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Quels sont les motifs d’opposition à une cession privilégiée et leur formulation?

Nul n’ignore que la loi sur le bail à ferme pose une interdiction de principe de céder son bail. Cet interdit trouve une première exception lorsque le bailleur a autorisée la cession (préalablement et par écrit). Il trouve encore une seconde exception lorsque c’est à un parent légalement éligible que le preneur entend céder son bail. On parle alors de cession familiale. La loi voit ce type de cession favorablement. Pour faire simple, il existe deux types de cessions de bail en famille autorisées : la cession de bail ordinaire (ou simple) et la cession de bail privilégiée.

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La cession de bail ordinaire, visée à l’article 34 de la loi sur le bail à ferme, consiste à céder son bail à un parent légalement éligible de façon telle que le cessionnaire le continue, le poursuit, sans remise à zéro des compteurs. La cession privilégiée, elle, est visée à l’article 35 de la loi sur le bail à ferme et consiste aussi à céder son bail à un parent légalement éligible mais de telle façon que ce dernier se voit accorder une première et nouvelle période de 9 années. La cession privilégiée est, de façon générale, l’outil légal qui accompagne les reprises d’exploitation agricole dans une famille.

L’article 35 de la loi est ainsi rédigé :

« Si, dans les trois mois de l’entrée en jouissance du cessionnaire, le preneur ou ses ayants droit notifient au bailleur la cession que le preneur a faite du bail à ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint, de son cohabitant légal ou aux conjoints ou aux cohabitants légaux desdits descendants ou enfants adoptifs, en lui indiquant les noms, prénoms et adresses du ou des cessionnaires, le bail est, sauf opposition déclarée valable du bailleur, renouvelé de plein droit au profit du ou des cessionnaires.

Ce renouvellement a pour effet que, toutes autres conditions étant maintenues, une nouvelle et première période de neuf ans prend cours au bénéfice du ou des cessionnaires, à la date anniversaire de l’entrée en jouissance du cédant qui suit la notification ; en outre, le cédant est déchargé de toutes obligations résultant du bail nées postérieurement à la notification.

Ce renouvellement n’a lieu qui si, soit :

1° le cessionnaire est porteur d’un certificat d’études ou d’un diplôme à orientation agricole ;

2° le cessionnaire poursuit un cursus depuis un an au moins en vue d’obtenir un certificat d’études ou d’un diplôme à orientation agricole ;

3° le cessionnaire est exploitant agricole ou l’a été pendant au moins un an au cours des cinq dernières années ».

L’objet de la présente parution n’est pas tant de définir la cession privilégiée mais d’analyser la façon dont un bailleur, qui se voit notifier pareille cession, peut s’y opposer si la loi l’y autorise.

Six motifs d’opposition du bailleur

De fait, l’article 36 al.1er de la loi sur le bail à ferme ouvre le droit au bailleur de formuler une opposition à une cession privilégiée qui lui est notifiée s’il dispose d’un motif légal d’opposition :

« Le bailleur auquel une cession a été notifiée dans le délai prévu à l’article 35, peut faire opposition au renouvellement du bail en citant l’ancien et le nouveau preneur devant le juge de paix, dans les trois mois de la notification de la cession, à peine de dé chéance, en vue d’entendre valider son opposition ».

Les motifs d’opposition, limitativement énumérés par la loi au nombre de 6, sont listés à l’article 37 de la loi sur le bail à ferme :

1° le fait qu’avant toute notification de la cession le bailleur a donné un congé valable ;

2º l’intention du bailleur d’exploiter lui-même, dans un délai inférieur à cinq ans, le bien loué ou d’en céder l’exploitation à son conjoint, ses descendants ou enfants adoptifs ou ceux de son conjoint ou aux conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs ;

3° des injures graves ou des actes d’hostilité manifeste de la part du cessionnaire à l’égard du bailleur ou de membres de sa famille vivant sous son toit ;

4° la condamnation du cessionnaire du chef d’actes de nature à ébranler la confiance du bailleur ou à rendre impossible les rapports normaux entre le bailleur et son nouveau preneur ;

5° le fait que le cessionnaire n’a pas la capacité professionnelle requise ou qu’il ne dispose pas des moyens matériels nécessaires pour une bonne exploitation du bien loué.

6º l’intention des administrations publiques ou personnes juridiques de droit public qui ont loué le bien, d’affecter ce bien, dans un délai inférieur à cinq ans, à des fins d’intérêt général.

Attention qu’on ne parle pas ici de contester la régularité de la cession en avançant par exemple que la cession n’est pas notifiée par voie recommandée ou n’a pas été notifiée dans les trois mois de l’entrée en jouissance.

La formulation de l’opposition

À mettre l’article 36 al.1er et 37 de la loi en perspective, il peut ainsi être soutenu que si le bailleur estime pouvoir mettre en avant, pour s’opposer à la cession privilégiée, un des motifs visés à l’article 37 de la loi, il lui revient de formuler son opposition de la façon prévue à l’article 36 al.1er.

Une question de délai d’abord : l’opposition sera formulée dans un délai de 3 mois à dater de la notification de la cession.

Une question d’ « adversaire », ensuite : l’opposition sera dirigée contre l’ancien et le nouveau preneur, donc contre le cédant et contre le cessionnaire (le père qui cède le bail et le fils qui le reçoit, par exemple).

Une question de compétence matérielle, tertio : l’opposition sera introduite devant le Juge de Paix.

Une question de compétente territoriale, quatrièmement : le Juge de Paix compétent est celui du siège d’exploitation du preneur.

Une question de contenu, en cinquième lieu : l’acte d’opposition contiendra de façon indispensable, parmi d’autres informations, le motif d’opposition.

Une question de forme, enfin : l’opposition sera introduite par la voie d’un appel en conciliation et, dans le mois du procès-verbal de non-conciliation (à défaut de conciliation), l’opposition sera poursuivie par la voie de la délivrance d’une citation à comparaître (une exception toutefois si la citation est postérieure à un mois à dater du PV de non-conciliation mais est délivrée dans les trois mois la notification de la cession).

On l’aura compris : l’opposition à cession privilégiée requiert certaines formes et délais qu’il importe de respecter scrupuleusement… Attention, donc, et gare aux erreurs, elles peuvent coûter cher !

Henry Van Malleghem,

avocat au barreau de Tournai

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