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Des politiques mondiales qui créent davantage d’incertitudes que par le passé sur les marchés céréaliers

Lors de soirées consacrées au marché des céréales, organisées par l’Agence flamande de l’agriculture et de la pêche, François Huyghe, expert en économie agricole au Boerenbond, a dressé le panorama de l’évolution des prix des céréales et du rôle qu’y jouent les politiques mondiales.

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En préambule, François Huyghe évoque la forte hausse des prix des denrées alimentaires intervenue en 2022, notamment en février, au moment de l’invasion russe de l’Ukraine. Après cette flambée des prix, une baisse s’est amorcée, surtout à partir du second semestre 2023. Cette décrue est d’ailleurs encore perceptible aujourd’hui. Au cours de la même période, les prix du gaz, de l’électricité et des engrais ont également connu une hausse, suivie d’une baisse. Les cours du sucre et des céréales ont reculé l’année dernière, contrairement aux prix du lait qui ont augmenté. Selon François Huyghe, l’augmentation de la demande de beurre explique la hausse du prix du lait.

Il rappelle qu’avant la guerre en Ukraine, les prix du gaz étaient stables et bas. Peu avant le déclenchement du conflit, les prix du gaz ont commencé à grimper en raison de la fermeture progressive du robinet de gaz russe. Les prix de l’électricité ont suivi la même tendance. Tous deux ont baissé par la suite, mais sont à présent à des niveaux plus élevés qu’avant l’invasion. Les prix des engrais se sont inscrits dans la même évolution.

Change eurodollar

La relation entre l’euro et le dollar joue un rôle crucial dans le commerce international.« Si nous travaillons avec l’euro comme monnaie, au niveau international, nous commerçons en dollar », explique-t-il. « Lorsque l’euro baisse par rapport au dollar, l’exportation européenne devient plus compétitive. Cela signifie que des produits comme le blé peuvent être plus facilement vendus sur le marché mondial. En revanche, Si l’euro augmente par rapport au dollar, il est plus difficile d’exporter. Mais un euro bas a aussi des inconvénients, par exemple, les importations de soja deviennent moins chères ». Actuellement, 1 euro vaut environ 1,12 dollar, un niveau relativement stable depuis six mois.

L’influence de la monnaie ukrainienne

Dans cette équation, l’expert met en lumière un élément méconnu : la monnaie ukrainienne, la grivna, qui a chuté par rapport à l’euro, rendant les céréales de ce pays plus compétitives sur le marché mondial et donc plus promptes à être exportées. Avant la guerre, les céréales ukrainiennes étaient destinées à l’Afrique et au Moyen-Orient. Aujourd’hui, ces céréales aboutissent en Roumanie, en Pologne et en Bulgarie.

Le cas du pétrole

Ces dernières semaines, François Huyghe a constaté que les prix du pétrole n’ont guère bougé. C’est assez remarquable, car la logique voudrait que les cours de l’or noir augmentent sur fond de conflits géopolitiques. Pour l’heure, ce n’est pas le cas, et c’est plutôt étonnant.

Il a également souligné le lien entre les prix du pétrole et des céréales. Lorsque les prix du pétrole augmentent, les cours des céréales évoluent dans son sillage, ce qui s’explique par la production de biocarburants, selon notre expert. Ces dix dernières années, la production de biocarburants a bénéficié d’investissements massifs. Les céréales sont utilisées pour produire de l’éthanol et les oléagineux pour produire du diesel. Le Brésil et les États-Unis sont les faiseurs de marché à cet égard.

L’influence de la météo

En Europe, le mauvais temps a fait chuter la production de céréales en 2024. Mais, cette même météo a été favorable au marché des céréales à l’échelle mondiale avec, à la clé, une production en hausse. La Chine, l’Inde, l’Amérique, le Canada… ont tous engrangé de belles récoltes. La demande de céréales a légèrement augmenté et la production est au niveau de la consommation. « L’offre de céréales se porte donc bien au niveau mondial », souligne-t-il.

« Dans les faits, la production céréalière 2024, de notre pays est inférieure d’environ 35% à celle de 2023 »

Production de céréales en baisse en Europe mais pas aux USA, au Canada ou en Argentine

La production européenne de céréales est dominée par le blé. Par rapport à l’année dernière, le volume récolté a diminué de 6,2 %, alors qu’il a augmenté de 9,4 % aux États-Unis, de 9,2 % au Canada, de 15,7 % en Argentine et de 2,5 % en Chine. François Huyghe note que la Chine est devenue le deuxième producteur mondial de blé et en achète même encore sur le marché mondial. L’Inde est actuellement le numéro 3.

Cette année, la récolte de soja a également donné satisfaction, ce qui a fait légèrement reculer leurs cours. Une évolution favorable donc pour les prix des aliments pour le bétail. Il précise toutefois que les stocks mondiaux ont quelque peu diminué, mais pas au point de provoquer une hausse importante des prix.

Cette année, la production de céréales a donc été faible en Europe. Une baisse de rendement de plus de 10 % a été enregistrée en France, aux Pays-Bas, en Italie, en Grèce et en Hongrie. L’orateur s’étonne que la Belgique ne figure pas dans cette liste. Notre pays se situe en effet dans la catégorie des pays qui ont connu une baisse de production de 5 à 10 %. Mais ces chiffres, émanant de la Commission européenne, sont certainement sous-estimés. Dans les faits, la production céréalière de notre pays est inférieure d’environ 35 % à celle de 2023.

L’examen de la situation spécifique du blé nous apprend que l’Allemagne se retrouve également sur la liste des pays où la production de céréales a baissé de 10 %. On remarquera par ailleurs que l’Espagne a eu une meilleure récolte en 2024.

