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Comme une odeur d’incendie…

Se plaindre ? Qui donc se plaint de nos jours ? Un peu tout le monde, ai-je l’impression… Les agriculteurs ne sont pas les seuls experts en jérémiadiologie, tant s’en faut ! Il est vrai que nous vivons une période particulièrement rock and roll, où les grands bouleversements économiques et politiques se succèdent à toute vitesse, comme autant de tornades aussi imprévues que dévastatrices, lesquelles envoient valdinguer nos certitudes et notre confiance dans l’avenir.

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Zut alors ! Moi qui rêvais d’une retraite sans soucis, peinard le chat. Enfin voilà, on aura bien profité, comme on dit, de ces années insouciantes où nous étions du côté des « gentils » Occidentaux, face aux « méchants » Russes. Mais aujourd’hui, dans quel camp sommes-nous ? Les braves, ou les salauds ? Un peu les deux, sans doute. Nos pays européens se réarment et trouvent soudain beaucoup d’argent pour acheter des armes, sans se soucier des défis sociaux et environnementaux, autrement cruciaux. Et puis l’autre zigoto Outre-Atlantique s’amuse à déglinguer le commerce mondial à coups de taxes et de décrets, lui et sa bande de milliardaires prédateurs. Je suis curieux de voir les surprises qu’ils nous gardent en réserve dans leurs sacs à malices…

Ceci dit, tout n’est pas si mauvais, par exemple en agriculture, puisque le prix du bétail connaît une embellie inespérée, un rattrapage partiel, certes encore modeste mais conséquent. Les éleveurs de bovins suffoquent un peu moins, étranglés qu’ils étaient par la faiblesse des prix à la ferme. Cette hausse va-t-elle s’inscrire dans la durée, à l’heure même où l’ombre d’une sévère récession économique plane au-dessus de nos pays industrialisés, dépendants des exportations et du commerce mondial en pleine éruption volcanique ?

Les fermiers réfléchissent et ne savent que penser de cette revalorisation financière de leur cheptel. Les aigris-culteurs se méfient, échaudés plus souvent qu’à leur tour tout au long de leur carrière, car ce genre de hausse spectaculaire est suivie systématiquement par des désenchantements. Les hardis-culteurs se disent que le grand Jour est enfin arrivé, qu’ils vont se faire des (…) en or, qu’il est temps d’investir, d’emprunter pour donner un nouvel élan à leur exploitation. Les habiles-culteurs vont jouer sur les deux tableaux : consolider prudemment leur trésorerie et consentir certains achats appropriés, en « bon père ou bonne mère- de famille ».

Les marchands de bestiaux surtout, -on peut leur faire confiance quand il s’agit de saisir une opportunité ! –, profitent du contexte favorable, de cette demande pour l’instant soutenue, avec une offre en baisse continue depuis des années. Les deux courbes statistiques se sont enfin croisées, selon toute évidence. Mais cela durera-t-il ? Dans un monde normal et cohérent, ce serait sans doute le cas. Pas sur une planète où la puissance financière domine tout de la tête et des épaules, où la ploutocratie a droit de cité et s’en glorifie !

Car un jour hélas, le capitalisme accoucha de Trump, et vomit dans la foulée une meute de loups milliardaires, prêts à dévorer la planète entière pour satisfaire leur faim inextinguible de pouvoir et de richesses. Toutes les cartes sont rebattues quand les pouvoirs publics lâchent les brides aux marchés, pire encore lorsqu’ils les dérégulent sciemment pour agioter à la hausse et à la baisse. Spéculer est un jeu destructeur où la plupart des gens sont perdants, sauf quelques hyper-riches atteints du syndrome de mégalomanie.

Leur logique semble pour nous incompréhensible, mais à vrai dire, elle ne fait que s’aligner sur la loi de la jungle, de cette nature que les écologistes qualifient de brave et innocente. La loi du plus fort ! Nous autres éleveurs connaissons cet instinct qui pousse les plus gros animaux à s’emparer de toute la nourriture, des bonnes places pour eux et leur descendance. Les brebis refoulent avec une grande brutalité les agneaux faméliques d’autres portées, quand ces pauvrets ont le malheur de s’approcher trop près de leurs mamelles ; les vaches les plus puissantes, armées de cornes redoutables, chassent et massacrent les plus petites quand celles-ci essayent de manger à l’abri-boule ; les chats et autres prédateurs tuent sans état d’âme les oiseaux pour s’en nourrir, tandis que ceux-ci mangent des insectes qui n’en demandaient pas tant.

C’est ainsi ! La raison du plus riche, du plus égoïste, est toujours la meilleure. Les sociétés de gestion agricoles et les exploitations industrielles n’agissent pas autrement quand elles accaparent un maximum de terres, au détriment des fermes plus modestes. L’homme est un loup pour l’homme, rien à faire ! Alors, à quoi bon se plaindre, puisque les événements mondiaux actuels ne nous renvoient que l’impitoyable reflet de notre nature animale, et cette part du diable en lutte perpétuelle avec la part de l’ange.

Cendres et fumées sur Terre, suie et nuages noirs, et partout comme une odeur d’incendie.

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