Procédure en réintégration : à l’appréciation du juge mais à la charge du bailleur
Dans cette seconde parution, les autres motifs de congé sont abordés, pour lesquelles le preneur peut demander la réintégration et/ou des dommages et intérêts en cas de non-respect du motif dans les délais impartis.

À l’occasion de la précédente parution, vers laquelle il est renvoyé pour « rafraîchissement de la mémoire », les contours de la possibilité d’une demande en réintégration, suite à un congé pour le motif d’exploitation personnelle validé et/ou validé mais non respecté, avaient été abordés et ce via l’examen de l’article 13 al.1er de la loi sur le bail à ferme. Or, ladite loi ne prévoit, évidemment, pas que de tels motifs comme base de congé : rappelons qu’il existe des congés pour motif de bâtisse, pour raison industrielle, pour motif d’usage familial, etc etc. Dans l’hypothèse de pareils congés, valides et/ou validés mais non respectés après l’échéance du délai de préavis, la question à poser est de savoir si une action en réintégration est envisageable. C’est tout l’objet de la présente parution.
Dommages et intérêts
L’article 13 al.2 de la loi sur le bail à ferme, ainsi rédigé, règle le problème :
« La réintégration dans les lieux loués avec dommages-intérêts ou des dommages-intérêts seuls peuvent aussi être réclamés par le preneur qui a évacué les lieux loués à la suite d’un congé donné pour un des motifs prévus aux articles 6 et 7, 2°, 3°, 4°, 9° et 10°, si, sans motifs graves, l’intention annoncée par le bailleur et en vue de laquelle il a donné congé n’a pas été réalisée normalement, compte tenu de toutes les circonstances de fait, bien que plus de six mois se soient écoulés depuis l’évacuation des lieux.
En cas de contestation, la charge de la preuve de la réalisation de ladite intention incombe au bailleur ».
Examinons-le.
Ce qui peut être demandé, d’abord. Le texte légal indique qu’au choix du demandeur à l’action, donc le preneur évincé suite à un congé dont le motif n’a pas été respecté, peuvent être demandés la réintégration seule, la réintégration avec dommages et intérêts ou seuls des dommages et intérêts.
Plusieurs motifs de congé
Dans quel(s) cas, ensuite, la loi envisage les motifs de congé prévus aux articles 6 et 7.2°, 7.3°, 7.4°, 7.9º et 7.10°. Les motifs de congé visés à l’article 6 sont les suivants :
– le congé pour motif de bâtisse (terrains à bâtir) (6§1er),
– le congé pour motif d’usage industriel (6§1er),
– le congé notifié par l’autorité publique dans le cadre d’une expropriation pour cause d’utilité publique (6§1er),
– le congé pour motif d’usage familial (reprise de 20 a contigus à la maison d’habitation) (6§2),
– le congé relatif au stockage géologique de dioxyde de carbone (6§3) et
– le congé pour motif de vente libre d’occupation de 2 ha ou 10 % de la superficie totale d’un seul tenant (6§4).
Les motifs de congé visés à l’article 7 sont les suivants :
– le congé pour motif de jonction (7.2º),
– le congé pour motif d’échange (7.3º),
– le congé pour motif de division (7.4º),
– le congé notifié par l’autorité publique pour des fins d’intérêt général (79º),
– le congé pour motif de bâtisse (7.10°) et
– le congé pour motif d’usage industriel (7.10°).
L’ensemble de ces congés, s’ils sont notifiés, supposent donc le respect d’un motif. Si le congé est valide et/ou validé en ce sens qu’il implique, à l’échéance du délai de préavis, le départ des lieux loués du preneur, ET que le motif fondant le congé n’est pas concrétisé en pratique, le preneur a ainsi la faculté de demander la réintégration et/ou des dommages et intérêts.
La souveraine marge d’appréciation
Reste que l’action judiciaire à envisager est balisée par la loi. En premier lieu, l’irrespect du motif du congé invoqué par le bailleur ne doit pas découler de « motifs graves », soit, pour faire simple, de circonstances totalement indépendantes de la volonté du bailleur. Le fait de savoir si est valable un motif grave invoqué par le preneur actionnant la procédure en réintégration dépend de l’appréciation du juge saisi : on parle de « souveraine marge d’appréciation du tribunal », ce qui suppose que lui seul apprécie si la raison invoquée par le bailleur pour expliquer l’absence de réalisation du motif du congé est justifiée et si elle est suffisamment grave. Ceci permet de confirmer que la loi ne liste pas les motifs graves invocables, laissant la question à l’appréciation du juge. Et la loi de préciser que cette appréciation dépend des « circonstances de fait » de la situation en litige.
En second lieu, la loi prévoit, à la faveur du projet du bailleur, un délai de purgatoire de 6 mois depuis l’évacuation du bien loué suite au congé pour mettre en branle son motif de congé. Attirons l’attention sur le point de départ du délai de 6 mois : il est à fixer, non pas au jour de l’échéance du délai de préavis, mais au jour de l’évacuation du bien loué par le preneur. De fait, il arrive que le départ du preneur ne coïncide pas avec l’échéance du délai de préavis. Pensons notamment aux congés faisant l’objet d’une contestation judiciaire : il arrive que la décision judiciaire de validation du congé soit postérieure à l’échéance du délai de préavis du congé. La loi, dans sa dimension pratico pratique, ne fait courir le délai de 6 mois qu’à dater du jour effectif du départ du preneur. Les six mois laissés au bailleur lui permettent de « voir venir » et « se retourner » après le départ des lieux du preneur.
À la charge du bailleur
En troisième lieu, la loi envisage la question de la charge de la preuve. Qui doit prouver quoi dans pareil procès ? C’est sur les épaules du bailleur que repose l’obligation de prouver que le projet soutenant le congé est respecté ou, s’il ne l’est pas, que le bailleur doit faire face à un motif grave justificatif « compte tenu des circonstances de fait »… On comprend donc que le respect du motif de congé est la règle, l’irrespect étant l’exception.
Contester dans les trois années
Achevons ce tour d’horizon de la procédure en réintégration par le troisième et dernier aliéna de l’article 13 :
« La demande de réintégration ou de dommages-intérêts basée sur le défaut de réalisation de l’intention annoncée par le bailleur dans le congé, doit être introduite dans les trois ans de l’évacuation du bien loué.
Celle qui est basée sur la cessation prématurée de l’occupation doit l’être dans les trois ans qui suivent cette cessation ».
Celui-ci règle la probatique du délai de la prescription à agir et est donc essentiel… Le délai d’action (donc saisir le juge : appel en conciliation et, à défaut de conciliation, citation à comparaître) est de 3 ans, à compter soit de l’évacuation du bien loué si le bailleur n’a pas réalisé le motif de congé, soit de la cessation prématurée de l’occupation si le motif du congé a été respecté mais pas dans la durée légalement requise.
Prudence, de ce côté.
avocats au Barreau de Tournai