La production européenne de céréales est dominée par le blé. Par rapport à l’année dernière, le volume récolté  a diminué de 6,2 %, alors qu’il a augmenté de 9,4 % aux États-Unis, de 9,2 % au Canada,  de 15,7 % en Argentine et de 2,5 % en Chine.
La production européenne de céréales est dominée par le blé. Par rapport à l’année dernière, le volume récolté a diminué de 6,2 %, alors qu’il a augmenté de 9,4 % aux États-Unis, de 9,2 % au Canada, de 15,7 % en Argentine et de 2,5 % en Chine. - stsvirkun - stock.adobe.com

Le rôle croissant de la Chine dans le commerce des matières premières

En 2020, la Chine était responsable de 25 % du commerce mondial des matières premières. Actuellement, elle représenterait même 60 % du commerce mondial de soja, en raison de la forte expansion de l’élevage de porcs et de poulets dans ce pays. Et d’expliquer : « En fait, la moitié des réserves mondiales de céréales et de soja se trouverait en Chine. Depuis 2019-2020, le pays s’emploie en effet à constituer des stocks massifs, par le biais d’importations, mais aussi de sa production domestique qui augmente ».

La Chine, comme le Brésil, connaît cette année une bonne récolte de maïs grain. À l’échelle mondiale, le maïs grain est la principale céréale. Sa production augmente dans le monde entier et sa consommation progresse légèrement. Ses stocks ont quelque peu diminué, mais restent à un niveau satisfaisant, en tout cas au-dessus du seuil critique.

S’agissant des perspectives de récolte de maïs grain, les rendements devraient être inférieurs de 10 %, voire davantage, en Espagne, en Italie, en Slovaquie, en Hongrie, en Roumanie, en Bulgarie et en Grèce. Dans notre pays, selon la Commission européenne, le recul de la récolte se situerait plutôt entre 5 et 10 %. Mais la récolte est loin d’être terminée. Toujours selon les prévisions de la Commission européenne, la France verrait ses rendements de maïs grain se stabiliser. L’Allemagne, la Pologne et la Lituanie, en revanche, feraient beaucoup mieux avec un gain de 10 %.

Une demande et production d’oléagineux en hausse

Après les céréales, François Huyghe se penche sur les huiles. Le marché total des oléagineux pèse 691 millions de tonnes. La principale graine oléagineuse est le soja, avec 429 millions de tonnes. Le reste des graines oléagineuses est constitué de colza (89 millions de tonnes) et de tournesol (53 millions de tonnes). La production de graines de tournesol devrait être plus faible cette année, mais la production totale d’oléagineux sera plus élevée. Sa production augmente, tout comme la demande. Cette demande provient principalement de la Chine, qui a surtout besoin de soja pour ses élevages de porcs et de volailles.

En 2000, la Chine n’importait encore que 13,2 millions de tonnes de soja. Au fil des ans, ce chiffre a augmenté pour atteindre 100 millions de tonnes en 2024. Notons cependant que les importations ont diminué en 2018-2019 en raison de la peste porcine. La Chine en a tiré les leçons en imposant des mesures de biosécurité strictes à ses élevages de porcs. À la suite d’un désaccord avec le président Trump, les Chinois n’ont plus acheté leur soja aux États-Unis en 2020, mais ont raflé tous les stocks du Brésil.

Ce pays est en effet le plus grand producteur de soja, suivi des États-Unis et de l’Argentine. « En termes de production, les récoltes européennes sont de la roupie de sansonnet », selon lui. Le prix du soja et du tourteau de soja a baissé l’année dernière et, vu les bonnes perspectives de récolte, les prix ne devraient pas remonter dans l’immédiat.

La dépendance à la Russie et à l’Ukraine

D’après François Huyghe, il est également indispensable de faire le point sur la guerre en Ukraine tant ce pays pèse lourd dans la production de céréales au niveau mondial. L’Ukraine, avec la Russie, représente plus de la moitié de la production mondiale de tournesol. Au moins 26 pays dépendent de l’Ukraine et de la Russie pour plus de 50 % de leurs besoins en blé. Cette dépendance intervient plus particulièrement à l’égard de la Russie.

Avant l’invasion russe de l’Ukraine, une grande partie des céréales produites dans les deux pays était destinée à l’Afrique. La guerre a modifié les flux, si bien que les céréales ukrainiennes se retrouvent maintenant sur le marché en Pologne, en Roumanie, en Bulgarie… « Ce qui a provoqué l’ire des agriculteurs de ces pays », rappelle-t-il. Certes, l’Europe essaie de calmer le jeu, mais l’on ne peut ignorer le fait que cela exerce une pression sur notre marché.

Près de chez nous

Chez nous, les prix des céréales sont bien inférieurs à ceux de l’année dernière. Malgré de mauvaises récoltes, avec des rendements moindres de 35 à 40 %, et malgré une réduction de la superficie cultivée, les prix restent médiocres. En cause : la hausse de la production mondiale de céréales. « C’est le jeu global de l’offre et de la demande qui détermine les prix, y compris chez nous », conclut-il. « De plus, les céréales ont de particulier qu’elles sont facilement stockables et transportables au contraire des pommes de terre, par exemple ».

Et d’ajouter : « Les marchés des céréales et des aliments pour le bétail semblent aujourd’hui suffisamment approvisionnés et peu nerveux, malgré la situation géopolitique. Les céréales ukrainiennes ne se dirigent plus vers des cieux lointains, leur commercialisation en Europe exerce une pression sur notre marché céréalier. Quant aux évolutions futures, elles restent pour l’instant très incertaines. Les situations géopolitiques peuvent changer rapidement. Quoi qu’il en soit, il y a plus d’incertitudes dans l’avenir qu’il n’y en avait dans le passé ».

D’après Tim Decoster

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