Rentrée des classes
Après avoir passé un joyeux juillet et un mois d’août doux, élèves et enseignants reprennent le chemin des écoles. Fini de rire et de s’amuser, quoique… Un fils d’agriculteur m’a avoué ne pas être mécontent de rejoindre les bancs de son institut pour s’y reposer, après deux mois intenses à travailler à la ferme! Un autre rentre avec des pieds de plomb et des bras ballants, tant l’enseignement scolaire l’assomme et ne répond pas à sa nature profonde, active et manuelle. Un autre encore se réjouit d’aller apprendre de nouvelles notions, pour se préparer au mieux à son futur métier agricole.

D’une manière générale, les enfants d’agriculteurs ne se plaisent guère à l’école, surtout les garçons. Les filles, de toute évidence, sont beaucoup plus studieuses et appliquées tout au long de leur cursus scolaire, quand on voit la répartition des genres à l’université. Les deux tiers, sinon les trois quarts des étudiants des facultés de médecine humaine et vétérinaire sont des demoiselles. Un phénomène semblable se vérifie chez les ingénieurs agronomes, moins chez les ingénieurs civils. Chez ceux-ci également, les filles arrivent toujours plus nombreuses d’année en année, et sont souvent supérieures aux garçons dans les mathématiques et les sciences. Le « girl-power » s’impose en force dans les domaines intellectuels, juste retour des choses après des siècles de patriarcat. Les trois K allemands imposés aux femmes, dieu merci, ont de moins en moins droit de cité dans nos régions : Kinder, Küche, Kirche (enfant, cuisine, église) !
« L’école, ça sert à rien ! », m’a dit ce dimanche un garçonnet dépité de quitter son vaste terrain de jeu fermier pour aller s’enfermer dans l’espace confiné de sa petite école primaire de village. Conduire un chargeur articulé est autrement exaltant que de rester assis durant des heures sans bouger, le nez plongé dans des livres et des cahiers, à apprendre
Le marmot fait la moue, et son père grimace. Les intellos, les fermiers s’en méfient : c’est un peu le clan d’en face, l’équipe adverse qui essaie par tous les moyens de vous embobiner. Tous ces technocrates, ces ingénieurs bardés de diplômes, méprisent les paysans et s’en gaussent derrière leur dos, quand ils les ont bien manipulés… Ah, c’est facile de gagner des sous avec un bic et une feuille de papier, un clavier et un ordinateur ; d’être assis le cul sur une chaise de bureau tandis que les fermiers travaillent dur ; de garder la tête plongée dans des bouquins pendant qu’on trime à les nourrir ! Et dire que ces gens-là font danser l’agriculture sur sa tête, racontent des tas d’âneries à son sujet, inventent des directives et des normes, nous obligent à remplir des tas de formulaires !
La maman insiste : « Encore une fois, vous êtes bien contents qu’une méprisable et fainéante « intello » binoclarde comme moi se charge des formalités administratives ! Réveillez-vous ! Nous sommes en 2024, plus en 1950. ». Autrefois, on appelait l’instituteur « Monsieur le Maître », l’institutrice était « la Maîtresse », ce qui annonçait la couleur des relations entre l’enseignant ou l’enseignante et ses élèves ! Il et elle se moquaient ouvertement des gosses les moins doués de manière insultante : « L’agriculture manque de bras : vous conviendrez parfaitement ! ». Les enfants quittaient l’école à 14 ans et travaillaient à la ferme. On les attachait à vie à un métier qu’ils subissaient parfois durant toute leur existence, ou alors ils devenaient apprentis, ouvriers manuels. Les paysans étaient persuadés que l’instruction scolaire et les études, ce n’était pas pour eux, mais pour les « autres » : ces enfants des riches et des intellos, ces gamin(e)s hautain(e)s, et dépourvu(e)s de force physique.
Cet antagonisme entre cultos et intellos a la vie dure, dirait-on… Ou alors, peut-être ce petit garçon anti-école est-il l’arbre qui cache la forêt des enfants d’agriculteurs avides d’apprendre, très heureux de rejoindre leur institutrice ou instituteur ? Hélas il est vrai, l’école n’emballe guère beau nombre de futurs fermiers. C’est fort déplorable, car de toute évidence, les écoliers issus du monde agricole sont tout aussi intelligents que ceux issus des autres classes sociales. Ils ont même une longueur d’avance, par leur courage et leur ardeur au travail inculqués dans leur environnement familial. Manquent-ils de motivation et de confiance en eux, à force de s’entendre dire chez eux que l’école ne sert à rien, et qu’ils ne sont pas faits pour étudier ?
Les fils et filles d’agriculteurs désireux d’embrasser le beau métier de leurs parents seraient bien inspirés d’étudier un maximum, s’ils veulent comprendre la marche du temps et lutter à armes égales avec les technocrates et bureaucrates qui les dirigent et les jugent. Les vieilles mentalités paysannes évoluent, et c’est heureux, grâce aux mamans mieux adaptées de toute évidence au monde moderne.
Ceci dit, fini de discuter. Pas le choix, faut y aller ! L’année scolaire est repartie pour un tour de carrousel, et celui qui veut s’y amuser à étudier, s’y amusera. Quant aux autres, bon courage…
Joyeuse rentrée des classes à tous les écoliers !