Marchands de peurs et marchands de leurres
En toute sincérité, je le croyais innocent et convenu, mais assez curieusement, mon petit article « Un métier aux mille dangers » m’a valu plusieurs réactions, polarisées en deux tendances, l’une à l’antipode de l’autre. Certains messages abondaient dans mon sens, tandis que d’autres déploraient mes propos de manière cinglante. L’expression « marchand de peurs » est revenue plusieurs fois, notamment dans une réponse publiée dans le dernier Sillon Belge de 2023. Je vous remercie infiniment pour toutes vos réactions positives ou négatives, lesquelles stimulent mes réflexions intérieures et fournissent du carburant (renouvelable) à mon moteur…

« Marchands de peurs », mais encore ? Par définition, un marchand vend et achète, distribue des denrées, se tisse un réseau commercial pour capter du bénéfice, gagner sa vie. Son but premier est de dégager un bilan financier positif ; il cherche à satisfaire ses clients pour les fidéliser, non pas naïvement pour les rendre heureux, mais en ayant bien conscience que leur niveau de contentement déterminera la réussite de son business. Or donc, un « marchand de peurs », au sens littéral de l’expression, est bien quelqu’un qui tire profit ou qui vit de la diffusion d’images effrayantes ou de récits anxiogènes. Les télévisions, les médias, les publicitaires jouent sur ces violons avec virtuosité. Mélodieuse ou grinçante, tant que leur musique fait grimper l’audimat, c’est tout bon ! De même, les politiciens de tous bords, les dictateurs surtout, n’hésitent pas à susciter les craintes, à entretenir un climat de frayeur, de méfiance, d’effroi !
Ceux-ci sont de véritables « marchands de peurs ». Ils ne se revendiquent pas comme tels, et retournent sans vergogne le compliment aux lanceurs d’alertes, aux « wokistes » et autres Cassandre. Si par malheur, quelqu’un a le malheur de dire un mot de travers sur un sujet sensible, alors qu’il se contente de pointer du doigt un risque avéré ou un danger majeur, il est aussitôt cloué au pilori avec écrit « marchand de peurs » sur son front ! Les climatologues du GIEC, les militants défenseurs de l’environnement, les altermondialistes…, font systématiquement les frais de ce dénigrement, institutionnalisé par les lobbies des grands trusts capitalistes actifs dans les énergies fossiles, la chimie, l’agro-alimentaire, etc.
Et ça marche ! En dépit de toutes les alertes climatiques, les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter ; la perte dramatique de biodiversité émeut un minimum de citoyens ; très peu de spécialistes s’inquiètent de la dégradation des sols agricoles par les pratiques culturales modernes, malgré ces champs inondés où l’eau ne percole plus, ces nappes phréatiques polluées par une kyrielle de molécules douteuses.
Mais non, voyons ! Tout cela n’est rien, puisque ces petits inconvénients -surveillés et contrôlés en toute transparence par le Service Public d’un ministère très compétent, sachez-le !- permettent au modèle consumériste de prospérer à court terme ! Après nous les mouches !
Mais non, voyons ! Manipuler des insecticides, fongicides, herbicides et autres biocides, n’est pas du tout dangereux pour la santé, si l’on respecte à la lettre les précautions dictées par les conseilleurs agricoles, si l’on n’enfreint aucune règle légale, si on lit avec attention les textes écrits en tout petit sur les étiquettes des produits phyto ! Plusieurs agriculteurs me l’ont avoué : ils ne prennent pas le temps de consulter le jargon abscons de la littérature phyto-pharmaceutique de leurs bidons, quand ils ont enfin une fenêtre de beau temps pour aller pulvériser. Un autre m’a dit avoir abandonné le port d’un masque FFP2 vivement conseillé par son médecin, car le riverain d’une parcelle lui a dit « Si ce n’est pas mauvais ce que vous épandez sous nos fenêtres, pourquoi portez-vous un masque buccal ? ». Les combinaisons et autres protections bien visibles, dixit ce fermier, seraient anxiogènes pour les non-agriculteurs et donneraient une mauvaise image de l’agriculture. « Il ne faut pas donner aux écolos un bâton pour nous battre ! ».
Mais non, voyons ! Les agriculteurs ne risquent rien et les consommateurs encore moins, cela va sans dire ! Le désir de savoir est très mal vu par ceux que j’appelle les « marchands de leurres », ceux-là même qui stigmatisent ceux qu’ils appellent faussement « marchands de peurs ». Les chiffres sont là, effarants : environ trois millions de tonnes (!) d’herbicides sont utilisées chaque jour (!) dans le monde afin d’éliminer toute plante indésirable ! Sans compter les fongicides et insecticides… En toute sincérité, quand je parle avec des agriculteurs de chez nous, je me rends compte qu’ils sont mal à l’aise avec ces produits phyto-pharmaceutiques. S’ils pouvaient s’en passer, disent-ils, ce serait « bon débarras ». Pourquoi ?