Frelon asiatique : «un ennemi qui pousse les apiculteurs à modifier leurs pratiques»
Omniprésent sur notre territoire, le frelon asiatique est un redoutable prédateur qui menace les populations d’abeilles et la biodiversité. Pour mieux comprendre les enjeux de la lutte contre sa progression et la façon de la mener, nous sommes allés à la rencontre de Louis Hautier, responsable du laboratoire d’entomologie du Cra-w.

Contrairement aux idées reçues, et c’est une surprise, cet insecte invasif est légèrement plus petit que son cousin européen.
Arrivée du frelon asiatique en Europe
Mais quand et comment est-il arrivé sous nos latitudes ? Le frelon asiatique (vespa velutina nigrithorax ou frelon à pattes jaunes) a débarqué par bateau sur le vieux-continent en 2004, plus précisément à Bordeaux, caché dans des poteries chinoises, avant de se déployer à la fois vers le nord et le sud de l’Europe.
C’est depuis l’année 2013 et la note verte du ministre Carlo Di Antonio lui demandant la mise en place d’une méthode de neutralisation, que le Cra-w a entamé ses travaux sur cette espèce.
Destruction du premier nid dans le Tournaisis
En 2016, le premier nid de frelons asiatiques est localisé puis détruit à Guignies, dans l’entité de Brunehaut.
« Nous avions, à cette époque, une équipe provisoire d’intervention pour détruire les premiers nids avec l’injection d’un insecticide sous forme de poudre à base de pyréthrinoïdes, déjà utilisés dans la lutte contre les frelons européens et les guêpes » se rappelle Louis Hautier.
De par son efficacité, la technique est toujours d’actualité et le chercheur du Cra-w a déjà formé plus de 400 personnes à son application.
Le recours aux pyréthrinoïdes n’est toutefois pas sans danger pour l’utilisateur en raison du risque d’inhalation de la poudre et d’un impact potentiel sur les abeilles et les bourdons.
Une lente et inexorable invasion
Le nombre de frelons asiatiques en Wallonie croît de façon exponentielle. On comptait 4 nids en 2017 dans la région de Tournai et 1 du côté de Charleroi, 21 nids en 2018, 48 en 2019, plus de 150 en 2020, 200 en 2021, un chiffre qui ne s’est pas envolé en raison d’un printemps froid suivi d’un été pluvieux.
En revanche, la progression s’est emballée de plus belle en 2022 avec plus de 2.000 nids neutralisés.
Une opération qui a coûté plus de 250.000€ à la région wallonne qui a décidé de passer d’une phase de destruction systématique à celle de destruction prioritaire, concentrant ses opérations sur les nids qui représentent un danger pour la population et l’apiculture.
« Nous sommes conscients que cette stratégie va générer des fondatrices et donc permettre à l’espèce de se multiplier mais il faut se rendre à l’évidence, il est désormais impossible d’éradiquer le frelon asiatique de nos régions » synthétise Louis Hautier en précisant que « le frelon est partout, en France, en Allemagne, au Luxembourg et si ces pays-là ne mettent pas en œuvre les mêmes mesures de gestion que nous, ce sera peine perdue ».
Plan wallon d’actions contre le frelon asiatique
Mais rien n’est simple non plus dans notre région. Il faut dire que le cadre politique wallon n’est pas toujours très lisible. La Wallonie compte un ministre de l’Agriculture qui est compétent pour l’apiculture et une ministre de l’Environnement qui a en charge la problématique des espèces invasives.
Et il aura fallu attendre 2023 pour qu’un plan wallon d’actions contre le frelon asiatique à destination des apiculteurs se mette en place.
Le gouvernement wallon a donc décidé, de concert avec le Cra-w et le Cari, de définir une stratégie de gestion globale à long terme pour protéger l’apiculture. Trois axes d’intervention destinés à diminuer la pression du frelon sur l’activité apicole sont mis en œuvre : le piégeage des reines fondatrices au printemps, la neutralisation des nids et la protection des ruchers.
Proscrire les pièges à noyade !
«S’il existe différents types de pièges et d’appâts, il reste aux apiculteurs à déterminer celui qui sera le plus efficace » développe M. Hautier avant d’enchaîner sur les pièges à noyade qui avaient été testés à Guignies.
