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Caméras et caramels

Selon l’expression consacrée, « les premières grues sont repassées »  ! Leurs cris gutturaux et leurs grands V dans le ciel n’ont pas laissé de place au doute. C’est bien tôt dans l’année ! D’habitude, elles attendent le mois de mars pour entamer leur voyage vers le nord, et leurs passages se multiplient jusqu’à début avril. Elles ouvrent la voie au printemps ! Celui-ci sera-t-il précoce, lui aussi ?

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À l’inverse, les naissances dans les étables et les bergeries se font attendre… Vaches et brebis travaillent à leur arrondissement, mais les pis restent étonnamment collés aux ventres tendus comme des barriques ! L’an dernier à pareille époque, les agnelages étaient terminés et la bergerie bruissait des bêlements attendrissants des agneaux. La situation est surréaliste, car la date du retrait des béliers approche, ce qui signifie que toutes les naissances seront concentrées sur deux ou trois semaines ! FCO, tu n’as pas fini de nous ennuyer ! Il fallait s’y attendre, vu le manque de compétitivité des géniteurs durant août et septembre. Ceci dit, ces garnements se sont bien rattrapés début octobre…

Ce n’est pas le tout, fini de rire ! Les jours et les nuits de tous les dangers approchent à grands pas. Les claies pour boxes individuels et les lampes chauffantes sont sur les starting-blocks. Les yeux des caméras scrutent l’intérieur des loges et les armoires regorgent de sachet de caramels. Pourquoi ceux-ci ? Rien de tel qu’un bonbon sucré pour vous donner un coup de kick quand le moteur a du mal à monter en régime pour aider une parturiente à mettre bas ! Chacun son truc : d’autres mangent des chips, des barres chocolatées ou encore des bouts de saucisses, quand le temps presse et ne laisse guère le temps pour prendre un bon repas…

Notre vétérinaire en consomme des tonnes -disons des kilos- en période de vêlages. Son pancréas a du boulot : bonjour le diabète ! Lui et ses collègues ne chôment guère de janvier à mai, sept jours sur sept et H24. Le nombre de naissances en bovins diminue d’année en année, mais le contingent des « vétés gros animaux » aussi s’amenuise drastiquement, avec peu de jeunes enclins à travailler à la dure dans les fermes. Le travail est pénible et mal payé vu le niveau d’études, disent-ils, car la clientèle agricole ne roule pas sur l’or. Opérer un chat ou un chien est autrement rémunérateur ; l’argent arrive tout de suite sur le compte, tandis qu’il faut souvent patienter pour recevoir son dû auprès des exploitants agricoles, confrontés tout au long de l’année à des problèmes de trésorerie. Ce n’est pas une légende rurale, mais la pure vérité ! Faire une césarienne en février pour être payé en décembre, très peu pour les jeunes vétérinaires, filles ou garçons…

Les jeunes fermiers également ne sont plus vraiment fanatiques de l’élevage. Les temps changent ! Élever des bovins viandeux surtout, permet difficilement de dégager un revenu à hauteur de la masse de travail consentie, des capitaux et emprunts engloutis. La majeure partie du modeste bénéfice, si ce n’est l’entièreté, provient des aides financières de la PAC. Ce n’est pas vraiment gratifiant, ni motivant avouons-le, de dépendre de ce qu’on appelle les « primes », lesquelles percolent au final vers ces secteurs -qui vivent très bien quant à eux !- en amont et en aval de l’agriculture.

C’est un métier stressant, surtout en période de vêlages, durant laquelle un moment de relâchement peut coûter très cher. Notre race emblématique blanc-bleu-belge séduit de moins en moins ces jeunes agriculteurs : elle exige une grande technicité et une surveillance de tous les instants ; quand Papa et Maman ne sont plus là pour « tenir la barque à flot » et surveiller les vaches, le fiston rame et quelquefois se noie.

Ainsi nos grosses matrones blanches et bleues abandonnent peu à peu le terrain aux rustiques limousines, charolaises et autres salers, parthenaises, etc. Celles-ci ne vêlent pas toujours « toutes seules », comme elles sont censées le faire sous l’œil bienveillant des caméras, et le vétérinaire est appelé pour des vêlages assez souvent « rock and roll », sur des animaux tout sauf placides, jamais sélectionnés comme le BBB pour supporter des césariennes. La vie dans les fermes n’a rien d’un long fleuve tranquille…

Si tout était aussi simple qu’un vol de grues cendrées dans le ciel, cela se saurait ! Nos parents et nos aïeux ne disposaient pas de caméras connectées à leur smartphone ; ils veillaient leurs vaches à l’ancienne, en mettant sonner le réveil toutes les deux heures au cours de la nuit, durant deux mois, avec de fréquents allers-retours vers les étables. Ils dormaient très mal pendant la période des naissances. Celle-ci les laissait pantelants de fatigue à la fin du printemps, lors de laquelle les travaux dans les champs requéraient tout ce qui leur restait d’énergie : damnés de la ferme, puis damnés de la terre !

Mais aujourd’hui, on est un peu mieux loti : caramels en poche pour guérir les fausses faims, et caméras braquées sur les animaux, afin de sans cesse ouvrir l’œil, et le bon !

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