En effet, une herbe pâturée et valorisée à un stade jeune peut atteindre jusqu’à 250g MAT/kg MS alors qu’un foin médiocre réalisé en conditions humides peut tendre vers la qualité protéique d’une paille, c’est-à-dire presque 0. Pourtant, optimiser l’utilisation des fourrages herbagers permet d’améliorer de nombreux aspects de la durabilité : autonomie, rentabilité ou encore réduction de la compétition avec l’alimentation humaine. Ainsi, dans l’optique de guider les éleveurs dans cette tâche complexe, de nombreux outils d’aide à la décision (OAD) ont été développés. Malheureusement, force est de constater que les éleveurs les adoptent peu. Nous nous sommes demandé pourquoi et surtout comment mieux faire ?
En élevage, tout système peut être appelé outil d’aide à la décision (OAD) s’il permet de prévoir ou de contrôler la gestion à court terme ou de repenser l’orientation de son système d'élevage en procurant des indicateurs associés à un modèle d’interprétation, qu’il soit informatisé ou non.
Mais un Outil d’Aide à la Décision (OAD), c’est quoi ?
La science des OAD se développe peu après la deuxième guerre mondiale avec les premiers modèles de prédiction informatisés. Vu la technicité grandissante nécessaire en élevage, l’espoir était qu’ils deviennent pour l’éleveur un conseiller disponible en tout endroit et à tout moment. L’idée était certes attirante mais les résultats se sont révélés décevants : la distance entre théorie et pratiques agricoles a souvent freiné les éleveurs dans l’utilisation de ces outils. Face à ce manque d’adoption, les stratégies évoluent du côté de l’offre technique. Au départ de modèles strictement informatiques, ces outils évolueront vers tout type de systèmes, incluant des objets ou des formats papiers. L’idée est de guider la prise de décision plutôt que de fournir la décision dite « optimale ». C’est un premier pas vers une reconnexion aux modes de gestion pratique ou savoir-faire des éleveurs et conseillers. Parallèlement, ces dernières années, la révolution numérique entraîne en agriculture la création d’OAD de plus en plus automatisés bouclant le cycle de la prise d’information (capteurs) à la prise de décision (traite automatisée par exemple).
De nombreux OAD existent !
Deux échelles de temps peuvent être considérées lors de la prise de décision : une échelle opérationnelle et tactique, à court terme, et une échelle stratégique avec une vue à plus long terme de l’orientation de l’exploitation (Fig. 1.). De manière prévisionnelle, les outils peuvent aborder la question du choix des fourrages à implanter (mélanges prairiaux, choix d’inter-cultures fourragères, …), de la fertilisation, de la gestion du pâturage ou encore du moment optimal de récolte. Outre cela, certains outils permettent d’approcher la question de l’allocation optimale des fourrages au troupeau par la réalisation d’un bilan fourrager. Enfin, certains outils permettent d’adapter la complémentation en concentrés à la ration fourragère de base (tableur de ration) et d’orienter la génétique du troupeau de manière à s’adapter au système en place. L’éleveur peut ensuite contrôler l’effet des actions mises en place (gestion rétrospective). Par exemple, l’alimentation du troupeau peut être évaluée à l’aide d’indicateurs liés à la production laitière (taux TB/TP et taux d’urée), d’indicateurs de santé animale ou de performances (efficience d’utilisation des concentrés). Des bilans annuels peuvent également être réalisés pour faire le point sur l’entièreté de la campagne réalisée. Ceux-ci sont notamment introduits au sein de certaines comptabilités agricoles. En résumé, une offre très diversifiée d’outils existe déjà, agissant à différents niveaux et disponibles en différents formats.
Et en Wallonie ? Enquête sur leur utilisation réelle dans notre région
Le coût et le temps sont à la fois des freins et des leviers
Intérêt et encadrement à disposition
Créer des OAD plus efficaces: aller de l’incompréhension à la création d’un « langage commun »
Les acteurs du monde agricole sont confrontés, à l’émergence de nombreuses techniques et équipements pleins de promesses. Certains, notamment l’herbomètre, semblent pertinents pour optimiser la valorisation de l’herbe pâturée. Comme le montre notre étude, les éleveurs laitiers font le plus souvent appel à des indicateurs simples plutôt qu’à des modèles informatiques et/ou des outils automatisés. Au-delà des coûts et de la charge de travail, nous pensons qu’il existe également un problème dans l’approche-même de conception des OAD : la distance trop importante entre les agriculteurs et les concepteurs de ces dispositifs. Concernant certains OAD, le manque de communication, de « langage commun », est réel.
