«L’Europe a besoin d’élevage!»
La dynamique de la production agricole européenne est en perte de vitesse, et ce n’est pas une nouveauté. Alors que les surfaces sont en recul, que les importations sont en hausse, des scientifiques et des politiques se sont tout récemment réunis autour de l’eurodéputé Benoît Cassart pour défendre le secteur de l’élevage, son potentiel économique, le tissu social lié à ses activités, lesquelles doivent être pleinement intégrées dans la stratégie européenne globale afin de façonner une voie durable pour le Vieux Continent.

Depuis les années 90, l’Europe a perdu 10 millions ha de surfaces agricoles dont 5 millions de prairies permanentes.
Les prairies comme puits de carbone
Des chiffres vertigineux qu’il nous faut absolument enrayer en faisant coïncider enjeux de production et trajectoire environnementale.
Pour Luc Vernet, secrétaire général du cercle de réflexion Farm Europe, cela passera par une relance du secteur de l’élevage sans augmentation des charges pour créer une dynamique de création de valeur quant aux aménités rurales positives qu’il apporte, y compris en intégrant les questions du stockage de carbone et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Et les prairies y ont un rôle déterminant, de nombreuses observations et études l’ont démontré, comme celle qui a été réalisée il y a déjà quelques années par la faculté de Gembloux Agro-BioTech. Sur base d’une analyse menée durant cinq ans, elle a prouvé qu’une prairie du Condroz namurois était à même de capter jusqu’à 6 t d’équivalent CO2 par ha et par an de manière assez constante a indiqué Nicolas Perreaux, vétérinaire et responsable commercial de la coopérative « En direct de mon élevage ».
Mieux, il a analysé le bilan carbone d’une viande produite par l’un des coopérateurs pour le confronter à celui issu d’autres systèmes d’élevage. Il en est ressorti que notre bœuf wallon émet en moyenne 15 kg d’équivalent CO2 par kilo de viande, contre 80 kg pour une viande sud-américaine. À titre de comparaison, il faut savoir qu’un aller/retour à Marseille en voiture pèse 500 kg d’équivalent CO2, soit environ 33 fois la consommation d’1 kg de bœuf produit de manière raisonnée en Wallonie. Et que dire, quand on apprend que prendre un vol aller/retour pour l’Asie revient à émettre, par passager, 3 t de CO2, soit 200 fois plus que notre kg de viande wallonne ! Une position défendue par Frédéric Rollin, professeur à la faculté de médecine vétérinaire de l’ULiège, dont nous avons déjà relayé le contenu des travaux dans nos colonnes.
Le scientifique est venu étayer sa thèse par des arguments de bon sens pour le maintien des élevages dans l’UE, au moment où les ruminants font l’objet de critiques aussi sévères qu’insensées émanant de personnes (très) peu informées. Leur première erreur n’est-elle pas de penser, par exemple, que les émissions de gaz à effet de serre se font par l’arrière alors qu’elles sont le fait de l’éructation…
Les ruminants, bienfaiteurs de l’humanité
L’UE compte quelque 75 millions de bovins sur son territoire, dont 20 millions de vaches laitières sur une SAU de 150 millions d’ha, qui représente 40 % de la superficie de l’UE. Les prairies et pâturages occupent quant à eux en réalité 36 % de la SAU. Les ruminants, explique le Prof. Rollin, sont « des bienfaiteurs de l’humanité ». Grâce à un travail forcené (ils ruminent entre 10 et 12 heures par jour, 365 jours par an), ils parviennent, « avec le concours de la flore de leur rumen, à transformer des protéines végétales de piètre qualité et la cellulose, un hydrate de carbone complètement indigeste pour les monogastriques, en protéines microbiennes de très haute valeur ».
Les ruminants sont des producteurs nets de protéines comestibles pour l’être humain. Ils entretiennent une synergie avec la flore et la faune des sols parce qu’ils digèrent tout sauf la lignine qui constitue « un cadeau tombé du ciel pour les protozoaires, les insectes, bousiers, bactéries et autres champignons ainsi que les vers de terre ».
Les vers de terre, insatiables travailleurs du sol
Et que dire de ces derniers qui revêtent « une importance capitale » a développé le scientifique en précisant que « l’on peut en trouver jusqu’à 500 g/m² sur les prairies permanentes. Ils se nourrissent de la matière organique et des végétaux en décomposition tandis que leurs déjections (turricules) sont très riches en N-P-K, soit les éléments nutritifs nécessaires pour les plantes. Cela représente quand même jusqu’à 120 t par ha et par an » nous apprend M. Rollin.
Les vers de terre sont véritablement « dopés » par la vitamine B12 qui subsiste dans les bouses des ruminants. Sans oublier qu’ils participent aussi à la formation du complexe argilo-humique, et donc d’humus dans les sols. Enfin, ils contribuent à l’aération des sols et augmentent leur drainage, diminuent leur érosion et lui permettent d’absorber plus d’eau.
« Une prairie permanente peut ainsi absorber jusqu’à 50 l d’eau par m² avant qu’il y ait écoulement, alors que ce n’est que 4 l pour des terres cultivées sous labour » explique Frédéric Rollin. Et d’ajouter que « les prairies, grâce aux vers de terre et aux ruminants qui les pâturent, sont le gage de pouvoir continuer à disposer d’eau potable non contaminée, ce qui est une denrée de plus en plus rare ».
Pâturage, graminées, et atouts du trèfle
Le scientifique a rappelé le caractère indissociable et la synergie existant entre les productions animales et végétales. C’est, pour lui, une erreur « magistrale » de croire que l’on pourrait se contenter de ne faire que des végétaux. « La plante nourrit l’animal qui nourrit en retour la plante » se plaît-il à répéter.
En pâturant, les ruminants raccourcissent les graminées et font le lit de plantes à fleurs qui poussent plus au ras du sol, favorisant ainsi les pollinisateurs et surtout le trèfle, une légumineuse prairiale qui a la faculté de capter l’azote grâce au rhizobium, quand il y en a dans le sol. Cela peut représenter entre 80 et 90 unités d’azote par ha et par an.
Les bovins sont une espèce « parapluie », à savoir qu’ils abritent et favorisent tout une série d’espèces végétale, animales et autres micro-organismes. De par les multiples synergies qu’ils rendent possible, les ruminants « carbonent » les sols. Les ruminants sont « les artisans de la civilisation », avec les légumineuses. Ils améliorent la fertilité des sols en augmentant la matière organique, ce qui permet de réaliser une économie d’engrais minéraux qui sont assez polluants. Ils préservent les sols en diminuant les risques d’érosion, ils favorisent la recharge et la potabilité des eaux souterraines et ils augmentent considérablement la biodiversité à tout point de vue. C’est dire que « les ruminants sont vraiment indispensables pour nous aider à affronter les différents enjeux essentiels à notre survie » synthétise le professeur Rollin qui questionne la façon d’adapter au mieux les pratiques pour leur permettre de pleinement remplir ces multiples fonctions.