Lutter contre l’érosion grâce à l’Hydro-Butte, qu’importent l’itinéraire, l’interligne et la planteuse
Les pistes en vue de réduire les phénomènes d’érosion des sols, préjudiciables tant aux producteurs de pommes de terre qu’aux riverains des parcelles concernées, sont de plus en plus nombreuses. Parmi celles-ci, l’Hydro-Butte, fruit du travail d’Etienne Werry, se distingue par sa polyvalence mais aussi par son amélioration continue résultant des nombreuses discussions de terrain entre son inventeur et ses utilisateurs.

Ces dernières années, la culture de la pomme de terre a été pointée du doigt à de multiples reprises par le grand public et les médias lors d’épisodes d’orages violents et de précipitations abondantes. Il faut dire que les images de coulées de boue envahissant voiries, jardins et habitations en provenance directe des champs ont de quoi marquer les esprits. La culture de la pomme de terre, de par ses façons culturales telles que le travail du sol intensif le fragmentant en agrégats particulièrement fins et le buttage façonnant de véritables canaux d’écoulement, se révèle l’une des plus sensibles, si pas la plus sensible, aux phénomènes de ruissellement et d’érosion des sols. Outre l’enjeu sociétal susmentionné, le ruissellement érosif dans une parcelle en pente constitue un véritable problème pour le producteur lui-même.
Les conséquences de ce ruissellement sont, entre autres, un transfert de terres arables souvent de très bonne qualité, de fertilisants et de produits phytopharmaceutiques tantôt vers d’autres zones du champ, tantôt à l’extérieur de la parcelle avec alors un risque de contamination des eaux de surface accru. Des pertes de rendement peuvent également en découler, directement liées à ces écoulements d’eau non contrôlés, en raison d’une distribution plus hétérogène de l’eau dans la parcelle, de l’accumulation d’eau dans les bas-fonds ou encore de la création de chenaux d’écoulement des eaux au gré de la pente pouvant déstructurer les buttes.
Sans oublier encore que la stagnation de l’eau dans les points bas y crée une atmosphère humide propice au développement de maladies phytosanitaires telles que le mildiou et autres pathologies fongiques et bactériennes des tubercules.
Plusieurs pistes suggérées
Des pistes de réflexion sont lancées depuis quelques années, visant à limiter tout ou partie de ces effets néfastes. Sont ainsi suggérées des recommandations telles que l’implantation de la culture parallèlement aux courbes de niveau (une solution qui, en fonction de la configuration de la parcelle, est dans certains cas difficilement envisageable), la mise en place de bandes enherbées ou autres cultures-tampons périphériques ou encore l’installation d’obstacles en bordure de parcelle pour contenir autant que faire se peut les écoulements éventuels. Parmi les solutions proposées, la création de diguettes de retenue d’eau entre les buttes est probablement l’une des plus prometteuses et des plus efficaces pour répondre aux différentes facettes de la problématique.
Différents matériels ont ainsi été développés, permettant la mise en place de pareilles diguettes, dont l’un a été mis au point par Etienne Werry. Fondateur de l’entreprise Atelier Werry Concept SRL basée à Clermont, en province de Namur, il a entièrement conçu et construit l’Hydro-Butte, une machine destinée à la réalisation de micro-barrages d’interlignes pour toutes cultures en buttes. Rencontre avec ce concepteur-développeur-constructeur de talent, surnommé « Le rapide » par ses clients, dans ses installations.
À notre arrivée, nous sommes attirés par un bruit de moteur ; c’est celui du chariot élévateur posté devant la porte grande ouverte de l’atelier. Etienne est là, derrière l’engin, en tenue de travail, s’affairant autour d’une pièce métallique. Le bâtiment, d’où s’échappe l’odeur caractéristique du travail du métal, regorge de telles pièces, d’organes mécaniques, de matériels et de machines-outils. Nous apercevant, Etienne délaisse sa tâche pour nous offrir un accueil chaleureux. La conversation s’oriente naturellement très vite vers cette machine qui occupe actuellement toutes ses pensées : l’Hydro-Butte. Il fait de la place et dégage un coin de l’établi pour y déposer une série de documents relatifs à cet équipement, dont l’un relate un essai comparatif de différents matériels de ce type et au cours duquel l’engin s’est illustré par d’excellents résultats.
