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La robotique agricole, une petite révolution… qui suscite bien des interrogations

Formation, législation, financement, utilisation… ne sont quelques-uns des points sur lesquels se questionnent les agriculteurs et entrepreneurs devant l’essor de la robotique agricole. Si de nombreuses réponses peuvent leur être apportées, certains points ne pourront être éclaircis que dans les années à venir tant des évolutions en la matière sont attendues.

Temps de lecture : 6 min

Après les robots dédiés au monde de l’élevage, ce sont maintenant les modèles dédiés aux grandes cultures, au maraîchage ou encore à la viticulture qui titillent la curiosité des agriculteurs et entrepreneurs. Pour répondre à leurs questions et lever certaines inquiétudes, Agro-Service, en collaboration avec Waldigifarm, a organisé une table ronde dédiée à ce brûlant sujet lors de la dernière Foire de Libramont.

Autour de Sébastien Weykmans, modérateur et administrateur délégué de Waldigifarm, étaient réunis : Aurélien Pichard, product marketing manager moissonneuses-batteuses chez New Holland, Patrick Pagani, secrétaire général adjoint du Copa-Cogeca, Oliver Henrichmann, expert business chez Crelan, et Stephan Belaen, expert en sécurité des machines auprès d’Agoria.

Avec les utilisateurs

Quelques chiffres viennent introduire le débat, livrés par M. Weyckmans. Ainsi, ce dernier révèle que 100 robots étaient recensés en France en 2018 (hors secteur de l’élevage), contre 600 en 2023. Cette croissance se remarque également au niveau des modèles mis sur le marché. Ainsi, de cinq en 2018, on en trouvait 25 cinq ans plus tard.

Des chiffres qui montrent que la robotique prend de l’ampleur et constitue une petite révolution dans le monde agricole. Mais les agriculteurs et entrepreneurs doivent-ils s’en inquiéter ? Pour Patrick Pagani, l’important sera d’utiliser les robots, « tout en laissant les principaux acteurs au centre » de leurs fermes ou entreprises.

En d’autres mots, la robotisation ne doit pas entraîner de pertes d’emploi mais doit contribuer à améliorer les conditions de travail des utilisateurs. « En la matière, on observe actuellement des pistes de développement très intéressantes, mais il faut veiller à ce que l’ensemble des potentiels utilisateurs puissent y accéder », ajoute-t-il.

Robotisation… mais aussi automatisation

Aurélien Pichard confirme que de nombreuses start-up sont arrivées (ou arrivent encore) sur le marché avec leurs propositions. Mais comment cette tendance est-elle vue par les grands tractoristes, tel que celui qu’il représente ? L’automatisation semble, ici, être le fer de lance de l’innovation, davantage que la robotisation.

Et de détailler : « Si l’on regarde à plus grande échelle, les automatismes introduits sur les tracteurs se déclinent maintenant sur les moissonneuses-batteuses, par exemple. De nombreux réglages s’effectuent automatiquement, sans intervention du chauffeur. Et cette automatisation va aller en grandissant, surtout sur les engins de récolte ».

Pour l’aspect « robotisation » en tant que tel, de nombreux constructeurs ont laissé des start-up émerger et se développer pour, ensuite, entrer dans leur capital. C’est le cas du groupe CNH, avec le constructeur américain de tracteurs électriques et autonomes Monarch, ou encore de Claas et Amazone avec AgXeed.

Malgré ces avancées, Aurélien Pichard ne voit pas une parcelle céréalière être entièrement robotisée, du semis à la récolte, avant une quinzaine d’années.

Ont participé à la table ronde, de gauche à droite : Aurélien Pichard (New Holland),  Stephan Belaen (Agoria), Oliver Henrichmann (Crelan) et Patrick Pagani (Copa-Cogeca).
Ont participé à la table ronde, de gauche à droite : Aurélien Pichard (New Holland), Stephan Belaen (Agoria), Oliver Henrichmann (Crelan) et Patrick Pagani (Copa-Cogeca). - J.V.

