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Pommes de terre robustes : gérer les gènes de résistances pour éviter de les perdre

La protection des cultures passe notamment par l’emploi de variétés résistantes. Dans le cas de la pomme de terre, ces variétés robustes sont largement utilisées en agriculture biologique et s’imposent progressivement en culture conventionnelle. Toutefois, le contournement de résistance par les maladies reste un défi. Voici quelques conseils préventifs de la Fiwap.

Temps de lecture : 9 min

La protection et par extension la conservation des gènes de résistance des variétés robustes (voir liste belgo-française des variétés robustes 2025 sur le site de la Fiwap) intéresse en premier lieu les producteurs bios. Mais ces variétés robustes vont progressivement se développer et s’imposer en culture conventionnelle.

La plupart des négociants-préparateurs belges achètent des robustes dans leur gamme bio, mais aussi de façon croissante dans les pommes de terre conventionnelles.

Des industriels de la chips/croustilles (non bio) en utilisent également, et des essais sont en cours en frites conventionnelles.

Il n’est pas rare d’observer une variété tolérante/résistante perdre cette caractéristique. Les photos 1 et 2 illustrent tristement cette perte d’une variété « robuste », avec un gène de résistance, soumise à des attaques incessantes et massives tout au long de l’été 2024. Son gène de résistance a probablement été contourné par une souche de mildiou particulièrement agressive.

Photo 1 : Agria détruite par le mildiou à gauche et Nirvana robuste à droite (fin août 2022).
Photo 1 : Agria détruite par le mildiou à gauche et Nirvana robuste à droite (fin août 2022). - D.R. (Fiwap)

Photo 2 : Agria détruite par le mildiou à droite, Nirvana «robuste» détruite à gauche (début septembre 2024).
Photo 2 : Agria détruite par le mildiou à droite, Nirvana «robuste» détruite à gauche (début septembre 2024). - D.R. (Fiwap)

Une histoire de gènes et de souches…

Au départ, 30 gènes de résistance au mildiou (gènes R ou Rpi) étaient connus, mais plusieurs d’entre eux se ressemblaient fort. Seulement onze gènes étaient bien distincts les uns des autres. Depuis lors, au moins cinq d’entre eux ont été contournés, ce qui fait un total de six gènes restants, sept si le nouveau gène Rpi-amr1 est compté. Celui-ci a été co-découvert par des chercheurs du Wageningen University Research (WUR) aux Pays-Bas. Le Rpi-amr1 est issu de Solanum americanum et provient d’une solanacée de la famille de la morelle noire, insensible au mildiou. Ce gène est résistant à 19 souches différentes du Phytophthora infestans . Il est très prometteur car, contrairement à de nombreux autres gènes R trouvés dans des pommes de terre sauvages, celui-ci vient d’une morelle.

Au fil des ans, les chercheurs du WUR testent la virulence (agressivité) des souches de mildiou contre les gènes de résistances. Malheureusement, le nombre de gènes R qui restent a-virulent (insensible) diminue…

Les tableaux 1 et 2 proviennent de chercheurs du WUR et illustrent la question respectivement en 2021 et 2023.

En 2021 (tableau 1), seuls les gènes de résistances, blb2 et sto1, résistaient à toutes les souches de Phytophthora infestans testées (vert foncé). Pour R8, R9, chc1, vnt1 et Athlete, une à deux souches de mildiou se sont révélées virulentes pour ces gènes (en vert clair).

10-Virulence (v) et A-virulence (a) des souches de mildiou vis-à-vis des gèn

Dans le tableau 2, on remarque que certains gènes R (R1, R3a et R3b) sont très fortement contournés par le mildiou. Entre 2010-2014, deux gènes R restaient peu attaqués (R9a, Rpi-vnt1) et un seul ne l’était pas du tout (Rpi-cap1). Cependant, sur la période 2020-2023, R9a et Rpi-vnt1ont partiellement craqués et Rpi-cap1 a déjà pris 1 % de virulence.

Les gènes R (ou Rpi) ne sont pas nécessairement définitivement perdus. Le gène R2, largement utilisé en seconde moitié du siècle passé, semble d’ailleurs retrouver un peu de vigueur/résistance au vu de l’évolution des populations de mildiou (tableau 2 ). Avec l’apparition et le développement des souches 36_A2 et 43_A1 de mildiou ainsi que la diminution de l’importance de la souche 13_A2, le gène R2 a retrouvé une certaine efficacité.