Une machine adaptée à tous les itinéraires de plantation
La machine se distingue également par sa conception lui procurant une très grande polyvalence. « Elle repose sur une structure indépendante, ce qui lui permet d’être montée sur tout type de matériel, quelle que soit sa marque, tant en interligne de 75 que 90 cm. Elle peut aussi s’adapter à tous les itinéraires culturaux de plantation de la pomme de terre, que le buttage soit réalisé au moment de l’implantation des tubercules ou après celle-ci », détaille l’inventeur.
« L’équipement se boulonne simplement sur la cape de la butteuse et est donc facilement interchangeable, ce qui se révèle bien évidemment déterminant lorsque l’agriculteur souhaite renouveler sa butteuse. Pour ce faire, j’ai développé des systèmes de fixation compatibles avec les capes proposées par les principaux constructeurs de matériel de plantation. De plus, l’Hydro-Butte se caractérise par de nombreuses possibilités de réglages, lui permettant de répondre aux attentes les plus diverses des producteurs ».
Si les machines en fonctionnement équipent des butteuses 6 rangs, Etienne a également réalisé un prototype compatible avec les chantiers 8 rangs, ayant actuellement travaillé sur 2.000 ha et donnant entière satisfaction. Étant donné le système de repliage des planteuses et butteuses 8 rangs, il n’est pas possible de monter un système de formation de diguettes directement sur ce type de matériel. Le constructeur a donc développé un châssis spécifique pour l’Hydro-Butte 8 rangs, lui permettant d’être attelée directement à un tracteur et de suivre fidèlement la trajectoire des buttes. Cette version est repliable horizontalement, selon une configuration 2 x 4 rangs, respectant le gabarit routier réglementaire.
Un premier prototype, en un week-end seulement
L’Hydro-Butte a été imaginée, puis a suivi un parcours de développement en collaboration directe avec des agriculteurs. En effet, Etienne a fait du travail de terrain l’élément-clé de sa réussite, bien que jusqu’ici, il n’avait encore jamais touché à du matériel dédié aux parcelles de pommes de terre. « Il est vrai que c’est une culture à laquelle je ne m’étais pas encore vraiment intéressé », admet-il.
« Un vendredi, alors que je travaillais dans mon atelier, un producteur que je connais bien s’arrête devant la porte avec son tracteur et sa planteuse. Il m’explique qu’il ne trouve pas sur le marché de solution technique lui apportant entière satisfaction pour modeler des diguettes entre les buttes. Il me détaille les problèmes qu’il rencontre et me demande si je ne pourrais pas concevoir un appareil répondant à ses desiderata. »
« Dès après son départ, mon esprit se retrouve littéralement accaparé par cette discussion et je commence à réfléchir aux premières ébauches. L’idée ne me quitte plus ; je travaillerai même toute la nuit du vendredi au samedi. Je fais des dessins, découpe des profilés métalliques, soude… J’avance vite et bien dans ce travail. »
Le dimanche midi, l’agriculteur revient voir l’inventeur. « Après avoir pris un apéritif ensemble, nous nous rendons dans l’atelier où je lui présente le projet. Il est directement séduit par mes explications et le principe de construction. Nous décidons dans la foulée d’atteler ce prototype à sa butteuse et d’aller l’essayer dans une parcelle voisine. Cet essai à blanc donne des résultats plutôt probants ; il y a bien entendu des corrections à apporter mais, dans l’ensemble, l’équipement fonctionne plutôt bien. »
Créer des diguettes, sans affecter les buttes
S’ensuit une période durant laquelle le constructeur va apporter toute une série d’améliorations à ce prototype et lui offrir toute une série de réglages, pour coller au plus près à toutes les réalités de terrain. « Le terrain, les essais au champ, l’expérience des cultivateurs et leurs retours ont toujours été au cœur de ma démarche. C’est en y confrontant la machine que le projet avance dans la bonne direction. C’est par exemple en récoltant les doléances de producteurs que j’ai pu cerner les défauts d’autres matériels, auxquels j’ai apporté mes solutions ».
La conception de l’outil se révèle à ce titre différente et innovante. « Là où la plupart des matériels concurrents utilisent une roue ou une palette pour ratisser la terre qui servira à former la diguette, l’outil dispose d’une dent, de 80 ou 120 mm de largeur au choix, travaillant sur une dizaine de centimètres de profondeur entre les buttes. Celle-ci permet de prélever environ 5 cm de terre qui serviront à la formation de la diguette. » Cette terre est donc entièrement prélevée entre les buttes sans que celles-ci ne soient affectées, au contraire de concurrents dont la palette puise la terre nécessaire en partie sur les buttes, avec pour conséquence leur déstructuration.
