaurateurs qui ne présentent pas le poisson entier mais travaillent sur plusieurs assiettes par exemple».

Les truites arrivent à la pisciculture d’Annevoie à 100-150g: «J’ai un bref moment pensé à développer la reproduction mais, tout faire en plus de la partie transformation était le meilleur moyen de m’égarer et ne pas réussir à subvenir à mes besoins. D’autres maîtrisent cette matière depuis leur adolescence et possèdent les infrastructures adéquates comme Thomas Lagasse qui a récemment repris la pisciculture de Freux à Libramont».

Neuf à douze mois d’élevage

Combien de temps mettra donc une truite pour atteindre 400g? Cela dépendra surtout des paramètres de l’eau, comme expliqué plus haut.

Les truites naissent en janvier et mettront 6 à 9 mois pour atteindre 100g. Ensuite, elles prendront 3g à 5g chaque jour en fonction de la température de l’eau (3g en hiver dans une eau à 8°C et 5g en été dans une eau à 12°C). « Etant donné sa tendance à rendre l’aliment, on pourrait nourrir la truite en continu mais, elle risquerait de produire trop de graisse. On la rationne donc en fonction de la température de l’eau. Dans mon cas, j’ai un rapport de 800g d’aliment pour 1kg de chair produite, c’est extrêmement intéressant. Les truites passent donc minimum trois mois chez nous et atterrissent dans nos assiettes vers l’âge de 9 ou 12 mois. Pour un poids de 1kg, elles ont alors plutôt 15 à 18 mois. Et, si on veut les voir monter à 3 ou 4 kg, elles doivent alors rester 2 à 3 ans dans nos bassins», explique Florent.

Les poissons sont nourris une fois par jour, moins un jour de jeûne: «Chacun à sa méthode mais celle de François avait fait ses preuves. Le jour de jeun permet d’éliminer les surplus. Au total, pour 15 tonnes de poissons vendues, je distribue environ 8 tonnes d’aliment par an, avec très peu de déchets dans les bassins. En effet, la composition de l’aliment permet une excellente digestion et l’auto-nettoyage des eaux est très bonne grâce au débit et à la forme circulaire des bassins».

Une chair rosée grâce aux crevettes

Le Chêneau propose de la truite saumonée: «Elle appartient bien à la famille des salmonidés mais sa couleur ne provient pas d’un croisement avec du saumon. Cela n’a rien à voir avec l’espèce mais bien avec l’aliment ingéré. Nos eaux contiennent naturellement des gammares – petites crevettes d’eau douce - qui ne sont pas consommés par d’autres poissons en amont vu la faible distance du parcours depuis les sources. Nos truites en profitent donc. Notre aliment contient bien un peu de vitamine A et de carotène mais, même sans cela, la chair resterait rosée. Par contre, au contact d’une autre eau, la chair des poissons redeviendrait blanche après quelques semaines ».

Les poissons évoluent dans 7 bassins de formes et tailles différentes dont le dimensionnement avait été spécifiquement étudié et optimalisé lors de l’installation de François. Ce sont la place et le débit d’eau qui définissent la quantité d’individus dans chacun d’eux. La règle est fixée à 1 litre par minute pour 1 kg de poisson. « Les petits bassins circulaires recevant 900 l/minute contiennent donc au maximum 900 kg de poisson ».

Les plus grosses truites se trouvent dans les premiers bassins circulaires à proximité de l’arrivée d’eau et les plus jeunes dans les plus grands bassins rectangulaires plus éloignés. «En général, on fait l’inverse car les eaux finales sont moins oxygénées. Mais, ici, le taux d’oxygène et la température restent stables de l’entrée à la sortie donc, ça ne change pas grand-chose. La seule raison est qu’on accède plus facilement aux poissons à taille dans les petits bassins du début». Une fois qu’elles atteignent 300g, les truites sont triées et placées dans les divers bassins en fonction de leur taille et leur aptitude à la commercialisation.

« Ce qui me plaît dans ce métier, c’est la diversité des domaines et univers abordés, du vivant à la transformation. »

Une production en forte croissance

Lors de sa reprise, la pisciculture était à 40% de ses capacités. « On est aujourd’hui à 60%. J’ai conservé une bonne partie des techniques de François et ses recettes et j’ai apporté mes touches personnelles. J’ai choisi de prendre le poisson plus petit. Puisque l’achat se fait au kilo, j’en ai plus dès le départ mais, par contre, cela signifie plus d’aliment et de main-d’œuvre. J’ai aussi davantage misé sur la prospection commerciale parce que c’est un domaine qui me plait aussi».

