Anne-Catherine Dalcq : «je me considère comme un pur produit agricole belge !»
Anne-Catherine Dalcq vient d’enfiler le costume de ministre wallonne de l’Agriculture. Une nomination qui enthousiasme le secteur et ses acteurs désormais représentés par l’une des leurs. Bioingénieure, docteure en sciences agronomiques, déjà rodée aux joutes politiques régionales et européennes, elle est avant tout une agricultrice bien décidée à faire avancer les dossiers qui atterrissent sur son bureau à l’aube de cette nouvelle législature.

Novice à ce niveau de pouvoir, elle peut toutefois s’appuyer sur une solide expérience de terrain, que ce soit au sein de son exploitation ou dans les fonctions qu’elle a occupées dans des organismes de représentation de jeunes agriculteurs.
D’où venez-vous, Madame la ministre ?
Je suis issue d’une famille d’agriculteurs depuis plus de six générations, tant du côté paternel que maternel dont les membres de la famille sont arrivés de Flandre pour s’installer à Nethen. Je suis donc un pur produit agricole belge ! Je suis en cours de reprise de l’exploitation familiale de polyculture-élevage, un système agronomique auquel je crois et qui prend tout son sens dans nos territoires. J’ai des vaches laitières et viandeuses, j’ai vraiment le cœur d’une éleveuse tout en aimant énormément ma campagne et suivre mes cultures. Je suis peut-être plus dans mes étables qu’au volant de mon tracteur et de mes machines même si j’adore moissonner.
Pourquoi avez-vous décidé d’embrasser des études d’agronomie et quel a été votre cursus ?
Au sortir de mes humanités, je me suis naturellement dirigée vers des études de bioingénieure à Gembloux parce que j’avais envie d’aborder l’agriculture à travers le prisme universitaire. J’ai ensuite fait un doctorat en sciences agronomiques et ingénierie biologique. J’étais dans le même temps enseignante à mi-temps à la faculté tout en rédigeant une thèse sur le secteur laitier, qui me tient à coeur.
Quel est le sens de votre engagement au sein d’organisations de jeunes agriculteurs ?
Je me suis impliquée dès l’âge de 17 ans dans la section locale de Wavre-Perwez-Jodoigne de la FJA (fédération des jeunes agriculteurs). À un moment donné, j’ai voulu faire bouger les lignes, je suis entrée au comité directeur avant d’intégrer le bureau national en 2019. Je suis devenue l’une des porte-voix de tous les jeunes agriculteurs wallons, quelle que soit la province dont ils étaient issus. Une responsabilité qui m’a amenée à connaître les situations agricoles et spécificités pédoclimatiques de l’ensemble de la Wallonie, la façon dont une même mesure affecte différemment chaque territoire. Cela m’a aussi permis d’appréhender les effets et conséquences des décisions politiques sur le terrain.
Comment vous êtes-vous retrouvée à l’échelon européen et qu’avez-vous retiré de cette expérience ?
Comme je connaissais l’anglais, je suis devenue la représentante de la FJA au Ceja (conseil européen des jeunes agriculteurs) où j’ai été élue vice-présidente, mandat que j’ai exercé entre 2021 et 2023. C’est une expérience qui permet d’élargir son champ de vision et de prendre du recul sur ce qui se passe dans notre région. On découvre la réalité d’autres pays, les mesures qui y sont mises en œuvre et celles qui pourraient éventuellement être appliquées en Wallonie même si les contextes sont différents. Je songe à tout ce qui touche à l’accès au foncier, par exemple en France, en Italie et en Slovénie, des pays qui proposent des avantages en termes de frais de notaires ou de priorité pour les jeunes. Ces fonctions au sein de la FJA et du Ceja m’ont par ailleurs amenée à rencontrer le monde politique.
Après l’avoir rencontré, vous y êtes carrément entrée. Quelles en ont été les circonstances et pourquoi le choix du MR ?
J’ai toujours été mue par une volonté d’agir sur le terrain, et c’est dans cet élan que j’ai rejoint la section locale du MR de Jodoigne en 2023. Je me retrouve dans les valeurs du centre droit, celles de liberté et d’indépendance, animée par cette audace de porter et d’aller au bout de mes projets. C’était le moment où j’exerçais une activité complémentaire à côté de la ferme en tant que secrétaire générale de l’Association des producteurs de chicorée d’Oreye. Je négociais les contrats, organisais les réunions des planteurs, faisais remonter les avis pour les ensuite les présenter à l’usine. Puis le mouvement de colère des agriculteurs a éclaté et s’est propagé comme une traînée de poudre un peu partout en Europe début 2024. Je n’avais plus aucun mandat, ni à la FJA, ni au Ceja mais l’on m’a appelée en renfort et j’ai répondu présente pour apporter mon aide grâce à mon expérience européenne et ma connaissance des dossiers wallons. C’est dans ces circonstances que l’on est venu me proposer d’entrer en politique et d’apposer mon nom sur une liste.
Envisagiez-vous, à ce moment-là, devenir quelques mois plus tard, ministre wallonne de l’Agriculture ?
