De l’école à l’étable: le parcours de Julie Gilain pour sauver son fils
La relève des générations agricoles implique-t-elle des profils originaux ? C’est à cette question que le Collège des producteurs a voulu répondre lors d’une matinée de réflexion. Un sujet plus que d’actualité, quand on sait que seulement un agriculteur sur cinq dispose d’un repreneur. Mais qui se cache derrière les termes de « profils originaux » ? Quels sont ces hommes et ces femmes qui ont osé se lancer dans le monde agricole, malgré ses nombreuses difficultés ? Julie Gilain fait partie d’entre eux. Elle nous raconte son parcours, aussi atypique qu’émouvant.


Certains embrassent le monde agricole pour vivre leurs convictions, ils idéalisent ce changement de carrière professionnelle. D’autres souhaitent une vie plus épanouissante ou un autre rapport au travail : être leur propre patron. Julie Gilain n’est pas de ceux-là. L’agriculture, c’est avant tout le choix d’une mère pour sauver son fils. Et malgré son agenda d’éleveuse plus que chargé, elle a partagé quelques pages de son histoire à l’issue d’une matinée axée sur la relève des exploitations agricoles.
Avant d’être agricultrice, quelle était votre profession ?
J’ai réalisé un graduat en langues, j’ai travaillé à l’aéroport de Zaventem et en tant qu’institutrice en immersion néerlandais. En fait, je suis née en Flandre, à Saint-Trond, puis mes parents ont déménagé au Grand-Duché du Luxembourg, et je me suis installée entre les deux, à Purnode. Mon papa est originaire d’Erpent, en province de Namur.
Et quelles sont les prémices de cette réorientation professionnelle ?
Mon fils souffrait d’ulcères au niveau des yeux, et chaque fois qu’un ulcère apparaissait, il perdait une partie de la vue. Pendant des années, nous avons consulté des médecins dans tout le pays. Nous sommes même allés en voir en France. Il souffre, en réalité, d’une allergie croisée entre les pollens et les produits transformés dans l’alimentation, comme les conservateurs. Il s’agit d’une maladie rare. En Belgique, il doit être le seul à être atteint de cette manière. Nous avons consulté des spécialistes de la cornée à Liège, et nous avons notamment essayé d’éviter les pollens. Lorsque la période était critique, nous partions à la montagne, à plus de 2.000 m d’altitude. On m’a aussi dit qu’il pouvait continuer à l’école, mais qu’il ne fallait pas ouvrir les portes et les fenêtres. Ce n’était évidemment pas possible… Cette situation était très compliquée et longue, puisque cela a duré de la 3e maternelle jusqu’à la 6e primaire. Nous avons aussi commencé à analyser toutes les étiquettes. Parfois, il mangeait et, une demi-heure après, il hurlait. Le blanc de son œil devenait rouge écarlate, et aux urgences, ils ne savaient rien faire pour améliorer les choses. Nous sommes donc revenus à une alimentation de base, avec des produits tels que du lait, des œufs et de la farine. Cela rendait son allergie moins explosive. Nous avons exclu le lait de vache, car il ne le digérait pas correctement, et nous avons privilégié le lait de chèvre. Comme il était moins facile à trouver, j’ai commencé à avoir des animaux…
Comment a évolué votre situation ?
Au départ, nous possédions six chèvres et deux brebis. Nous trayions alors pour notre propre consommation, mais j’ai commencé à avoir des demandes extérieures. J’ai ainsi directement démarré la vente directe. Nous avons ouvert le magasin en 2017. À côté de cette activité, pendant deux ans, je faisais l’école à domicile pour mon garçon. À présent, nous possédons 150 têtes, brebis et chèvres confondues, à la traite, ainsi que deux vaches, de race Brune Suisse pour la qualité de leur lait. Pour les chèvres, nous travaillons essentiellement avec l’Alpine et quelques Saanen. Au niveau des brebis, nous possédons des Lacaune et du Laitier belge.
Vous vous êtes lancée très vite dans la vente directe. Que proposez-vous au sein des « Fromages de Julie et autres délices » ?
Des fromages au lait de chèvre, de vache et de brebis. Des pâtes molles, dures, soit différentes sortes qui évoluent au fil des saisons. Les produits varient avec la quantité de lait que je possède. Je réalise également des glaces, des desserts et des bûches de Noël pour les fêtes. Nous faisons aussi des colis de viande avec les agneaux et les chevreaux. Nous essayons, en effet, de valoriser ces derniers, notamment grâce à l’action du Collège des producteurs pour proposer cette viande au sein des magasins Cora, ou lors des fermes ouvertes avec des hamburgers agneaux-chevreaux. Pour la fin de l’année, les clients peuvent essayer cette viande avec les saucissons.
Quelles ont été vos plus grandes difficultés ? Lorsque l’on n’est pas issu du monde agricole,
Si. Toutefois, on croit en notre projet, et nous avons tous les jours des retours très positifs de notre clientèle. Le plus compliqué, c’était l’aspect financier. Dans l’agriculture, nous sommes tenus par nos prêts et par notre chiffre d’affaires. Aujourd’hui, nous vivons de cette activité.
Passer de l’enseignement à l’agriculture, c’est un peu le grand écart au niveau des horaires…
Lorsqu’on est enseignant, on travaille beaucoup à côté pour préparer les cours et proposer de la nouveauté aux élèves. Bien entendu, ce n’est pas aussi intense que ce que l’on vit maintenant. Nous sommes toujours comme dans un train à grande vitesse, et on espère récupérer un rythme normal !