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Sans contrefaçon,

je ne suis pas

un garçon

Temps de lecture : 5 min

Ça y est, nous y revoilà : la journée internationale des droits de la femme. Une année de plus qu’on nous expose des statistiques pour dénoncer l’inégalité des femmes dans notre société. Et je l’entends d’ici : « Comment est-ce encore possible en 2025 ? ! » s’offusquera-t-on, les sourcils en accent circonflexe. C’est la même consternation depuis des décennies, brandissant l’année dans laquelle on s’insurge comme si on pouvait y mettre un point final et non un point d’orgue.

Le sujet est essentiel évidemment, mais ne nions pas cette lassitude qui envahit le lecteur à la vue des soldes taguées sur les vitrines de lingerie « 1 + le 2e à moitié prix ! Promo Journée de la femme ! ». Haut les cœurs. Ce genre d’annonce donne vraiment la nausée. Des vitrines aux journaux, les titres diffèrent heureusement mais à force, soyons honnêtes, le sujet tend à devenir un « marronnier » comme on le dit dans le jargon journalistique. Vous savez… Ces sujets dans la presse qu’on connaît d’avance à certaines périodes de l’année et qui n’invitent même plus à se poser des questions de fond : « il neige, la Belgique est recouverte d’un manteau blanc », « le carnaval, folklore qui brave le froid », la « Toussaint, moins de personnes dans les cimetières »

Pourquoi alors me demanderez-vous, mais pourquoi me suis-je lancée dans cette première chronique sur les droits de la femme ? Pas très malin en effet, mais peut-être parce que le défi de ce papier est de nous replonger dans cette réflexion : qu’en est-il vraiment de la place des agricultrices dans les fermes en Belgique ?

Je n’ai évidemment pas recensé toutes les fermes du pays pour pouvoir vous donner une photographie exacte de la situation, vous me pardonnerez bien ce manque de rigueur. Mais bon, à vue de nez, quand on est de près ou de loin issu du milieu agricole, les agricultrices sont en minorité par rapport aux hommes. C’est un fait.

Elles sont soit les « épouses de » ou « les filles de ». Si l’exploitation est effectivement dirigée par des époux, ils sont de véritables tandems, autant que le seraient deux frères associés sur une exploitation. Mais la nuance arrive maintenant. Pour les frères, on les citera souvent ensemble. « Tiens, t’as vu qu’la ferme des frères Papeur, ben ils ont d’jà fauché ! Oufti ! » Tandis que lorsque des époux ou conjoints sont ensemble à gérer leur ferme, allez, pas de chichis, pas de ça entre nous. On ne citera que l’homme. C’est plus simple évidemment.

Et qu’en est-il des agricultrices seules à la tête d’une ferme ? Nul besoin de l’hypnotiseur Messmer pour voyager dans votre imaginaire collectif. Surface maximum de 3 ha, un foulard dans les cheveux, confectionnant un bon petit fromage de chèvre comme « La Laitière » de Vermeer (Qui ça ? Mais si, la madame en tablier bleu dans la pub de Nestlé). Or les agricultrices ne sont pas forcément toutes des fromagères. Tout comme les éleveuses de Blanc-Bleu-Belge ne sont pas forcément toutes des garçons manqués. Oui, une femme est en effet capable de soigner un troupeau de vaches avec les mêmes extensions de cils que ses bêtes. Et d’être en même temps ministre de l’agriculture au passage. « Ouiiii, mais… » Mais quoi ?

Non, je suis désolée. Si aujourd’hui, la femme a quasi autant de droits que les hommes sur papier, il persiste encore en 2025 (sourcils en accent circonflexe) des gros soucis d’inégalité au sein du monde agricole. À cause de quoi ? Même le plus débutant des mentalistes l’a compris : le regard de la société. Mais je vous rassure, vous n’en pouvez rien, on ne vous en veut même pas. Vous avez été littéralement bercés par les « Martines à la ferme ». Franchement Martine, petit aparté spécial pour toi, tu ne nous auras pas beaucoup aidées entre ta mini-jupe et une tarte aux pommes, au milieu d’une ferme. Mais enfin franchement, la fourche Martine ! La fourche ! Prends-la et va soigner. Montre-leur que ce n’est pas plus compliqué pour une fille qu’un garçon.

Là, vous vous dites : c’est qui celle-là qui exagère et qui est tendue comme une courroie ?

Honnêtement, je n’exagère en rien. Des exemples, il y en a à la pelle ! Une banque peut bloquer l’octroi d’un crédit empêchant une installation ou un développement. Sur quels fondements ? Et bien, si elle juge que cette agricultrice risque d’être dépassée par son travail, puisque de surcroît, en bon père de famille (de quel droit, pardon ? !) elle prend en considération qu’elle est aussi maman de deux enfants.

Un marchand peut bloquer un partenariat, empêchant l’agricultrice d’exploiter une ressource financière de sa ferme. Pour quelles raisons ? Parce qu’il pense qu’elle est incapable de récolter de la qualité. Voilà que deux exemples pour ne pas vous lasser davantage. Parlez-en autour de vous, avec elles. Ou alors, puisqu’on est au pays de la bande dessinée, je vous invite à lire « Il est où le patron » de Maud Bénézit, reprenant le vécu réel d’agricultrices qui se heurtent à l’heure actuelle à des situations qu’un homme ne vivrait jamais, de l’administration jusqu’aux champs.

Le regard peut avoir ce genre de conséquences très graves. Aujourd’hui, je ne saurais vous dire quels droits différencient encore les femmes des hommes, mais la seule revendication de ce jour c’est qu’il est grand temps de se réveiller. Les animaux, qu’ils soient soignés par une femme ou un homme, n’en font aucune distinction. L’herbe, qu’elle soit fauchée par un homme une femme, n’en fera aucune distinction. La céréale, qu’elle soit moissonnée par un homme, ou une femme, n’en fera aucune distinction.

Heureusement, il y a des hommes et des femmes qui portent déjà un regard différent sur les agricultrices. Il n’est pas question d’admiration car cela dépend en effet de la qualité du travail effectué. Des personnes qui considèrent l’agricultrice, ni plus, ni moins, avec respect, je vous le dis franchement, ça fait du bien ! Et de surcroît, on gagne un temps fou. Plus besoin d’encaisser des blagues ou réflexions à la limite de la misogynie qui datent de mathusalem. On peut échanger, collaborer et se soutenir dans la différence de nos exploitations, de nos professions, de nos genres.

C’est tout ce qu’on vous demande : osez me regarder dans les yeux en tant qu’agricultrice car sans contrefaçon, je ne suis pas un garçon.

Valérie Neysen

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