« De plus, la cape de la butteuse lisse tant les buttes que l’espace entre celles-ci. Ce glaçage est un élément défavorable puisqu’il accentue le risque de ruissellement. La dent de l’Hydro-Butte, en travaillant le sol, casse donc ce lissage, permettant à l’eau de s’infiltrer, là où les palettes des autres matériels lissent encore davantage le sol. »
De multiples réglages, pour une adaptation parfaite au terrain
À la suite de la dent, l’équipement présente une palette qui va emporter avec elle la terre soulevée par la dent. Entraînée par un moteur hydraulique et un système d’excentrique et de bielle, cette palette se relèvera pour déposer la terre et former la diguette.
Comme l’explique Etienne, si le mode de fonctionnement paraît simple, la mise au point du système ne l’a pas autant été : « J’ai longtemps travaillé sur la palette pour lui apporter la forme parfaite. Cette forme spécifique a été développée en interne, suite à plusieurs essais. Le but est qu’elle emporte avec elle la terre relevée par la dent mais sans jamais creuser elle-même. C’est un point fondamental pour éviter de déstabiliser ou de déstructurer les buttes ». Parallèlement, cette palette peut recevoir des allonges latérales pour s’adapter aux différentes configurations de buttes rencontrées.
Un travail de développement conséquent a aussi été mené sur la dent, toujours avec pour objectif de ne pas porter atteinte à l’intégrité des buttes. Ainsi, elle bénéficie d’une inclinaison réglable permettant de moduler les projections de terre sur les buttes. Sa hauteur peut aussi être réglée afin de modifier sa profondeur de travail pour s’adapter aux différentes hauteurs de buttes.
Comme expliqué ci-avant, la palette se relève périodiquement sous l’action d’un moteur hydraulique pour former les diguettes ; le régime de rotation de ce moteur est lui aussi variable, permettant de sélectionner l’intervalle souhaité entre deux diguettes successives. Ce paramètre est important pour moduler le nombre de diguettes et leurs intervalles en fonction de la pente du terrain : plus la déclivité est importante, plus la distance entre deux diguettes successives doit être faible…
« Enfin, la hauteur des diguettes est également réglable, avec une hauteur maximale plutôt importante, raison pour laquelle je préfère parler de micro-barrages plutôt que de diguettes. J’ai véritablement souhaité, sur cette machine, donner à l’utilisateur un grand nombre de réglages pour lui permettre de trouver la solution répondant à ses souhaits ainsi qu’aux contraintes de terrain et d’utilisation auxquelles il est confronté. »
Perfectionner encore et encore l’outil
Concernant l’avenir, Etienne le voit plutôt positif pour l’Hydro-Butte : « Je pense que ce type de matériel a en effet de beaux jours devant lui. Les événements climatiques de plus en plus imprévisibles mais aussi les impératifs agronomiques poussent les producteurs à davantage de réflexion à ce sujet ».
On évoque souvent les bienfaits des diguettes lors des épisodes de fortes pluies mais il faut aussi souligner leur intérêt lors de périodes plus sèches : en retenant l’eau par leur capacité de rétention au moment des averses, elles permettent à celle-ci de s’infiltrer dans le sol, et cela de façon plus homogène sur toute la surface de la parcelle. C’est un élément favorable, à prendre en considération dans un schéma d’irrigation par exemple. « Un cadre semble se dessiner également, notamment en fixant des niveaux de capacité de rétention d’eau entre deux diguettes. »
« Au sujet de la machine elle-même, je poursuis constamment son amélioration continue. Le nombre d’unités vendues ne cessant de croître, avec une trentaine de machines en fonctionnement aujourd’hui, le nombre d’utilisateurs augmente également, de même que les conditions de terrain et d’utilisation. Il en ressort immanquablement un plus grand nombre de retours et d’avis, qui me permettent de perfectionner encore la machine. Je m’attache, par exemple, actuellement à tenter de la rendre plus légère. Je garde aussi à l’œil l’évolution du prototype 8 rangs car je pense que ce gabarit est aussi appelé à être davantage diffusé ».
Avant de nous quitter, Etienne se dirige vers sa camionnette et en ressort avec une poignée de stylos à bille publicitaires qu’il nous offre. Y figure le slogan suivant : « Matériel conçu par un homme de terrain pour des hommes de terrain », une maxime qui colle véritablement à cet inventeur dont l’esprit est constamment en ébullition pour apporter des solutions utiles aux agriculteurs. Comme il le dit lui-même, seule la vérité du terrain compte…