Yvan Verougstraete : «je suis pour le juste-échange»
Le 13 novembre dernier, la Fugea et ses alliés européens organisaient, au cœur du quartier européen, un rassemblement en forme de piqûre de rappel pour protester contre le projet de traité commercial avec les pays du Mercosur. Les revendications qui ont été portées indiquent que les ferments d’une nouvelle mobilisation d’ampleur n’ont pas disparu. Eurodéputé nouvellement élu, Yvan Verougstraete a apporté son soutien à la colère des agriculteurs. Lors de notre rencontre, il jeté un regard tout à la fois novateur et constructif sur la politique commerciale de l’UE.

Au moment où nous bouclons la présente édition, le sommet du G20 bat son plein à Rio. Il avait été question, un temps, que l’accord de la discorde y soit conclu à cette occasion. Il n’en est finalement rien. Mais ce sera sans doute reculer pour mieux sauter, pourquoi pas encore d’ici la fin de l’année.
Yvan Verougstraete, comment analysez-vous ce qui se trame autour de cet accord tant décrié ?
On se trompe de mondialisation. Au-delà de l’accord lui-même, les négociations sont le symbole de cette Europe qui est empêtrée dans ses contradictions. Elle défend à juste titre des standards environnementaux, sociaux, sanitaires et de bien-être animal très élevés, tout en soutenant le libre-échange en n’accordant aucune importance avec ce qui se fait ailleurs. Pour moi, cela n’a aucun sens du point de vue éthique, moral et économique. On ne peut en même temps s’inscrire dans la philosophie du Pacte Vert et dans le libre-échangisme et la globalisation à tous crins.
Quelle devrait être l’orientation de l’UE ?
Je pense que l’Europe doit se protéger correctement. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est à mes yeux un exemple particulièrement éloquent. Il renverse, pour la première fois, la dynamique puisque l’on impose une norme en veillant à ce que les autres la respectent. C’est encore imparfait et incomplet mais à nous à le renforcer. J’ai apprécié que les commissaires Stéphane Séjourné et Wopke Hoekstra le soutiennent. J’espère que l’on s’orientera vers davantage de mécanismes de ce type, car c’est la meilleure façon d’amener tout le monde à s’aligner sur des standards plus élevés.
Plus globalement, comment l’UE devrait-elle commercer avec le reste du monde ?
Elle devrait évaluer la gestion des accords internationaux sur base d’un triple test, à commencer par celui de juste-échange. Il faudrait s’assurer que la signature d’un accord ne nous fait pas renoncer à appliquer nos standards sociaux, environnementaux, de bien-être animal et sanitaire plus élevés. Au nom de la protection de la biodiversité et des consommateurs, aucun accord commercial ne devrait se faire au prix du renoncement des valeurs auxquelles nous croyons, en nous obligeant à revoir nos principes au rabais. On ne peut accepter des produits pour lesquels la traçabilité est douteuse voire inexistante là où en Europe, les règles sont drastiques. Je pense ensuite à un test anti-dumping par lequel nous devons également nous assurer que l’accord n’instaure pas une concurrence déloyale pour nos producteurs européens, que ce soit via des aides d’état, des subsides ou toute autre intervention, directe ou indirecte qui mettrait nos concurrents dans une situation artificiellement avantageuse. Enfin, le test de l’autonomie stratégique, lequel a pour objectif de vérifier si, suite à la conclusion de l’accord de libre-échange, nous ne risquons pas de créer une dépendance économique dangereuse. Aucun accord ne peut donc mettre en danger notre autonomie en matière alimentaire/agricole, médicale, numérique, technologique, énergétique ou de défense. Je prends un exemple : le Mercosur a fourni 73 % des importations de viande bovine de l’UE, 89 % des importations de viande bovine congelée et la quasi-totalité de la viande préparée importée. Cette viande moins chère et de moindre qualité, arrive sur un marché saturé, et mets donc, à terme, en danger, la survie de nos élevages européens, en particulier ceux de petites et moyennes tailles.
Qui dit nouvelle législature, dit nouveau commissaire. Qu’attendez-vous de Christophe Hansen, futur détenteur du portefeuille à l’Agriculture ?
Je pense que la question clef, c’est de savoir comment il réussira à travailler avec les autres groupes. Il y a, aujourd’hui, une certaine arrogance au PPE qui n’est pas majoritaire dans tous les États membres. Le nouveau commissaire devra être capable de l’entendre. Mais il faut savoir que même chez nous, à Renew, tout le monde n’est pas sur la même ligne quant à la position sur l’accord avec les pays du Mercosur. Il faut toutefois réfléchir à l’intérêt général et globalement, tant d’un point de vue éthique qu’économique, je pense que cet accord avec les pays du Mercosur est une mauvaise décision sur le moyen terme. J’espère que M. Hansen sera capable d’être le commissaire de tous les Européens et pas uniquement du PPE, qui est dans une logique très conservatrice dont la priorité reste l’industrie allemande. À mon avis, il se situe plutôt du côté des progressistes.
Au-delà de la colère liée à l’accord avec le bloc sud-américain, se pose aussi la problématique de l’élargissement à l’Ukraine. Est-ce une crainte à vos yeux ?
Le parlement européen a approuvé le report d’un an de la loi contre la déforestation, mais aussi un nouvel assouplissement du texte par une alliance des voix de la droite et de l’extrême droite. Que vous inspire la montée en puissance de cette dernière ?
On nous avait promis que l’essence de cette loi ne serait pas été remise en question mais le PPE a déposé quinze amendements la vidant, ipso facto, de sa substance. C’est gravissime car on se rend compte que l’on ne peut avoir confiance en un partenaire de majorité au niveau européen. Nous avons la responsabilité de savoir avec qui nous souhaitons travailler. En Belgique, on ne vote pas un texte si l’on a besoin de l’extrême droite pour le faire passer. J’ai appelé le PPE, dont la colonne vertébrale n’est plus aussi stable, à refuser de se compromettre avec le groupe de l’extrême-droite, dont les membres ne venaient quasiment jamais ni à Bruxelles, ni à Strasbourg. Mais la donne a changé car ils sont désormais plus nombreux et se sont mis à travailler. C’est dire que nous devons être encore plus vigilants et redoubler nos efforts pour être meilleurs.