Cette année, Florent atteindra environ 40.000 truites vendues, c’est-à-dire 15 tonnes de poisson. «Je pourrais monter jusqu’à 60.000 individus, sur une surface qui paraît finalement assez réduite. C’est l’avantage de la pisciculture, on peut produire beaucoup sur un espace limité si tous les paramètres sont réunis, contrairement à d’autres filières agricoles».

Fraîche ou fumée ?

Le jeune entrepreneur propose des produits frais ou fumés. La grosse difficulté est de pouvoir gérer les stocks et savoir ce qui doit sortir des bassins 3 mois après: «Je dois toujours avoir suffisamment de poissons à taille pour satisfaire ma clientèle mais ça ne m’intéresse pas d’avoir du surplus non plus. En frais, la demande est un peu plus saisonnière et en accord avec la saison touristique. Pour la truite fumée, la consommation est plus constante avec un petit pic durant les fêtes et en mai-juin ».

La truite fraîche est issue de la pêche du jour. «Les commandes sont souvent passées la veille et les poissons sont préparés et livrés en matinée. Cela représente 30 à 40% de notre production».

Pour la truite fumée, les commandes sont anticipées 10 jours avant: « En effet, le poisson est trié et mis à jeun. Lors de son prélèvement, il est vidé, rincé et mis au sel sur une journée. Le fumage prend également une journée et les truites séjournent ensuite 48 à 72h en chambre froide pour se raffermir, ce qui facilitera leur levée en filets ». Au terme de ces étapes, les filets sont placés sur des plaquettes, mis sous vide et proposés dans les magasins.

Les truites sont fumées entières à chaud.
Les truites sont fumées entières à chaud.

«La gestion de la pisciculture représente 30 à 40% de notre travail. Après, ça se passe à l’atelier où je peux compter sur deux collaborateurs dont un qui travaillait déjà avec François et qui m’a donc aussi beaucoup écolé. Là, on entre dans un autre univers car nous avons des contraintes strictes à respecter en matière d’hygiène. On travaille sous le principe de la marche vers l’avant avec des salles dédiées à chaque étape du produit et de manipulation. La truite fraîche a sa propre salle de travail et chambre froide dans laquelle elle est mise en saumure dans l’eau avec du sel, sans aromates, durant trois heures. Ensuite, les truites sont mises en baguettes, c’est-à-dire qu’elles sont enfilées sur une tige pour être fumée pendues. Elles sont fumées entières à chaud, à une température supérieure à 65°C qui peut monter jusqu’à 85°C, contrairement au saumon qui est enfumé à froid et déjà découpé. Le fumage dure 7h15 et se déroule en deux phases. Durant la première phase, les poissons sont séchés afin que le taux d’humidité soit homogène lorsqu’on applique la fumée. Ensuite, on applique une fumée humide qui va le réhydrater. On utilise pour ce faire de la sciure de chêne. La plupart du temps, le poisson est fumé au hêtre mais nous privilégions le chêne car il laisse plus de place au goût du poisson et il lui confère une saveur plus subtile et moins âcre. Tous les filets sont ensuite levés à la main. On pourrait le faire mécaniquement mais ils seraient moins présentables. On est sur un produit artisanal haut de gamme».

La truite fumée peut être conservée 30 jours à 4°C.
La truite fumée peut être conservée 30 jours à 4°C.

Le Chêneau fournit environ 70 magasins, en commerce direct (fermes, épiceries ou coopératives) ou via la grande distribution, et une vingtaine de restaurants. Il réalise également de la vente au particulier. En fonction du lieu d’achat le prix de vente de la truite fraîche varie de 20 à 23 euros/kg. Pour la fumée, il faut plutôt tabler entre 45 et 50 euros/kg.

«Ce qui me plaît particulièrement dans mon travail, c’est la diversité des activités et des univers abordés. Je trouve cela très complet et j’aime l’idée de travailler du vivant jusqu’à la transformation. Mon défi maintenant est de proposer et promouvoir les déclinaisons de la truite pour qu’elle retrouve de l’attractivité auprès des plus jeunes. Prochainement, j’envisage de présenter la truite fraiche en filets ainsi que des filets de truite façon gravlax ou encore de la rillette de truites.».

Delphine Jaunard

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