En effet, pour qu’un outil puisse être utile, il doit accompagner les pratiques de l’utilisateur. Autrement dit, le savoir-faire doit être préservé et valorisé. Nos entretiens avec certains membres de la filière mettent cela en avant. En parlant de la pousse de l’herbe, un conseiller nous confie notamment son questionnement face à ces outils qui essayent de « faire le bonheur des éleveurs malgré eux ». Les éleveurs utilisent, selon lui, « leur bon sens lorsqu’ils voient leurs vaches et leurs prairies », grâce à leurs connaissances intimes de leurs prairies. Il y a « autant de variantes que d’éleveurs », ce qui motive la création d’outils adaptables ou de plusieurs outils en fonction des affinités de chacun. Au lieu d’étudier « comment améliorer l’adoption d’outils d’élevage existants ? », nous nous demandons donc « comment concevoir des outils de manière plus efficace et correspondant mieux aux pratiques et attentes des éleveurs ?».
Cra-w
En 2020 et 2021, le Cra-w a suivi la saison de pâturage de 3 fermes laitières situées dans les provinces de Liège et du Hainaut. L’objectif était d’étudier l’appropriation de la pratique du pâturage tournant dynamique et de l’utilisation d’un herbomètre à plateau par les éleveurs. Chacun des 3 éleveurs disposait d’un herbomètre à plateau connecté permettant de mesurer une hauteur d’herbe compressée qui tient compte de la densité du couvert végétal, et indique la biomasse disponible sur la parcelle. Ces données peuvent ensuite être exportées directement sur ordinateur ou sur GSM selon le modèle. L’herbomètre est également nécessaire à l’emploi de différents programmes permettant d’anticiper la gestion du pâturage (logiciels Pâtur’Plan, HappyGrass...).
Les trois producteurs ont pu faire part de leur satisfaction face à la mobilisation dudit outil dans un système impliquant une gestion rigoureuse du pâturage. Ils évoquent tout d’abord son intérêt en système de pâturage tournant dynamique. Les hauteurs d’herbe leur permettent de décider de (1) l’ordre de passage des vaches dans le parcellaire, (2) du débrayage éventuel de certaines parcelles, mais aussi (3) de la complémentation à apporter à l’étable en lien avec le stock disponible en prairie. Ils s’accordent aussi à dire que l’herbomètre est d’utilité durant toute la période de pousse de l’herbe mais plus fréquemment en début de printemps et début d’arrière-saison si une reprise de la pousse de l’herbe est observée.
Il s’agit selon eux d’un outil rigoureux et simple d’utilisation : « Je le trouve précieux par rapport à mon système avec une latte, avant je ne faisais pas autant de prises parce que c’était très fastidieux». L’usage de l’herbomètre implique inévitablement une charge de travail supplémentaire, mais nécessaire selon les 3 éleveurs : « Devoir passer dans toutes les parcelles est une bonne contrainte qui au moins te force à aller voir l’état de tes prairies. ». Les producteurs trouvent finalement que le coût d’un herbomètre à plateau connecté (entre 800 et 1.100€ HTVA selon la marque et les fonctionnalités proposées) est justifié : « C’est un investissement mais tu l’utilises pendant plusieurs années et ça te permet d’avoir une meilleure gestion! Selon moi, il les vaut ». Le prix d’un herbomètre à plateau manuel se situe lui entre 100 et 500€ HTVA.
Venez nous aider à faire avancer le développement des OAD en élevage !
Où ? Dans les bâtiments du Cra-w (Gembloux) ou par visioconférence selon les conditions sanitaires.
Quand ? Les vendredis 4 (pour les éleveurs) et 11 mars (pour les conseillers).
Comment ? Les participants auront l’occasion de participer à une simulation de l’outil de gestion du pâturage « Pâtur’plan » en lien avec l’utilisation de mesures de hauteurs d’herbe à l’herbomètre, de mettre en avant les freins et leviers à son usage, et de discuter avec d’autres éleveurs des intérêts et enjeux présents et futurs des OAD en lien avec la gestion des fourrages.
Contact : r.vanhakendover@cra.wallonie.be ou 081/87.50.23.