10- Evolution du pourcentage de virulence du mildiou sur différents gènes R

De nouvelles données pour l’année 2023 (tableau 2), de Jack Vossen (WUR), montrent que :

– Les gènes Rpi R3a et R3b se sont montrés sensibles dans 100 % des cas vis-à-vis de EU13_A2, EU36_A2, EU43_A1, EU46 et autres souches

– Les gènes Rpi blb1, blb2, vnt1 et cap1 sont insensibles aux quatre souches citées plus haut ainsi que vis-à-vis des « autres ».

– Pour ce qui est des gènes R2, ber1, R8 et R9a, ils sont en général insensibles à la virulence des différentes souches de mildiou. Mais avec des exceptions : ber1 est 100 % sensible à EU36_A2, R8 est sensible (6 cas sur 8) contre les « autres » souches de mildiou, R9 est sensible (6 cas sur 8) vis-à-vis des « autres » également et R2 est sensible à EU13_A2 et EU-43_A1.

Que faire maintenant ?

La « saison mildiou 2024 », extrêmement agressive, suivie par un automne et un hiver humide avec peu de gelées, doit nous faire aborder la saison 2025 avec précautions !

Il y a eu :

– les résistances avérées de certaines souches de mildiou à certains fongicides (conventionnels),

– le contournement partiel de résistances chez plusieurs variétés robustes réputées fortement tolérantes,

– des milliers d’hectares de pommes de terre non récoltées (avec quelques t/ha ou plusieurs milliers de tubercules qui n’auront pas pourris/gelés),

– une petite partie des plants qui ont attrapé le mildiou tant la pression était forte.

Le mildiou risque donc de faire irruption sur les tas de déchets, dans les repousses et parfois même dans les cultures de pommes de terre.

Prophylaxie et prévention

Il convient donc de penser à prendre des mesures de gestion des résistances avant, pendant et après la culture.

 Mesures avant ou en début de culture  :

– Prêter attention à l’hygiène sur et autour de votre exploitation : la gestion des déchets est primordiale. La meilleure stratégie à adopter est de couvrir le tas de fumier et de faire plusieurs retournements au cours des mois. La lutte contre les repousses dans les autres cultures est également indispensable.

– Essayer de choisir des parcelles « ouvertes » et bien aérées  : quand cela est possible, éviter les proximités immédiates de bois ou d’allées de peupliers (pour l’ombrage et l’humidité relative plus élevée), faire attention aux fonds de vallée ou aux zones connues pour leurs brouillards fréquents ou persistants. Dans ces différentes situations, en effet, avoir des temps d’humectation plus long entraîne des risques accrus de maladies.

– Contrôler et inspecter les plants  : on ne peut évidemment pas contrôler l’ensemble de ses plants. Néanmoins, lors des comptages/pesées/tests de germination, il est important de vérifier si du mildiou n’est pas présent sur les plants et d’être plus attentifs pour les lots suspects. Après la levée, des contrôles renforcés des lots suspects et des parcelles sont à prévoir.

– Choisir des variétés tolérantes ou résistantes  : idéalement en partenariat avec votre/vos acheteurs avéré(s) ou potentiel(s). Voir la liste 2025, avec 38 variétés robustes sur le site de la Fiwap, du Cra-w et de Biowallonie. Certaines maisons de plants ou obtenteurs communiquent sur le ou les gène(s) de résistance présent(s). Si c’est le cas, cela peut en partie guider votre choix.

– Choisir des variétés avec des gènes de résistance différents et/ou avec plusieurs gènes de résistances : Si plus d’une variété est cultivée (ce qui est à encourager), choisir plusieurs gènes de résistance, dans la mesure du possible, est indispensable. On parle alors d’empilement de gènes.

– Effectuer une prégermination des plants : il est conseiller d’au minimum lever la dormance des plants par pindoulage des caisses (retournements) et/ou par coup de chaleur. La plantation dans un sol réchauffé et l’utilisation de pré-buttes permettent également d’accélérer la levée et donc le développement des plantes avant que le mildiou n’arrive dans l’environnement.

