Une transition écologique… en intégrant les singularités de chaque éleveur!
Olivier Dupire est agroéconomiste au sein de la chambre d’agriculture française. Invité à l’Arsia, cet expert a partagé ses observations, ses constatations, mais aussi ses perspectives concernant la situation de l’élevage en France. Un secteur avec ses propres particularités, qui, comme en Belgique, doit faire face au challenge de la transition écologique sans faire l’impasse sur la performance.

Avant de nous dresser un état des lieux de l’élevage en France, Olivier Dupire s’est penché sur Inosys Réseaux d’élevage. Cet organisme public vise à fournir des données et des références pour aider les éleveurs à améliorer la performance au sein de leurs exploitations. Le fer de lance de ce réseau ? Accompagner les candidats à l’installation, soit les futurs agriculteurs, dans des fermes viables, afin de permettre aux générations de se renouveler.
Par ailleurs, ce réseau poursuit également la mission d’outiller les décisions stratégiques. Ainsi, grâce aux analyses et constatations réalisées directement sur le terrain, ils peuvent aider les autorités politiques à prendre des décisions pertinentes.
Pour ce faire, ce dispositif travaille avec 1.100 fermes partenaires. Elles sont de plusieurs types : bovins laitiers et allaitants, ovins et caprins… « Les éleveurs que nous sélectionnons affichent un niveau de performance économique d’environ 25 % supérieur à celui observé en moyenne. Nous les suivons pendant au minimum sept ans ».
Durant ce laps de temps, le réseau collecte donc des informations précieuses qui serviront notamment dans le cadre de la planification écologique mise en œuvre par les autorités françaises pour différents secteurs.
« En France, l’agriculture représente environ 19 % des émissions de gaz à effet de serre, et l’élevage en couvre à peu près 50 % ».
Il ajoute : « Notre objectif chiffré et fixé d’ici 2030 est une diminution de 13 millions de tonnes de CO2 pour le secteur agricole. Cela reste moindre par rapport aux transports, aux bâtiments et à l’industrie, car l’ambition est de maintenir l’élevage français, tout en sachant que les émissions de méthane ne peuvent pas être totalement neutralisées ».
Pour atteindre ce résultat, différentes solutions ont été identifiées. Citons l’autonomie protéique, la gestion des effluents d’élevage, les haies et les arbres, ainsi que le pâturage. Mais avant de les activer, il est avant tout primordial de cerner au mieux les exploitations françaises afin de s’assurer que ces leviers et les réalités du monde agricole puissent réellement « matcher ».
Les agriculteurs s’adaptent, du low-cost à la revalorisation
Pour ce faire, l’expert a donné un aperçu de la situation des fermes de bovins laitiers. Des exploitations bien distinctes et à recontextualiser. Il est, par exemple, évident qu’il est impossible de comparer une petite installation située dans une chaîne montagneuse à un élevage intensif de la région des Hauts-de-France. « Il est également important d’analyser la manière dont ces éleveurs travaillent. L’une des périodes les plus marquantes dans le domaine a été la suppression des quotas laitiers. Il y a alors eu des orientations très distinctes. Certains ont misé sur le volume, avec une intensification de leur système. D’autres ont préféré valoriser le lait en lui apportant une valeur ajoutée, comme les AOP, ou les agricultures biologiques. Enfin, il y a eu la voie low cost, c’est-à-dire les agriculteurs qui ont diminué leurs charges pour maintenir une juste rémunération ».
Un éleveur sur 10 réfractaire
au changementUn autre élément à prendre en compte ? Le profil des agriculteurs. L’expert en a identifié plusieurs. Les innovants, branchés numérique, data… et les environnementalistes. Ces derniers représentent entre 15 et 20 % des éleveurs du réseau et sont tout à fait prêts à passer le cap du changement. Puis, il a les observateurs et les sécuritaires. Ils sont environ huit sur dix. Pour eux, la transition se fera pas à pas, ils ont besoin d’être rassurés et accompagnés. Enfin, un fermier sur dix est réfractaire. Pas la peine de lui demander de changer, c’est non, tout simplement.
De moins en moins de vaches laitières qui pâturent
Outre ces profils, et les spécificités propres à chaque exploitation, un autre élément est à prendre en considération est la diminution du cheptel. Depuis 2016, l’Hexagone a perdu 343.000 vaches laitières. Cela monte à 494.000 bovins pour l’élevage allaitant ! Une tendance qui semble, heureusement, s’estomper.
Enfin, un second facteur est la diminution du pâturage, au profit du maïs. Ainsi, près de 10 % des vaches laitières n’ont pas accès à l’extérieur, et 13 à 21 % d’entre elles ont moins de 20 ares au printemps.
Et comme en Belgique, l’avenir n’est pas tout rose pour le secteur. En élevage laitier, seuls quatre agriculteurs sur dix ont un successeur, même dans les zones où cette activité est pourtant bien implantée, comme en Bretagne… « C’est l’une des pires spéculations au niveau du taux de remplacement », déplore le spécialiste.
A contrario, pour les ovins et caprins, une réelle dynamique d’installation est observée, bien que les carrières professionnelles soient généralement plus courtes.
Remplacer le soja par le colza ? Une des solutions…
Ces particularités d’un élevage à l’autre se ressentent aussi au niveau de leur empreinte carbone. Ceux privilégiant les pâturages auront moins d’impact par rapport aux agriculteurs misant sur le maïs. « Il faut également prendre en compte que l’agriculture biologique, dont on dit qu’elle utilise beaucoup de fioul à cause, notamment, des nombreux passages avec les tracteurs, possède un niveau de performance environnementale très proche des systèmes herbagers conventionnels. Cela s’explique, en autres, par le fait que l’énergie de la fumure minérale n’existe pas. De plus, l’utilisation du maïs est souvent à mettre en parallèle avec les importations de soja ».
À ce propos, différentes pistes ont été envisagées, comme le remplacement de ce dernier par du colza. « Cette solution de substitution est intéressante, mais cela pose question quant à sa disponibilité ».
Toujours est-il que parmi les objectifs de la planification écologique, se trouve le doublement des surfaces consacrées aux sojas, fèves, féveroles…, soit 500.000 ha. Parmi les autres propositions, il y a également une augmentation des haies plantées (plus de 5.000 km linéaires par an). Ou encore une hausse de 10 % des bovins dans des systèmes avec des pâturages.
« Dans tous les cas, on ne peut pas forcer la main aux agriculteurs avec une trajectoire décidée depuis Paris. Chaque ferme possède un profil particulier. Cependant, les éleveurs partagent l’avis qu’il est important de se passer des énergies fossiles, à moyen terme, et de travailler sur les changements climatiques », conclut-il.