« Ce type de piégeage n’est pas du tout sélectif puisqu’en 7 semaines, plus de 30.000 insectes, dont plus de 5.000 hyménoptères, notamment des bourdons, ont été capturés par les 30 pièges qui avaient été installés » a illustré l’entomologiste pour qui un réseau de pièges de cette nature pourrait « faire des ravages en matière de biodiversité ».
Importance du piégeage sélectif
Le Cra-w a orienté ses recherches sur un piège «couvercle » facilement manipulable, peu onéreux et basé sur une sélectivité physique permettant aux insectes plus volumineux que le frelon de ne pas y entrer et à ceux qui sont plus petits d’en ressortir.
Pour s’en assurer, les chercheurs ont mené des tests sur des abeilles mellifères et des osmies, ces petites abeilles solitaires qui volent au printemps, susceptibles d’être attirées par ce type de piège. Mais aussi sur des guêpes et autres bourdons afin de déterminer la largeur des trous latéraux du couvercle.
Quant aux frelons asiatiques piégés, le Cra-w conseille de les placer dans un congélateur pendant 24 heures, une durée nécessaire pour garantir leur totale neutralisation.
Plusieurs semaines d’expérimentations en laboratoire ont été nécessaires à la mise au point du piège qui peut aussi être réalisé en injection plastique avec un coût n’excédant pas 0,50€/pièce.
Les atouts de la science participative
Le Cra-w est actuellement en phase de distribution de ce « piège couvercle » aux apiculteurs pour le tester tant au niveau de son attractivité que de sa sélectivité. « Nous avons travaillé sur les couleurs du piège, la rouge et la jaune apparaissent comme les plus attractives en laboratoire » détaille Louis Hautier en précisant qu’il « nous faut désormais confirmer sur le terrain laquelle se marquera plus que l’autre ».
776 apiculteurs wallons enregistrés à l’Afsca, faisant partie de 59 structures apicoles (associations, ruchers-écoles…) se sont inscrits pour participer à cette expérience grandeur nature, in situ et dans des conditions réelles. « Je suis par ailleurs contacté par des communes qui souhaitent mettre en place ce type d’opération à la fois pour mener des actions en faveur des apiculteurs et pour gérer la question du frelon asiatique qui pose un problème de santé publique » déroule Louis Hautier.
Pour le piégeage de masse en été, le Cra-w préconise le piège « nasse » plus gros et difficile à manipuler mais qui a l’avantage de pouvoir capturer des dizaines de frelons.
À côté de ces deux pièges, les apiculteurs ont d’autres armes pour lutter contre le prédateur. Ils peuvent poser des treillis devant leurs ruches, ou recourir à des muselières qui permettent aux abeilles de sortir sans être en contact direct avec le frelon, réduisant ainsi l’effet de stress, mais aussi les « harpes » humides ou sèches. Ce dernier piège, qui a déjà été testé en Espagne, doit encore faire l’objet de recherches au niveau de la Wallonie.
Les apiculteurs peuvent en outre bénéficier de l’appui du Cari quant à l’arsenal de pièges à leur disposition pour protéger leurs colonies
Du nid primaire au nid secondaire
Ce sont surtout les nids qui sont à hauteur d’homme, dissimulés dans des haies ou des appentis qui peuvent constituer un danger pour la population.
C’est le cas du nid de printemps ou nid primaire, construit sous abri par une fondatrice (jeune reine) à la sortie de la période d’hivernation. Elle devra non seulement le créer, mais aussi le maintenir à température pour le couvain et nourrir les larves.
« Il s’agit du stade le plus vulnérable du frelon asiatique » précise Louis Hautier en expliquant que « le but consiste à piéger la fondatrice qui est isolée pendant environ un mois et demi, avant qu’elle n’ait des ouvrières qui l’alimenteront sans qu’elle ne doive plus sortir du nid ».
Le nid primaire, qui peut atteindre la taille d’un ballon de football, devient alors problématique en raison du comportement défensif des ouvrières.
Les apiculteurs wallons débutent la campagne de piégeage
Les apiculteurs wallons qui se sont inscrits ont normalement été équipés en pièges au moment où vous lisez ces lignes, et le piégeage se poursuivra jusqu’au début du mois de mai.
« Nous avons encore assez peu de recul sur le moment où le frelon apparaît, la façon dont il vole, c’est la raison pour laquelle nous avons établi une plage de temps assez large » explique l’entomologiste.
Vers un maillage pour protéger les ruchers
Un prédateur opportuniste que rien ne semble arrêter