– Jouer avec la précocité et la maturité des variétés : planter les pommes de terre tardives tôt et les hâtives plus tard dans un sol bien réchauffé. En cas de forte tolérance ou résistance de la variété au mildiou du feuillage mais d’un faible indice de mildiou de tubercule (variété sensible), il faudra penser à défaner tôt, dès l’apparition du mildiou sur les fanes.

– S’abonner et suivre les avertissements mildiou : en premier lieu, ceux du Carah (Ath). Le système Vigimap (OAD du Carah) permet d’obtenir un avertissement spécifique à la parcelle. En culture bio et avec des variétés robustes, le système est en constante évolution afin de mieux compter le degré de résistances / tolérances au mildiou de chaque variété, notamment grâce aux résultats des parcelles MilVar (L’mont, Cra-w et Ath, Carah).

 Mesures en cours de culture :

Contrôler régulièrement une fois la culture levée : idéalement plusieurs fois par semaine, plus particulièrement en conditions humides et poussantes et a fortiori une fois les premiers avertissements mildiou lancés.

– Appliquer du cuivre  : tant que le cuivre est autorisé en culture bio, une utilisation raisonnée et raisonnable peut être employée. Le cuivre est à appliquer préventivement, donc mieux vaut commencer tôt, à doses réduites mais répétées, certainement après chaque lessivage et/ou lors de pousse active.

Traiter en période de forte pression : c’est l’unique manière (avec les destructions de foyers et le défanage précoce) de garantir le maintien des résistances des variétés robustes.

– Une autre approche, préconisée dans certains cahiers de charge en Allemagne ou aux Pays-Bas (où le cuivre est interdit depuis 2000), recommande l’approche suivante. Dans le cas de cultures de variétés robustes, procéder de la manière suivante :

En Allemagne : commencer à traiter au cuivre les variétés robustes (avec 250 gr/ha) quand les variétés plus sensibles dans les environs sont atteintes.

Aux Pays-Bas : attendre quatre avis successifs une fois qu’un avertissement mildiou a été lancé avant de traiter les variétés robustes avec un fongicide préventif en culture conventionnelle dans les cultures conventionnelles.

En Belgique (cuivre autorisé) : traiter en préventif avec du cuivre (ou produits alternatifs reconnus, agrées et efficaces) lors du 4e, 5e, 6e ou 7e avertissement, en fonction de la variété et de la pression.

– En tout état de cause, défaner les plantes ou partie de champs dès que le mildiou est présent. Cette approche est préconisée dès que possible afin d’éviter l’apparition et le développement de résistances.

– Dès l’observation d’une tache de mildiou ou d’une plante malade, il est recommandé de l’arracher, de la mettre dans un sac en plastique (pour éviter de disperser les spores lors de son évacuation) et la détruire (dans un trou avec de la chaux ou via l’incinération).

– Si un foyer est repéré, il est impératif de le détruire (idéalement thermiquement) et de bien contrôler aux alentours (particulièrement sous le vent) pour voir s’il n’y a pas d’autres foyers. Une plante malade et a fortiori un foyer visible signifient que l’infection est présente mais pas encore visible aux alentours. La destruction se fera donc aussi immédiatement autour du foyer.

Rouler les buttes et les refermer : en cas de période sèche après le mildiou et au cas où les buttes se craquellent et s’ouvrent, il existe des machines spécifiques avec roues rappuyant les buttes afin d’éviter d‘éventuelles contaminations ultérieures des tubercules.

En cours de saison (juillet/août), lorsque le feuillage commence à vieillir, le mildiou peut profiter du début de sénescence pour s’installer. En général, le développement est plus lent et l’appa rition de résistance moins probable. Ces foyers doivent néanmoins être détruits ou surveillés.

– Certaines variétés attrapent le mildiou, puis l’«  encapsulent  » et l’empêchent de se développer.

  Mesures pendant la récolte et après celle-ci :

– Veiller à une bonne induration de la peau avant de commencer la récolte et avoir toujours à l’œil le délai défanage – récolte.

Éviter les coups dans la mesure du possible et encore plus les endommagements mécaniques (coupures et blessures), qui sont la porte d’entrée aux maladies, notamment au mildiou.

– Dès la mise en conservation, favoriser le séchage et la cicatrisation.

Daniel Ryckmans

Fiwap

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