Alors là, pas du tout ! Ce n’est qu’après les élections, quand j’ai vu mon nom circuler avec insistance dans les médias, que cela m’a effleuré l’esprit. J’ai évoqué cette éventualité avec des amis agriculteurs, des membres du parti et surtout avec ma famille qui m’a soutenue. Je voyais se profiler un formidable accord de gouvernement, qui plus est salué par tous les syndicats, et je voulais que cela se concrétise pour que l’agriculture aille mieux. À moi qui réclamais depuis longtemps un changement, on m’offrait l’opportunité de le mener. Quand le coup de fil du président Georges-Louis Bouchez est arrivé, je n’ai pas hésité un instant.
Qu’est-ce qu’une ministre qui a l’avantage d’être à la fois agricultrice et agronome, peut apporter au secteur agricole wallon ?
Je peux amener ma connaissance du milieu et du terrain dans la mise en œuvre des mesures qui figurent dans l’accord de gouvernement. J’ai moi-même été confrontée à certains incohérences, des paradoxes, à des éléments inintéressants au niveau agronomique, même si certains d’entre eux ont été revus entre les deux programmations. L’année dernière, par exemple, nous avions été dans l’obligation, sous peine d’amende, de planter un couvert malgré d’abondantes précipitations. Nous avons travaillé superficiellement le sol alors qu’il n’y a rien de pire en termes de pertes azotées. Il faut définitivement mettre fin à l’agriculture de dates, comme en Allemagne.
Votre nomination génère logiquement beaucoup d’attentes et d’espoirs auprès des agriculteurs. N’est-ce finalement pas un peu piégeux pour vous ?
Oui, c’est un risque. Mais si toutes les personnes qui voudraient changer les choses ne bougeaient pas sous prétexte que ce serait trop dangereux pour elles, on n’avancerait jamais. Ce n’est pas ma philosophie. J’ai envie que le secteur agricole dans lequel j’ai grandi se porte mieux car il y a de nombreuses injustices qui me mettent en colère et contre lesquelles je me bats. C’est le sens de mon engagement politique, lequel s’est encore renforcé après avoir visionné le film biographique « Simone, le voyage du siècle », un portrait de l’ancienne ministre d’État française Simone Veil. Je peux assurer que je tiendrai toujours un discours de vérité et très transparent aux agriculteurs. Ce sera ma façon d’avancer dans ce mandat. Mais à l’impossible, nul n’est tenu. Si je suis à même d’agir sur des éléments qui concernent la région wallonne, il n’en sera pas de même pour les niveaux fédéral et européen. Je m’entends très bien avec Benoît Cassart, qui siège désormais au sein de la commission de l’Agriculture au parlement européen, et nous travaillerons de concert pour faire bouger les lignes. Je pense à la Pac post-2027 qui sera discutée dans les instances européennes et nous œuvrerons pour rendre sa structure et son cadre plus intéressants pour les agriculteurs.
Justement, à propos du conseil des ministres européens de l’Agriculture auquel vous serez amenée à participer, comment appréhenderez-vous ce nouvel univers ?
Je vais le découvrir. Ce seront des réunions dans lesquelles Il faudra négocier, trouver des compromis. Mais je suis une bonne Belge, j’ai déjà été confrontée à ce type d’exercice. Quand on explique bien quelque chose, cela finit toujours par être compris.
Contre toute attente, le dossier sur les NBT sera, par exemple, à nouveau au menu du prochain conseil européen du mois de septembre. Quelle sera votre position, sachant que la présidence belge en avait fait l’une de ses priorités ?
Je suis favorable aux NBT tout en étant consciente qu’il s’agit d’un sujet qui peut susciter certaines peurs parce qu’il est question de travail sur le génome. Mais il faut bien différencier un OGM, qui consiste à introduire dans une plante du matériel génétique venant d’une autre espèce vivante, d’un NBT. Il faut aussi avoir en tête que des mutations s’opèrent tout à fait naturellement dans les champs. Je suis un peu horrifiée de constater la façon dont on a opposé, au cours de ces dernières années, nature et intelligence humaine. On en est venu à systématiquement voir positivement tout ce qui émanait de la nature et à considérer comme suspect ce qui est proposé par l’Homme. Or, je pense qu’il faut allier les deux. Si la nature a beaucoup à nous apprendre, pourquoi ne pas faire confiance aussi à l’humain et son prodigieux cerveau ? Dans le cas des NBT, le texte qui a été communément accepté par les chercheurs fixe une limite de modifications à 20 nucléotides, ce qui constitue une bonne manière de mettre des garde-fous à des mutations trop importantes. Plus globalement, Je m’inscris en faveur des innovations agronomiques et technologiques qui peuvent faire partie d’une boîte à outils à mettre à la disposition des agriculteurs pour les aider à répondre aux défis du futur.
Enfin, au niveau belge, avez-vous des contacts avec le nord du pays ?
Je m’entends très bien avec les représentants du Groene Kring (la plus grande organisation faîtière de jeunesse du secteur agricole et horticole flamand, ndlr), j’y ai des amis que j’apprécie beaucoup. J’ai toute une partie de ma famille en Flandre, je me débrouille en néerlandais et j’habite à 300 mètres de la frontière linguistique. J’ai toujours trouvé important, en tant que Belge, d’échanger avec tout le monde.