Une législation en cohérence avec le terrain

Ces développements, à plus ou moins long terme, suscite également des interrogations en matière de législation. Celle-ci doit évoluer pour accompagner au mieux et avec cohérence les avancées et usages de terrain.

Stephan Belaen rappelle ainsi qu’il existe un règlement relatif aux tracteurs, très précis, ainsi que second texte, dédié aux robots et autres engins, nettement moins détaillé. En guise d’exemple, un tracteur peut disposer d’automatismes mais ne peut être autonome, car cela n’est pas intégré dans l’actuelle version de la législation dont il dépend.

Les robots, quant à eux, peuvent être autonomes mais sont interdits de circuler sur la voie publique. Ici aussi, c’est une question de législation qui n’autorise pas cette pratique.

« De nouvelles normes en la matière verront le jour prochainement, avec l’entrée en vigueur, le 20 janvier 2027, d’un règlement européen auquel tous les constructeurs devront se conformer. Celui-ci remplacera l’actuelle directive et concernera toutes les machines nouvellement mises sur le marché », ajoute-t-il. Il intègre notamment la notion de machine mobile autonome et divers points de sécurité s’y rapportant. De quoi préciser les « règles du jeu » et s’assurer qu’elles soient appliquées par tous de la même manière.

À titre d’exemple, l’actuelle directive « machine » comporte une notion de supervision des robots, avec intervention si nécessaire, mais sans détailler comment doit s’effectuer ladite supervision. C’est un des points qui devraient être éclaircis en 2027.

Former la filière

La formation, tant des utilisateurs que des mécaniciens, constitue un autre aspect de la robotique auquel il convient de s’intéresser. Pour Patrick Pagani, il est essentiel que chacun puisse acquérir les compétences nécessaires à l’utilisation de technologies innovantes. À ce titre, la formation des jeunes est, de toute évidence, capitale.

Et Aurélien Pichard d’embrayer : « Les constructeurs se doivent de former les utilisateurs lorsqu’ils font l’acquisition d’une nouvelle machine. Si une formation est dispensée en cas d’achat d’une nouvelle moissonneuse-batteuse, la même logique doit s’appliquer avec ces engins d’un nouveau genre ».

Ajoutons encore que des formations devront certainement être dispensées aux concessionnaires et mécaniciens. D’une part, en vue de présenter les outils et leur fonctionnement aux potentiels acheteurs. D’autre part, afin d’en assurer la maintenance.

Avec ou sans opérateur ?

Pour conclure les discussions, Sébastien Weykmans s’est intéressé au futur de la robotique agricole, interrogeant chaque intervenant sur leur vision du futur, chacun sur base de leur domaine de compétence.

Pour Patrick Pagani, les innovations devront se faire avec le secteur, mais aussi venir de celui-ci.

Oliver Henrichmann ose, lui, une comparaison avec le monde automobile. Selon lui, ce dernier rencontre bien des contraintes et difficultés pour mettre en œuvre l’autonomisation de ses véhicules, ce qui ne sera pas le cas dans le secteur agricole. « Il suffit de voir un robot tondeuse évoluer dans un jardin… Il travaille seul et bien, mais ne doit pas se rendre sur la route. La situation est similaire en agriculture, ce qui permettra, je pense, d’avancer rapidement. »

Et ce, d’autant que d’ici quelques années les normes législatives seront au point, d’après Stephan Belaen. Ce qui, on l’a vu, n’est pas le cas actuellement… Elles permettront aussi de clarifier l’aspect sécuritaire. Un point sur lequel, en guise de conclusion, insiste Aurélien Pichard : « C’est un aspect sur lequel il faut travailler… Quant à savoir de quoi sera fait le futur, je pense qu’un jour les engins agricoles seront complètement automatisés. Mais je ne suis pas en mesure d’affirmer s’il y aura encore, ou non, un opérateur en cabine… ».

Jérémy Vandegoor

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