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Les chasseurs-cueilleurs en campagne

Cet automne, les champignons sont rares, déplorent les amateurs d’agarics, cèpes et autres girolles. Chouette alors ! Je ne vais pas m’en plaindre, car cette année, peu de visiteurs inopportuns ont arpenté nos prairies à la recherche de petits rosés-des-prés, et c’est tant mieux, car quelquefois, trop c’est trop. Ceci dit, d’autres compagnies investissent nos champs ces jours-ci, beaucoup plus effrayantes celles-là : armées de fusils, accompagnées de chiens et de traqueurs aboyant et trompettant à qui mieux mieux. On n’est plus chez soi : les chasseurs-cueilleurs 2024 nous envahissent !

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Les cueilleurs de champignons sont furtifs et silencieux. Ils entrent en catimini dans nos prairies aux premières lueurs du jour, leur seau en plastique de dix ou cinq litres sous le bras. Les cueilleurs-lapins-prudents ne rentrent pas dans les parcelles où mugit un taureau ; les cueilleurs-chevreuils sautent lestement par-dessus la clôture ; les cueilleurs-couleuvres se glissent souplement sous le fil, en évitant de préférence l’éventuelle décharge électrique ; les cueilleurs-écureuils escaladent les barbelés, y déchirent parfois le fond de leur pantalon ou de leur jupe ; les cueilleurs-ratons-laveurs ouvrent la barrière d’entrée, oublient parfois de la refermer ; les cueilleurs-sangliers foncent dans le tas, coupent les fils ou aplatissent la clôture sans état d’âme.

Ces derniers sont les plus à craindre, car ils ne se soucient pas du troupeau qui risque de se faire la belle par cette ouverture ! Ces briseurs de haies sont rares, heureusement, mais ils existent : l’un d’entre eux a sévi dans notre commune en octobre, équipé sans doute d’une grande pince coupe-fil. Il s’est amusé, semble-t-il, à créer des brèches ici et là dans des clôtures de prairies. Panique chez les éleveurs ! Rien n’est plus dangereux pour les automobilistes qu’un animal errant sur une autoroute ou une grand-route, a fortiori un troupeau ! Percuter une vache ou un cheval de 600 kg, ne fût-ce qu’à 80 km/heure, revient à foncer dans un mur de briques. L’animal et le conducteur sont salement amochés, voire tués par l’impact. Imaginez le « strike » de bowling quand une voiture ou un camion emplafonne à grande vitesse une troupe d’une vingtaine de bêtes en vadrouille, même des moutons !

Les cueilleurs de champignons sont bien sympathiques, mais il faut s’en méfier. Existe-t-il une charte du bon mycophile, du mycologue responsable ? Lors des balades « champignons », les guides-grands-prêtres avertissent des dangers d’empoisonnement : ne pourraient-ils pas également inculquer à leurs adorateurs le comportement adéquat à adopter en prairie, leur apprendre le respect de la propriété privée ? Quelle serait leur réaction, si nous nous introduisions chez eux équipés de grands seaux, sur leur pelouse ou dans leur jardin, pour y cueillir des pommes ou des fraises ? Ils pourraient tout de même demander notre autorisation, au lieu de rentrer dans nos champs sans complexe, et s’y comporter comme en pays conquis ? Ceci dit, les cueilleurs de champignons ne semblent en rien menaçants. Ils causent des dommages par ignorance ou bêtise, plutôt que par malveillance.

Si les amateurs d’agarics champêtres présentent un profil plutôt inoffensif, voire vulnérable, il n’en va pas de même pour les chasseurs. Quand vous voyez débarquer dans vos prés des lascars armés jusqu’au chapeau, sanglés de pied en cap dans des tenues de camouflage vert kaki, votre première réaction n’est certes pas de les accueillir à bras ouverts… Eux disposent de toutes les autorisations requises. Ils ont loué la chasse au propriétaire des champs que vous exploitez, et donc, impossible de les bouter hors de chez vous. Les parcelles qui vous appartiennent sont elles aussi traversées par ces nemrods du week-end. Forcément ! Le gibier en fuite se soucie peu de respecter les propriétés, lorsqu’il a une meute de chiens aux fesses, et donc, -pif, paf ! –, les flingots tirent à qui mieux mieux quand un sanglier ou un chevreuil traqué apparaît dans la ligne de mire des chasseurs.

Je suis de mauvaise foi, pardonnez-moi, car voir ces pauvres bêtes se faire occire sous mes yeux n’a rien pour me plaire. La chasse est nécessaire, me direz-vous, afin de limiter les populations de gibier, pour tenir ce rôle du super prédateur qui régule les écosystèmes de la forêt et de la campagne. Les chasseurs ne sont pas tous antipathiques, loin s’en faut ! Il en existe diverses catégories. Le chasseur-promeneur se balade gentiment, content de prendre un grand bol d’air et de profiter de la nature environnante ; le chasseur-frimeur est élégamment costumé dans sa tenue de coureur des bois impeccable à 500 €, ses bottes Aigle à 250 €, sa carabine Beretta 686 Silver Pigeon à 5.000 €, équipée d’une lunette de tireur d’élite ; le chasseur-viandeur n’est pas là pour rigoler : avec lui, le sang coule et la bidoche s’accumule ; le chasseur-sans-peur recherche les performances et les trophées, les émotions fortes, la confrontation avec un gros gibier ; le chasseur-festif -ils le sont un peu tous- emporte son flacon d’alcool fort dans la poche-poitrine de son battle-dress, pour se réchauffer et se donner du coeur au ventre. Le soir venu, après une longue journée de chasse, tous ces braves entre les braves se retrouvent pour un repas roboratif bien arrosé, afin de savourer le repos du guerrier. Rien ne vaut la chasse pour sublimer sa virilité : les véritables hommes savent pourquoi !

Allons ! Soyons patients : l’hiver approche. Les chasseurs-cueilleurs 2024 vont bientôt délaisser nos prairies et partir vers d’autres aventures, d’autres cueillettes, d’autres chasses… jusqu’à l’année prochaine !

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