Rééquilibrer les rapports de force

C’est un véritable coup de tonnerre qui a ébranlé, fin septembre, les éleveurs français. Lactalis, premier groupe laitier mondial, a annoncé son intention de réduire sa collecte annuelle de l’ordre de 450 millions de litres et ce, progressivement entre fin 2024 et 2030. Le géant entend, en effet, se recentrer sur les produits de grande consommation français et réduire la voilure sur les marchés internationaux.
Pour les agriculteurs, dont plusieurs centaines seraient concernées à long terme, la brutalité de l’annonce se mêle à un sentiment d’incompréhension. Alors que la filière perd chaque année des éleveurs, comment imaginer qu’un industriel souhaite réduire ses achats… Au-delà du choc de l’annonce, il convient maintenant de trouver des alternatives. Mais lesquelles ? La production laitière constitue généralement la principale source de revenu de ces exploitants, dont l’avenir est incertain…
Deux solutions se présentent à eux. Premièrement, trouver un autre acheteur assurant la collecte dans leur secteur et prêt à accepter de nouveaux producteurs. Toutefois, on ne change pas de laiterie comme on choisit sa librairie ou sa boulangerie. Deuxième possibilité, nettement plus radicale : réduire voire abandonner la production laitière, au détriment d’une génétique, d’investissements, d’une passion, voire d’un rêve.
Bref, l’industriel, bien que confronté à ses propres difficultés, dispose et impose… À l’agriculteur de s’adapter ! Malheureusement, ce type de situation n’est que le reflet du déséquilibre existant entre les fermiers et certains acteurs de la filière agroalimentaire. Dans quel autre secteur, un nombre réduit d’acheteurs traite avec une multitude de fournisseurs tout en imposant, bien souvent, ses conditions ? Pour les agriculteurs, cela se résume parfois à quelques mots : « à prendre ou à laisser ». Or, dans certains cas, refuser équivaut à se détourner totalement d’une spéculation.
À la base de la chaîne agroalimentaire, les éleveurs et cultivateurs ne disposent que d’une très faible marge de manœuvre et se sentent souvent piégés. Or, ce rapport de force asymétrique n’est pas neuf. Depuis de nombreuses années, nombreux sont ceux qui dénoncent des exigences de plus en plus strictes, des discussions tendues, un manque d’écoute, une perte de leur pouvoir de négociation…
Si tous les maillons situés à l’aval de la chaîne agroalimentaire ne sont certainement pas à blâmer, il devient néanmoins urgent de repenser la place qu’occupent celles et ceux qui travaillent en amont. Les agriculteurs ne doivent, en aucun cas, constituer une variable d’ajustement. Ce sont, sans aucun doute, des partenaires essentiels de ladite chaîne. Une meilleure répartition des responsabilités et des marges doit être envisagée, tout comme doivent naître des mécanismes de concertation voire, si nécessaire, de régulation permettant à tous les acteurs d’avancer main dans la main.