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Leurres divers

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On berdelle, on voue les décideurs aux gémonies, on se plaint pendant une semaine ou deux, puis les gens n’y pensent plus quand ils ont digéré l’altération de leur rythme circadien. Ils passent à autre chose… Ainsi va la vie ! L’être humain est un animal curieusement manipulable ! Il râle sec pour un oui ou pour un non, mais finit souvent par accepter des faits nouveaux pour lesquels il était très peu disposé au départ. Il suffit de le leurrer, de distraire son attention, de jouer sur sa propension à se focaliser sur un point précis au lieu de réfléchir à partir d’une vision panoramique.

C’est un grand classique. Nos dirigeants -politiques et autres- connaissent cette entourloupe aussi vieille que nos civilisations. Les leurres, ils connaissent ! Il suffit de regarder leurs gesticulations et d’écouter leurs carabistouilles en radio ou sur les plateaux de télévision pour comprendre avec quelle facilité ils se jouent de leurs sujets pour les dérouter des véritables enjeux !

Ils sont très forts ! Leur duplicité est remarquable : chapeau bas, les artistes ! Ainsi, les deux partis au pouvoir en Wallonie depuis juin ont promis aux électeurs « la fin de l’assistanat », en ciblant particulièrement les chômeurs, comme s’ils étaient responsables à eux seuls de la situation désastreuse des finances publiques. « Faux problème… », affirment des intellectuels comme l’économiste Bruno Colmant et le professeur de l’ULB Maxime Fontaine, « … car les dépenses de chômage ne représentent que le dixième des allocations que l’on paie pour les pensions, les maladies et invalidités ! »

D’autres facteurs plombent les finances publiques, alertent ces deux messieurs bien plus crédibles que les présidents rock and roll MR et Engagés. Le coût du chômage (5,1 milliards/an dont 2 milliards/an pour le longue durée) est bien moindre que les coûts cachés de notre alimentation industrielle, lesquels, selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation), sont évalués pour la Belgique à 34,5 milliards/an (27,5 milliards/an en soins de santé et 7 milliards/an sur le plan environnemental). Chiffres de 2023.

Bref, dans l’absolu et selon les dires de ces économistes, les chômeurs-boucs-émissaires du MR et des Engagés coûtent beaucoup moins chers à la collectivité que les multinationales agro-alimentaires qui moissonnent des profits colossaux dans nos champs d’agriculture intensive, y causant des ravages environnementaux et sociaux irréparables. Sauf que, -pardon ! –, le libéralisme prôné par ces deux partis politiques innocente ces sociétés mangeuses de paysans, en sanctifiant la liberté d’entreprendre et d’imposer des prix d’achat les plus bas possible pour dégager un profit le plus haut possible.

« Le courage de changer, pour que l’avenir s’éclaire ! », claironnent les vainqueurs des élections de juin ! « Paroles, paroles et encore des paroles », chantait Dalida. Le vrai changement de heurt consisterait à s’attaquer à ces sociétés agro-alimentaires prédatrices avec la même virulence qu’aux chômeurs, sinon bien davantage. Même traitement pour tous ! Notre alimentation mérite une politique à part entière, un ministère spécifique qui traiterait tous les défis, du champ à l’assiette, et veillerait à assurer un revenu décent à tous les intervenants de la filière agro-alimentaire.

On est loin du compte ! Au début de cette année 2024, les agriculteurs ont manifesté durement leur ras-le-bol d’être traités plus bas que terre en ce qui concerne les prix de vente de leurs produits. Ils ne demandaient pas la lune, et encore moins le soleil, mais revendiquaient simplement des revenus décents. Tout de suite, ils ont été leurrés par le monde politique, quand on a agité sous leur nez le chiffon vert d’une écologie soi-disant punitive. Ils n’exigeaient pas spécifiquement un allégement des normes environnementales, mais surtout de meilleurs prix à la ferme, pour le lait, la viande, les céréales. Les ministres de l’agriculture nous ont pris pour des enfants, à qui on donnerait des bonbons alors qu’ils demandent de nouvelles chaussures ou un imperméable.

Et pourtant… Ce leurre a eu l’heur de plaire aux syndicats agricoles, en ces heures cruelles où, une fois de plus, les agriculteurs ont été roulés dans la farine. Le prix du lait n’a pratiquement pas grimpé, plutôt baissé. Quant aux céréales, les cultivateurs du Bon Pays et ceux des régions difficiles affirment tous qu’ils n’ont rien gagné cette année. À l’heure où nous passons à l’heure d’hiver, les leurres divers prouvent plus que jamais leur efficacité.

« Le courage de changer, pour que l’avenir s’éclaire ! » : quelle farce ! L’agriculture reste prise au piège, et c’est parti pour durer, faut pas se leurrer…

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