S’ils subissent depuis des années la baisse de la consommation de viande de bœuf en Belgique, les éleveurs wallons traversent actuellement une période de grosses turbulences, marquée par des prix déprimés, et dont le point d’orgue a été la campagne «40 jours sans viande». Après la Flandre, cette initiative présentée comme «un défi pour réduire son empreinte écologique», s’est étendue cette année au sud du pays. Une campagne moins suivie en Wallonie qu’en Flandre, mais qui a touché les éleveurs au plus profond de leur chair. «On croit que les éleveurs râlent parce que cela pourrait les atteindre au niveau de leur portefeuille mais cela va plus loin», explique Marie-Laurence Semaille, conseillère au service d’études de la Fédération wallonne de l’agriculture (Fwa). «Ils voient cela comme une remise en question de la pertinence de leur métier, comme une stigmatisation de la profession. Il y a une perte de reconnaissance de la part de la société qui est mal vécue par les éleveurs.»
Marie-Laurence Semaille conteste deux statistiques régulièrement mises en avant à l’encontre de l’élevage. Selon une étude de la FAO, 18% des gaz à effet de serre émis au niveau mondial sont attribuables à l’agriculture. «Mais, en Wallonie, moins de 10% des émissions sont dues à l’agriculture et 6% peuvent être attribués à l’élevage», argumente la spécialiste de la Fwa. «C’est dangereux et contre-productif de faire croire aux gens qu’en ne mangeant plus leur steak hebdomadaire, ils feront un geste pour la planète. C’est oublier que les prairies permanentes sont des puits de carbone. Un hectare cultivé sur deux en Wallonie est une prairie», rappelle-t-elle. Manger une viande produite en Wallonie ne signifie donc pas la même chose, d’un point de vue environnemental, que de consommer de la viande produite de manière industrielle ou provenant d’Amérique du sud, «où l’on autorise des produits interdits chez nous depuis des années», souligne-t-elle encore.
La race Blanc bleu belge (BBB), qui représente 84% des 1,2 million de bovins recensés en Wallonie, «est celle qui produit le moins de gaz à effet de serre par rapport au nombre de kg produits», renchérit Benoît Cassart, éleveur et fondateur d’un centre de distribution de BBB. Cela s’explique par les qualités génétiques de la race et le fait que le Blanc bleu, aujourd’hui dédaigné par certains consommateurs, est une viande particulièrement maigre. «Aujourd’hui, notre race est décriée. On se fait taper dessus parce qu’on serait des pollueurs, parce que notre viande ne serait pas bonne. Mais lorsque l’on analyse un peu les choses, on constate que le BBB est une race qui rencontre les exigences de la société actuelle: au point de vue environnemental et au point de vue santé», poursuit Benoît Cassart.
Autre donnée régulièrement mise en avant: il faudrait 15.000 litres d’eau pour produire un kg de viande de bœuf. «On comptabilise l’eau qui tombe du ciel sous forme de pluie. Cela peut avoir du sens dans des régions arides, où l’eau est une ressource rare, mais chez nous?», interroge Marie-Laurence Semaille, pour qui «quand on fait ce calcul pour les bovins wallons, on arrive à 60 litres d’eau par kg de viande.»
La spécialiste de la Fwa ne conteste pas que des améliorations puissent encore être réalisées chez nous, mais «en mettant à mal l’élevage, on se prive de solutions par rapport au climat», conclut-elle.
Lors d’un colloque organisé samedi à Libramont sur le rôle des agriculteurs en matière de développement durable, Frédéric Rollin, professeur de médecine vétérinaire à l’université de Liège, a abondé dans le même sens. «Les ruminants sont des bienfaiteurs de l’humanité car ils valorisent des aliments à base de cellulose, indigestes pour l’être humain, et de protéines végétales, en protéines de haute qualité, en vitamines et en acides gras spécifiques. Les ruminants ne mangent pas la soupe sur notre tête mais bien les restes dont nous ne saurions que faire autrement», a-t-il déclaré. Avant d’ajouter: «Oui, les ruminants sont responsables d’une partie de l’effet de serre mais ce n’est qu’une paille par rapport à notre propre consommation d’énergie». Et de conclure que «notre civilisation a été rendue possible par les ruminants et les légumineuses.»
En ces temps difficiles, les éleveurs fondent certains espoirs sur la récente introduction d’un dossier en vue d’une reconnaissance, par l’Europe, de la viande Blanc Bleu Belge en tant qu’indication géographique protégée (IGP). Une reconnaissance qui pourrait intervenir, dans le meilleur des cas, en 2018. Les marchés étrangers représentent également une échappatoire possible pour le BBB alors que la production belge atteint désormais 160% de la demande domestique. «Le Japon, la Chine, le Moyen-Orient, voire l’Afrique du nord pourraient devenir des marchés d’exportation. Le BBB est numéro un mondial comme race de croisement utilisée dans l’amélioration de races laitières locales», conclut Benoît Cassart, pour qui le Belge n’est pas assez conscient des bonnes choses qu’il a chez lui.
(Belga)