Météo et pommes de terre (1/2): «Un outil indispensable, au même titre qu’un tracteur»
Rien n’est plus aléatoire que la météo, et les extrêmes seront bientôt la règle plutôt que l’exception. Suivre les observations et les prévisions, parfois jusqu’à l’échelle de la parcelle, est devenu capital pour la gestion de la ferme. Certains outils numériques peuvent aider les agriculteurs à protéger les cultures grâce à des avertissements en ligne et à profiter des quelques fenêtres de pulvérisation optimales. Ils permettent aussi d’irriguer les cultures qui en ont besoin de façon raisonnée en limitant les intrants en eau et en énergie, et en préservant les rendements et la qualité des récoltes.

Convaincu depuis longtemps par l’agriculture de conservation et membre de l’asbl Regenacterre, Luc Joris gère la ferme de Geronvillers, à Chastres, une des premières certifiées par Soil Capital en Belgique pour la séquestration du carbone dans les sols. Il est également le premier à témoigner, dans le cadre du projet DuratechFarm, que les stations météo sont devenues des outils indispensables pour toutes les agricultures d’aujourd’hui.
Luc cultive presque toutes les grandes cultures. Certaines, trop impactantes pour les sols, ont été écartées. En revanche, il cultive notamment du seigle panifiable, de l’orge brassicole et a fait des essais d’escourgeon brassicole et de maïs grain. Dès la moisson achevée, il plante un couvert qui sera brouté par un troupeau de brebis et ensuite mulché pour régénérer le sol. « Le sol est notre outil de travail et notre capital, il faut en prendre grand soin », affirme-t-il.
Quel est votre parcours avec les stations météo connectées ?
À l’origine j’étais à la recherche d’un outil de gestion de l’exploitation pour digitaliser les fiches parcellaires et avais trouvé chez Isagri l’application Geofolia qui me plaisait beaucoup, avec ses modules économiques pertinents.
En même temps, je réfléchissais sur les possibilités d’optimiser les pulvérisations pour protéger la vie du sol, gagner en efficacité, réduire les doses et essayer de me passer de certaines molécules comme les insecticides que nous n’utilisons plus dans notre ferme, sauf exceptionnellement.
Pour être performant en pulvérisation, il faut être pointu sur les prévisions météo et les informations venant des stations nationales de l’IRM n’apportent pas la précision nécessaire pour décider quand sortir le pulvérisateur au jour J et à l’heure H idéale.
C’est ainsi que j’ai décidé, en 2018, d’investir dans une station météo connectée. Il existe différents fournisseurs sur le marché. J’ai personnellement opté pour la station Météus d’Isagri, un investissement assez conséquent d’environ 2.000 € pour l’appareil et un abonnement annuel de 80 € pour l’application.
Que vous a apporté cette station météo ?
Avec les mesures de température, la direction et la vitesse du vent et l’hygrométrie (une information essentielle) récupérées par la station et transmises via la connexion internet vers l’application, l’investissement me permet d’intervenir à plusieurs niveaux dans la gestion de l’exploitation.
D’abord, définir la bonne fenêtre de pulvérisation et donc la meilleure efficacité pour le traitement prévu. Avec ma station météo, l’outil de décision utilise les données les plus proches pour mes parcelles, ce qui est l’idéal pour la précision. Il est possible d’intervenir les données d’autres stations qui sont mises en réseau, ce qui peut être intéressant pour pulvériser sur des parcelles plus éloignées.
Le second outil d’aide à la décision, ce sont les avertissements de l’infection en mildiou en pommes de terre. VigiMAP, proposé par le Carah, est un modèle « mildiou » très utile en lien avec les produits autorisés en Belgique. Mileos d’Arvalis, intégré dans les outils de Sencrop, est aussi intéressant pour l’avertissement « mildiou » mais conçu pour la France, ce qui complique parfois l’utilisation car les noms commerciaux des produits sont différents en Belgique.
J’utilise aussi beaucoup les outils de prévision de croissance des cultures sur base des sommes de températures. Cela permet de prévoir une date déjà en mai ou juin pour une moisson de l’orge en juillet. C’est aussi un outil très fiable pour la récolte du maïs grain.
Récemment, j’ai complété la station avec une sonde de température du sol, un outil pertinent pour décider d’entamer les semis au printemps.
Quel est avis quant au pilotage de l’irrigation ?
Je sais qu’il existe des outils qui existent pour raisonner l’irrigation mais cela ne correspond pas à ma philosophie de l’agriculture de conservation. Irriguer ne me permettrait pas de faire séquestrer du carbone sur ma ferme. C’est sans doute une bonne solution pour des marchés de niche, sur des petites superficies.
Quel est votre bilan à ce jour et comment voyez-vous l’avenir ?
Une station météo connectée est un outil indispensable pour la gestion de l’exploitation au même titre que mon tracteur. Son installation est facile et son utilisation ne demande pas de compétences spéciales. Il ne faut donc pas avoir de craintes à ce sujet et la preuve en est que son utilisation se généralise selon ce que je lis dans la presse. Le retour sur investissement est rapide, rien qu’avec l’utilisation des outils d’aide de décision pour identifier les bonnes fenêtres de pulvérisation.
Pensons aussi à l’évolution au niveau des molécules autorisées à l’avenir pour la pulvérisation. Sans doute leur utilisation ne sera plus permise que dans des conditions météorologiques précises qu’il faudra prouver avec les mesures faites par la station météo. Je considère qu’il vaut mieux se préparer dès maintenant plutôt que de rater le train quand il démarrera.
De même, pour avoir une agriculture respectée par le public, il faut travailler sur son image en prouvant que tout ce que nous faisons est justifié avec des données précises et documentées par la traçabilité de tout ce que nous faisons.
Avec les stations météo, nous avons à notre disposition des données pour se justifier et pour mettre en œuvre une agriculture durable, productive et utilisant moins d’intrants.
C’est bon pour l’agriculture et pour l’environnement, un « win-win » comme on dit aujourd’hui.
Waldigifarm