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Le bon coupable

J’ai repris ici le titre d’un roman d’Armel Job, écrivain de Bastogne, non pas pour me lancer dans une hasardeuse critique littéraire, mais bien pour vous parler -encore !- de la Langue Bleue. Que GLB et ses sbires n’aboient point comme des roquets, je ne vais pas non plus disserter sur la langue bleue du libéralisme engagé, blatérée depuis trois mois en Wallonie dans les cénacles du pouvoir politique… Une autre Langue Bleue préoccupe toutes nos pensées : une catastrophe sanitaire inimaginable, le pire désastre qu’aient connu nos élevages depuis la guerre 40-45 ! Par action ou par omission, où avons-nous péché pour mériter une telle punition ? En d’autres mots plus crus : qui a merdé, dans cette affaire ?

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Lorsqu’une tragédie inattendue survient, la réaction se passe en quatre temps : le déni, la révolte, l’acceptation, la reconstruction. C’est un grand classique.

Au début, nous nous disions : «  Ce ne sera pas pour nous, comme en 2007.  ». Et puis, pas de souci, en bons petits soldats paysans, nous avons écouté nos mages de l’Arsia et de l’Afsca. Nous avons obéi et vacciné -trop tard !- dès que des vaccins -pas adaptés !- furent -à peu près !- disponibles. Alors, quand les premiers moutons morveux ont commencé à boiter, à se coucher pour mourir, nous nous sommes dit : «  Saleté de verminoses ! P(…) de temps humide et chaud  ! ». Nous étions dans le déni, mais la FCO était bien parmi nous !

Puis la révolte est venue, quand le décompte terrifiant s’est emballé, quand la souffrance physique des animaux nous a broyé le coeur. Il a bien fallu admettre l’évidence. Langue Bleue, FCO, fièvre catarrhale. Les culicoïdes nous ont bien eus ! Sont-ils les bons coupables ? Ils n’ont fait que vivre leur petite vie de moucherons hématophages… Ils mordillent un peu la peau du ruminant, font couler la lymphe et le sang, puis s’en régalent. Hélas ce faisant, ils refilent leurs microbes, leurs virus, et parmi ceux-ci, la FCO. Ce sont donc eux, les responsables ? Sont-ce les vents d’Est qui les ont amenés chez nous ? Cette pluie incessante des derniers mois, couplée à quelques journées de canicule ? Ce fichu réchauffement climatique, qui fait remonter des nuées d’insectes sous nos latitudes ?

Nous autres, êtres humains si malins, croyons naïvement avoir dompté la nature : nous aurions dû prévoir l’épidémie ! Nous sommes entourés d’une armée censée nous protéger, et non nous embêter sans cesse pour des broutilles. L’Arsia et l’Afsca sont pointés du doigt par les moutonniers et les éleveurs de bovins, pour leur communication balbutiante et truffée de jargon scientifique, leur lenteur de bureaucrates. Sont-ils les bons coupables de la catastrophe sanitaire ? Les intéressés se récrient comme des vierges outragées. Oui, ils ont prévenu les vétérinaires et le monde agricole dès janvier, de la présence de la BTV3 aux Pays-Bas. OK ! Mais ont-ils assez insisté ? L’information ne s’est-elle pas noyée au milieu d’un océan d’autres notifications ? L’Afsca avait-elle trop de travail, -occupée à contrôler les boucles dans les fermes, le bien-être animal, les déclarations de sortie, les délais de déclaration des naissances, etc –, pour prendre un peu de son temps, et mettre sur pied une stratégie pro-active, mettre suffisamment tôt à disposition des vaccins adéquats, afin de contrer l’arrivée du virus ?

Certains éleveurs lourdement impactés ne décolèrent pas. Et nos responsables politiques ? Étaient-ils trop affairés à se faire réélire au printemps, pour se soucier de cette menace majeure à nos portes ? Leurs langues bleue, rose, rouge, verte, amarante…, ont léché tant qu’elles ont pu les électeurs dans le sens du poil. Mais de FCO, il ne fut jamais question : les gens s’en foutent, chère Madame, cher Monsieur ! Pouvoir d’achat, emploi, réforme fiscale, trajectoire budgétaire publique, sécurité, santé…, voilà des thèmes autrement intéressants et électoralement porteurs. Ils se grattent aujourd’hui l’occiput pour donner l’impression qu’ils prennent le désastre à bras-le-corps, sans trop s’engager libéralement, va-t-on dire. Report de cotisations, avances sur primes PAC, emplâtres sur jambes de bois, sparadraps sur les bouches des syndicats agricoles, et vogue la galère. En vérité, les politiques plaident toujours « non coupables » ! Circulez, y’a rien à voir.

Qui donc alors va-t-on clouer au pilori ? Les animaux malades de la peste avaient crié « haro » sur le baudet, un coupable idéal s’il en est. En l’occurrence, dans le rôle du baudet, les agriculteurs sont parfaits. On les prend pour des andouilles depuis la nuit des temps, incapables de se prendre en main, de prévoir les embrouilles dans lesquels ils semblent se précipiter avec délectation, comme s’ils aimaient souffrir. Sapristi oui, nous aurions dû prévoir l’arrivée massive des culicoïdes porteurs de FCO ! Nous aurions dû rentrer tous les moutons dans les bergeries, les enduire de produits répulsifs, vacciner comme des fous, placer nos fermes sous cloche. Quelle mauvaise volonté, quelle fainéantise criminelle de notre part ! Par notre faute, nos animaux souffrent le martyre et meurent à cause de notre incurie, tandis que les autres -l’Arsia, l’Afsca, les pouvoirs publics, les politiciens, les administrations…- sont parfaitement innocents, blancs comme neige, cela va de soi…

Après la révolte, viendront j’espère l’acceptation puis la reconstruction, sous l’une ou l’autre forme. Pas le choix, faut y aller, ou tout arrêter… Désignera-t-on un jour le(s) bon(s), ou le(s) mauvais coupable(s) ?

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